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Dans « Mary Poppins », la légende perdure, les placements de produits aussi

Mary Poppins version 2018. Allociné

Plus de cinquante ans après la sortie du film Mary Poppins (Stevenson – 1964), une suite de la célèbre comédie musicale sort sur nos écrans. Le retour de Mary Poppins (Marshall – 2018), un film événement sur la nounou la plus populaire au monde. Diégétiquement, 20 années séparent les deux histoires. Dans le premier opus, nous sommes en 1910 et Mary Poppins vient s’occuper des enfants de la famille Banks, Jane et Michael. Dans le deuxième, nous sommes en 1930 : Jane et Michael sont adultes et la nurse revient pour garder leurs enfants. Vingt ans d’écart et le même produit placé, la même insertion publicitaire pour créer un trait d’union entre deux époques, entre deux générations, entre deux films.

Affiche du film Le retour de Mary Poppins.

Un produit placé qui construit un symbole

Au départ de l’intrigue du film de 1964, l’envol d’un cerf-volant. Attirés par cet oiseau vert, Jane et Michael Banks courent à travers le parc en laissant derrière eux Katie Nanna exaspérée. Face à ces difficultés, la nurse demande congé. Les enfants terribles viennent ainsi de décourager plusieurs nurses en quelques semaines. Devant ce constat, M. Banks prend la décision de se charger lui-même du prochain recrutement. Il passe alors une annonce dans le journal le Times : « I’ll advertise in The Times ». Parallèlement, les enfants rédigent également une annonce en guise de pardon et de bonne volonté. Si celle de leur père évoque le respect, l’autorité et la discipline, la leur est bien différente : ils demandent une nounou gentille, aux joues roses qui chante et offre des bonbons. Deux annonces pour deux mondes qui s’opposent. L’univers des adultes, sérieux et responsable ; l’univers des enfants, insouciant et ludique.


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Le Times caractérise ainsi parfaitement le personnage du père en confirmant son statut et son rang social. Journal britannique de référence, le Times est réputé pour ses journalistes qualifiés et ses articles de qualité. Proche des conservateurs, ce journal est conforme aux idées et mode de vie des Banks, foyer bourgeois dont le chef de famille est un lord anglais banquier de profession. L’insertion publicitaire est donc en totale cohérence avec le contexte diégétique du film.

Mary Poppins répond à l’appel des enfants et non à l’annonce publiée par le père. Néanmoins, elle est embauchée sur le champ. Plusieurs jours passent ; Mary Poppins s’occupe de Jane et Michael, leur fait vivre des aventures extraordinaires et exubérantes. Elle apporte joie et bonne humeur dans la maison. Mais M. Banks conserve sa rigidité et n’arrive pas à se faire aux changements provoqués par la nouvelle nurse. Rationnel, il reste imperméable à la magie et au rêve. Afin que les enfants comprennent les obligations de leur père et les réalités de la vie, Mary Poppins convainc M. Banks de les emmener sur son lieu de travail. Malheureusement, ces derniers prennent peur et sèment la panique dans l’établissement bancaire. Suite à ce fâcheux incident, M. Banks est renvoyé. Ce licenciement provoque une sorte d’électrochoc : il revient chez lui, détendu, souriant et désireux de passer du temps en famille. Pour preuve, il a réparé le cerf-volant de ses enfants et leur propose une sortie dans le parc. Ce geste fait écho à la scène d’ouverture du film.

Le cerf-volant réparé avec le journal The Times.

Observons le cerf-volant de plus près : des bandes de papier journal recouvrent les déchirures. Il s’agit de morceaux du Times ; nous voyons distinctement le nom de la publication et nous devinons son logo formé d’un lion, d’une licorne et de la devise de la monarchie britannique « Dieu et mon droit ». Les inscriptions du Times sont collées sur le dos du cerf-volant. Pourtant, lorsque le cerf-volant s’envole, le décor créé par les morceaux du journal se retrouve sur l’intérieur. Ce faux raccord permet aux spectateurs d’identifier le cerf-volant Banks parmi les dizaines d’autres aux alentours. Ce choix de mise en scène provoque également une plus longue exposition de l’insertion publicitaire du Times à l’image.

Le cerf-volant dans les airs…

Tel un pansement qui recouvre les blessures, les bandelettes du journal rassemblent les différentes parties du cerf-volant déchiré : le père a renoncé à son journal pour redonner vie au jouet. L’objet fabriqué réunit les deux univers qui s’opposaient jusqu’alors ; il devient un symbole d’harmonie et un acte d’amour. En utilisant le Times d’une manière surprenante, le réalisateur construit une métaphore : M. Banks a rapiécé le cerf-volant, rafistolé sa famille, consolidé leurs liens.

