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Une groupe de Tahitiens masqués attend d'être vacciné dans un centre de Tahiti.
La Polynésie française a adapté sa réponse à la Covid, tant pour sa campagne de vaccination (ici en cours sur l'île de Tahiti, en septembre) que dans les procédures de dépistage du virus. Jerome Brouillet / AFP

De Zika au SARS-CoV-2, récits et défis de chercheurs en Polynésie française

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1er au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L'émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Voilà 15 ans que je travaille sur l’émergence des virus dans le Pacifique. Virus de la dengue, chikungunya, Zika, SARS-CoV-2 aujourd’hui… avec mon équipe du laboratoire de recherche sur les maladies infectieuses à transmission vectorielle, à l’Institut Louis Malardé (à Papeete, Tahiti), nous les avons tous vus arriver. Mais le plus marquant pour nous a été cette succession de deux événements épidémiologiques exceptionnels en moins de dix ans : l’arrivée du virus Zika et du nouveau coronavirus. Un 100 m émotionnel où surprises, exaltation, doutes, angoisse et soulagement se sont enchaînés à un rythme effréné…

Comment réagit-on quand la situation devient hors-norme ? Comment fait-on pour comprendre ce qui est en train de se passer ? Comment construit-on de nouvelles procédures de travail ? Cette tranche de vie, que nous avons vécue avec mon équipe rodée à la surveillance de tel phénomène d’émergence de nouveaux pathogènes, je vais la partager ici.

Le premier choc eut lieu en octobre 2013. Cela fait alors quelques semaines que le réseau de médecins sentinelles de Polynésie française rapporte une recrudescence des consultations pour des symptômes évoquant une infection par le virus de la dengue. Rien de surprenant, la saison des pluies vient de commencer et le contexte est favorable aux deux espèces de moustiques capables de transmettre cet agent pathogène en Polynésie française, Aedes aegypti et Ae. polynesiensis.

Vue au microscope de moustiques A. aegypti gorgés de sang
Les femelles Aedes aegypti gorgées de sang sont les vecteurs de transmission du virus Zika. ILM Photo, Fourni par l'auteur

Toutefois, quelque chose ne colle pas. Les symptômes décrits par les patients diffèrent de ceux d’une phase aiguë classique de dengue : l’épisode fébrile est modéré voire inexistant, l’éruption cutanée est particulièrement forte, les démangeaisons sont persistantes, etc. Autre anomalie, nous voyons arriver des patients natifs ou résidents de longue date qui devraient être immunisés.

Bientôt, le doute n’est plus permis : un nouveau pathogène est en train de s’installer. Tout juste pouvons-nous estimer qu’il s’agit d’un arbovirus (virus transmis par des arthropodes se nourrissant de sang, souvent des insectes comme le moustique). Nous décidons alors de reprendre les échantillons des patients testés négatifs par RT-PCR pour la dengue afin d’y rechercher d’autres arbovirus : celui du chikungunya (un bon candidat, car détecté dans plusieurs îles du Pacifique depuis un peu plus d’un an), le virus de la Ross River (à l’origine d’épidémies saisonnières en Australie), le virus du Nil occidental (ou West-Nile virus, régulièrement détecté sur le continent nord-américain)… mais nos tentatives sont vaines.

Le précédent Zika

Reste une dernière hypothèse. Le virus Zika, qui a été à l’origine d’une épidémie sur l’île de Yap dans les États fédérés de Micronésie (nord-ouest du Pacifique).

Classée « maladie tropicale négligée », l’infection par Zika est à cette époque peu étudiée, donc peu connue. Un cluster familial va nous donner l’occasion d’en avoir le cœur net.

Les analyses RT-PCR révèlent bien la présence de l’ARN du virus chez un patient. Sur les deux décennies écoulées, soit depuis que les techniques de biologie moléculaire sont utilisées dans notre laboratoire, c’est la première fois qu’une infection par un arbovirus autre que celui de la dengue est détectée en Polynésie française…

Une scientifique procède à un séquençage d’ADN pour identifier un virus (Zika)
Dans le cadre du Zika comme du SARS-CoV-2, la confirmation de l’émergence d’un nouveau pathogène en Polynésie française s’est faite à l’appui du séquençage génomique. ILM Photo, Fourni par l'auteur

L’enjeu est énorme, l’erreur inenvisageable. Nous devons donc consolider notre résultat. Je contacte le Dr Amadou Sall, de l’Institut Pasteur de Dakar, qui est scientifique référent sur Zika. Il nous fait parvenir en urgence des échantillons de contrôle, une séquence de l’ARN du virus stabilisée permettant comparaison et identification – elle correspondra bien au fragment de génome du virus suspect que nous séquençons. Nous pouvons donc confirmer, en une dizaine de jours, qu’il s’agit bien du Zika. Quelques jours après notre identification du premier cas, d’autres sont découverts. L’épidémie de Zika sera déclarée deux semaines plus tard.

