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Dans les débats sur la fin de vie, prendre en compte la voix des lycéens

Personne face à un paysage en couleurs qui passe au noir et blanc
Concernant les débats sur la fin de vie, les lycéens sont interpellés par des questions comme le rôle des familles dans le choix du patient, la capacité de discernement du patient. Shutterstock

La remise du rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 a clos la période de concertation de 6 mois ouverte en octobre 2022 pour « donner à chacun de nos concitoyens l’opportunité de se pencher sur ce sujet, de s’informer, de s’approprier la réflexion commune et de chercher à l’enrichir ». Au-delà de la délicate question de l’évolution de la loi et de l’aide active à mourir, l’idée était aussi de donner aux Français les moyens de s’approprier les termes du débat.

En effet, selon le sondage BVA Opinon d’octobre 2022, « Les Français et la fin de vie », la moitié des citoyens se sentent mal informés à ce sujet. Ils connaissent peu des dispositifs comme le système des directives anticipées (permettant à chacun de laisser un document précisant ses souhaits) ou le principe de la personne de confiance (qui accompagnera le patient au cours de sa prise en charge).


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Alors que s’ouvre une nouvelle étape du débat avec l’annonce, par le président de la République, de l’élaboration d’un plan décennal pour la prise en charge de la douleur et les soins palliatifs et la « co-construction entre le Gouvernement, les parlementaires et les parties prenantes, d’un projet de loi sur la fin de vie d’ici la fin de l’année 2023 », il s’agit de s’appuyer pleinement sur les enseignements d’une démarche citoyenne très large. Outre le grand intérêt du rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie, il s’agit de faire le bilan des 245 débats organisés par les Espaces de réflexion éthique régionaux.

Réfléchir sur les conditions de l’aide active à mourir

Une attention toute particulière doit aussi être portée à des publics traditionnellement peu consultés sur les questions de la fin de vie, comme les 18-34 ans. C’est ainsi que l’Espace éthique Île-de-France a mis en place une démarche de réflexion avec quatre établissements – le lycée Jeanne d’Albret à Saint-Germain-en-Laye, le lycée Jehan de Chelles, les lycées Pierre-Gilles de Gennes et Henri IV à Paris.

L’objectif n’était pas de produire, en quatre séances de trois heures, des recommandations en vue d’une éventuelle évolution de la loi ni de constituer un panel représentatif des « jeunes » mais de recueillir les points d’attention des participants. Il s’agissait d’approfondir avec eux leurs réflexions sur les thématiques choisies collectivement, et de construire un espace public leur permettant d’échanger des arguments, des accords et des désaccords synthétisés dans un rapport et une cartographie des controverses.


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Si la méthode de consultation des lycéens est différente de celle de la Convention citoyenne ou d’autres dispositifs mis en œuvre – travail transpartisan avec les députés et les sénateurs, avis des sociétés savantes, rencontres organisées par les espaces de réflexion éthique régionaux… –, elle ne doit pas pour autant les ignorer. Cette mosaïque d’approches forme un « système délibératif » global qui apporte de la richesse au débat public et permet de toucher un public diversifié – les étudiants en médecine, les personnes âgées dans des EHPADs, des soignants, des élus, etc.

Les membres de la Convention citoyenne et les lycéens qui ont participé à la consultation de l’Espace éthique Île-de-France partent du même constat : le manque d’information de nos concitoyens sur les droits des patients et les soins palliatifs. Autre point commun, nous pouvons observer un attachement fort au système de santé et une profonde imprégnation de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. La question du respect des choix du patient, de son autonomie décisionnelle, de son consentement, et la notion d’une égalité de traitement font partie des principes rappelés par les participants.

Débat sur la fin de vie : Emmanuel Macron veut un projet de loi pour « un modèle français » (France 24, avril 2023).