Le cerf-volant au motif du Times comme passage de témoin

Vingt ans plus tard, Michael redécouvre le cerf-volant entreposé au grenier et se demande pourquoi avoir conservé cette vieillerie. Sa sœur Jane lui répond : « Tu ne te souviens plus de ce cerf-volant ? On adorait le faire voler avec père et mère ! » Cette courte scène rappelle aux spectateurs l’importance émotionnelle de cet objet. À l’image, le Times toujours exposé en plein centre du cerf-volant.

Michael dépose le jouet dans la poubelle à l’extérieur de la maison. Le vent se lève et emporte le cerf-volant vers le parc. Georgie, le fils cadet de Michael, le récupère et le fait voler dans les airs avec l'aide de son ami Jack, allumeur de réverbères. À cause du vent qui souffle toujours plus fort, le cerf-volant disparaît dans les nuages… et réapparaît dans la main de Mary Poppins ! Elle est de retour.

L’arrivée de Mary Poppins.

Selon le synopsis du film « Mary Poppins réapparaît magiquement dans la vie de la famille » mais, en fait, la magie intervient sous la forme du cerf-volant au motif du Times. Dans le film original, l’annonce déposée dans le journal n’est pas la raison de l’arrivée du personnage principal. En revanche, dans Le retour de Mary Poppins, c’est bien le cerf-volant au motif du Times qui appelle Mary Poppins et créé l’introduction de l’héroïne dans le film.

Une insertion narrative magique

Le rôle narratif du cerf-volant ne se limite pas à la situation initiale du film ; il articule le récit. Dans la nurserie, Mary Poppins suggère à Georgie de réparer son cerf-volant pour qu’il puisse voler à nouveau. L’enfant s’exécute : il découpe un dessin de sa famille réalisé par son père et en colle les lambeaux pour boucher les trous. Nous remarquons qu’après vingt ans, les bandes du Times n’ont pas cédé sous le vent ; le journal a résisté au temps. Le cerf-volant est de nouveau prêt à l’emploi, prêt à résoudre les problèmes de la famille Banks, prêt à intervenir dans le climax du film.

Notons que le cerf-volant est légèrement différent entre les deux films.

Michael est en difficulté financière. Pour conserver sa maison de famille, il doit prouver qu’il détient des actions en apportant le certificat à sa banque. Malheureusement, ce document est introuvable. Tout le long du film, Jane et Michael fouillent la maison de fond en comble pour mettre la main dessus, en vain. L’heure du déménagement a sonné : il fait nuit, le camion est rempli, la famille est sur le trottoir. Tout à coup, Georgie se rend compte qu’il a oublié son cerf-volant à l’intérieur. Il court le récupérer et Michael découvre alors le cerf-volant réparé : par son père et son fils, par le Times et le dessin. Attendri et triste, Michael s’attarde un moment sur son illustration. La lueur du réverbère révèle alors le verso du papier : il s’agit du certificat tant recherché.

Le temps presse, les Banks se rendent au plus vite à la banque en emportant tel quel le cerf-volant. Devant l’établissement et ses portes fermées, Jane et Michael déroulent son fil pour le faire voler jusqu’à la fenêtre du Directeur. Le cerf-volant au motif du Times et agrémenté du certificat d’actions atterrit directement dans le bureau, devant les yeux stupéfaits du dirigeant. En plein cadre de l’image, le cerf-volant est bien l’adjuvant narratif qui sauve les personnages de la faillite.

À l’époque, George Banks réparait le cerf-volant avec des morceaux de son Times, dans Le retour de Mary Poppins, son petit-fils Georgie le rafistole en utilisant un croquis de son père. Le dessin au recto incarne la famille, valeur omniprésente dans les deux films. Au verso, le certificat d’actions, document édifié par M.Banks. Trois générations de Banks s’unissent alors pour ressusciter le cerf-volant : la filiation subsiste.

La dernière génération Banks.

Ainsi le cerf-volant transgénérationnel aux inscriptions du Times forme-t-il un véritable héritage : un héritage diégétique de l’enfance de Michael, un héritage symbolique de l’harmonie familiale, un héritage cinématographique du film originel Mary Poppins.

Le Times dans les films Mary Poppins, un placement de produit contextuel, qualifiant et narratif mais surtout une insertion publicitaire affective pour les personnages et mythique pour nous spectateurs.

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