En Polynésie française, l’épidémie de Zika durera cinq mois. Mais pour notre équipe, ce n’est que le début d’un marathon scientifique de trois ans… Durée pendant laquelle l’équipe s’attellera à améliorer le test de diagnostic (RT-PCR), documenter les caractéristiques de transmission vectorielle (moustiques) et non-vectorielle (transmission par voie sexuelle, materno-fœtale) et décrire la survenue de formes cliniques sévères. En particulier, nous passerons avec nos collaborateurs, dont l’équipe du Pr. Arnaud Fontanet de l’Institut Pasteur, deux années à compléter les données et réaliser les analyses qui conduiront à démontrer pour la 1ère fois le lien entre infection Zika et syndrome de Guillain Barré.

Lorsque nous sommes prêts à publier nos résultats, l’épidémie de Zika explose au Brésil entre 2015 et 2016. La portée de nos travaux se mesurera pleinement lorsque, après s’être étendue à toute l’Amérique latine, cette maladie est qualifiée par l’OMS d’« urgence de santé publique de portée internationale ».

SARS-CoV-2, la nouvelle menace

Comme les autres pays du globe, sept ans plus tard, la Polynésie française allait être frappée – quoique plus tardivement – par le SARS-CoV-2, agent de la Covid-19.

Fin juin 2020. Cela fait maintenant 3 mois que les frontières internationales sont fermées. Un mois s’est écoulé depuis la détection du dernier des 62 cas de Covid-19 rapportés depuis mars. Alors que l’épidémie flambe partout ailleurs, la Polynésie française fait partie des quelques oasis exemptes du fléau. Pour relancer l’économie, primordiale pour la région, il est décidé qu’à partir du 15 juillet il serait à nouveau possible d’entrer et de circuler librement.

Devant le risque élevé d’importation de nouveaux cas d’infection par le SARS-CoV-2, un protocole de surveillance des voyageurs est mis en place. Une plate-forme numérique de suivi de l’itinéraire des arrivants est créée, en outre, les adultes et enfants de plus de 11 ans devront présenter un résultat négatif à un test RT-PCR de détection du SARS-CoV-2 réalisé dans les 72 heures qui précèdent l’embarquement.

Mais quid des personnes en phase d’incubation au moment de la réalisation du test ? Des risques d’infection lors des trois jours qui précèdent ou durant le voyage ? Avec la levée du dispositif de quarantaine, comment détecter et isoler ces cas potentiels ?

Pour anticiper, nous proposons un dispositif de dépistage inédit (CoV-Check Porinetia) prenant en compte les contraintes de la reprise touristique (libre circulation dans les archipels de la Polynésie française) et les ressources locales limitées en termes de personnel de soin, de capacité d’accueil des centres médicaux et de capacité technique des laboratoires.

Un choix audacieux

Nous optons pour l’autoprélèvement et le groupage d’échantillons. De quoi s’agit-il ? Afin de pallier aux ressources limitées, nous remettons à chaque voyageur, à son arrivée à l’aéroport, un kit contenant le matériel nécessaire à la réalisation d’un autoprélèvement 4 jours plus tard (soit le délai moyen d’incubation du SARS-CoV-2, entre le moment où une personne se contamine et où elle peut à son tour contaminer les autres – données disponibles en juillet 2020).

Kit d’autotest pour le suivi de virus de la Covid, contenant le matériel et la notice d’utilisation
Dans le cadre de la détection précoce du SARS-CoV-2, et le suivi de l’introduction éventuelle de nouveaux variants, un kit d’autotest remis aux voyageurs à leur arrivée en Polynésie française. ILM Photo, Fourni par l'auteur

Chaque kit est identifié par un code-barres unique et relié au numéro d’enregistrement du voyageur sur la plate-forme en ligne où a été déclaré son itinéraire. Il contient deux écouvillons (pour les prélèvements en fosse nasale et buccal), un tube de milieu de conservation pour les stocker, un sac de transport d’échantillon biologique et une notice d’utilisation (français-anglais).