Pourtant, alors que les conventionnels soulignent d’abord « l’inégalité d’accès à l’accompagnement en fin de vie » et la nécessité de garantir « un accès aux soins palliatifs », les lycéens consultés ont préféré se concentrer une éventuelle légalisation de l’aide active à mourir afin de soulager les souffrances réfractaires, qu’elles soient somatiques ou psychiques.

En effet, contrairement aux arguments « pour » et « contre » l’euthanasie et le suicide assisté qui ont été débattus au sein de la Convention citoyenne – même si les conventionnels se sont prononcés majoritairement en faveur d’une ouverture de l’aide active à mourir – les lycéens et les étudiants de la consultation ne montrent pas de désaccord de départ sur l’aide active à mourir. Aucune voix de participant ne s’est élevée contre, alors que les animateurs leur en ont donné l’occasion à plusieurs reprises.

Construire une cartographie des controverses

Le débat s’est alors ouvert sur les critères d’accès à l’aide active à mourir, sur les droits des patients, le rôle des médecins et leur éventuelle spécialisation, les formations nécessaires pour accompagner au mieux les patients les familles, ou encore les souffrances qui doivent être prises en compte (somatiques, psychiques, existentielles, etc.) et la manière de les mesurer.

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Ainsi, alors que la Convention citoyenne traite de manière systématique des conditions d’accès à l’aide à mourir (conditions médicales, nationalité, âge, etc.), les lycéens approfondissent des enjeux qui leurs tiennent à cœur : l’accès éventuel des mineurs ou des personnes ayant des troubles psychiques, le rôle des familles dans le choix du patient, la capacité de discernement du patient, le soulagement des souffrances psychiques ou existentielles, ou encore le risque de marchandisation.

A partir de ces réflexions, la mise en situation amène les lycéens, comme les conventionnels, à imaginer un parcours très encadré de soin et d’accompagnement des personnes qui feraient une demande d’aide active à mourir avec un soutien psychologique, un consentement répété, ou encore une possibilité d’arrêter le processus à tout moment.

Tenir la main d’une femme âgée
Les lycéens penchent en faveur d’un parcours de soin et d’accompagnement des personnes qui feraient une demande d’aide active à mourir qui soit très encadré. Shutterstock

On le voit ici, il ne s’agit pas d’énoncer des opinions définitives. Au contraire, la cartographie des controverses, tout comme le « nuancier des opinions » du rapport de la Convention citoyenne permettent d’entrer dans la complexité des débats et des arguments qui ont été échangés. Ce sont des questionnements profondément éthiques qui se sont exprimés :

  • Devrait-il y avoir une spécialisation de certains soignants formés pour procéder à l’aide active à mourir, ou bien tous les soignants devraient-ils être en mesure de répondre, dans leurs services, à une demande d’aide active à mourir ?

  • L’aide active à mourir est-elle une continuité des soins ou une rupture ?

  • La médecine doit-elle passer de la perspective de guérison du malade à un rôle d’accompagnement ?

  • Comment évaluer une demande d’aide à mourir ? Qui juge que la demande est légitime ?

Ces questions, telles qu’elles se sont exprimées, ne trouveront pas de réponses binaires « vrai/faux », « bien/mal », ou « juste/injuste ». Elles ouvrent un champ de réflexion sur les enjeux tels qu’ils sont posés par les Français en 2023 sur la fin de vie. En cela, nous pensons que ces dispositifs de concertation et de consultation citoyenne sont de nature à structurer le débat public et à guider les choix politiques qui pourront être faits.

Reste donc de ces débats une richesse de questionnements qui aura été signalée par tous les participants, et une manière apaisée de partager nos accords et nos désaccords. Comme le souligne une participante à la consultation lycéenne, « cette expérience a été en effet très enrichissante. J’ai appris à discuter et réfléchir autour d’un sujet que je ne connaissais pas à l’origine et que j’ai pu par ailleurs approfondir. Il était également intéressant de prendre le temps d’écouter les autres et de pouvoir intervenir à tout moment ». Nous espérons que la rédaction de la loi et sa discussion seront éclairées par ces débats.

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