Une fois les autoprélèvements réalisés, le kit doit être remis par le voyageur à la réception de son hébergement ou déposé dans un centre de santé. Il est ensuite acheminé vers le laboratoire, où les échantillons sont organisés en groupes (pool) de dix puis testés par RT-PCR. Lorsqu’un pool est détecté positif pour le SARS-CoV-2, les 10 échantillons sont retestés individuellement et le code-barres du (ou des) positif(s) est communiqué au bureau de veille sanitaire du ministère de la Santé. Le bureau se charge de contacter le voyageur pour un test de confirmation.

Innover pour gagner du temps

Les critiques pleuvent : « Ce n’est pas fiable ! Ce n’est pas publié ! Ça ne marchera pas ! »… jusqu’à la détection du premier cas.

Si nous savions que nous n’avions pas la maîtrise des autoprélèvements (qualité, réalisation, etc.), nous n’avions pas de doute sur la traçabilité des échantillons ni sur la sensibilité du protocole de RT-PCR en groupage d’échantillons. Nous utilisons déjà le système de code-barres et l’appairage numérique dans le cadre de nos enquêtes de terrain, quant au protocole de groupage cela faisait déjà trois mois que nous travaillions à la question, pour anticiper toute rupture d’approvisionnement en réactifs ou flambée de cas dépassant la capacité technique de nos laboratoires.

Une scientifique fait un prélèvement dans un échantillon pour lancer la PCR
Préparation des pools des échantillons remis par les voyageurs avant extraction et RT-PCR suivant le protocole de surveillance du SARS-CoV-2. ILM Photo, Fourni par l'auteur

Le premier cas de Covid-19 est détecté le samedi 1er août 2020, en fin d’après-midi, et nous transmettons nos données (avec numéro de code-barres du prélèvement) au bureau de veille sanitaire. Je découvre le lendemain que l’information fait les gros titres… Il s’agit d’une touriste sur un bateau de croisière, lequel vient de faire demi-tour pour rejoindre le port de Papeete chargé de ces 340 passagers et membres d’équipage.

Dans les mois qui suivront, plusieurs centaines de voyageurs positifs pour le SARS-CoV-2 seront ainsi identifiés. Si le dispositif CoV-Check Porinetia n’a pas suffi à empêcher la réintroduction du virus puis sa diffusion, il aura néanmoins permis la détection des premiers clusters (groupes de personnes exposées) sur l’île principale Tahiti, permettant aux autorités de santé de se préparer à la première vague épidémique et de tenter de limiter sa diffusion aux 71 autres îles habitées de Polynésie française.

Dès février 2021, nous complétons le dispositif pour être capables de détecter les variants. À bon escient, puisque nous en trouvons rapidement, d’abord essentiellement Alpha (variant un temps dit « britannique ») puis de plus en plus de Delta (identifié en Inde pour la première fois). Nous savons que ce n’est qu’une question de temps avant qu’un cas importé n’échappe au dispositif de surveillance. Début juillet, le variant Delta est en effet détecté dans la population. Le tout premier cluster est lié à un voyageur non vacciné, qui n’avait respecté aucune des mesures de quarantaine.

Comprendre le rôle de la recherche

Dans les semaines qui suivent, l’augmentation fulgurante des cas submerge les capacités d’accueil des structures hospitalières et des unités de soins intensifs et de réanimation. Un couvre-feu rapidement renforcé d’une période de confinement sont mis en place. L’effort de vaccination s’accélère, la réserve sanitaire vient en renfort.

Au plus fort de l’épidémie, la Polynésie compte 426 hospitalisations, dont 48 en réanimation. Au total, de mi-juillet (début de la vague) à fin septembre 2021, 461 décès liés à la Covid-19 sont survenus en milieu hospitalier.

Ces évènements nous ramènent à la réalité et aux limites de notre contribution en tant que chercheurs, à notre rôle : celui de donner de la connaissance, des outils et un délai de préparation aux soignants et à tous ceux qui travaillent en support. Bref, à celles et ceux sur qui nous comptons pour sauver des vies, et accompagner celles qui s’éteignent…

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