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Débat : Aux grandes réformes de l’école, préférons le retour aux fondamentaux

Veiller à articuler au mieux les évaluations des connaissances aux programmes est crucial pour l'efficacité du système scolaire. Shutterstock

De Genève à Bruxelles, de Paris à Montréal, c’est un phénomène qui affecte bon nombre de systèmes éducatifs : l’incessante mise en œuvre de réformes. Les virages négociés sont souvent radicaux, qu’il s’agisse de la suppression des notes, de la mise en œuvre de nouveaux manuels, de l’approche par compétences, des classes inversées, ou de l’introduction du numérique.

Or pour améliorer l’école, ou innover, notre hypothèse est qu’il serait probablement plus porteur, dans un premier temps, de revenir à certains fondamentaux de la pratique enseignante.

En effet, de nombreuses recherches montrent que cette obsession du changement participerait à déposséder les enseignants de leur pouvoir d’action, les assimilant davantage à des techniciens qualifiés de l’éducation qu’à des praticiens responsables, et ainsi, les démotiverait.

Dès lors, nous pensons qu’il serait possible d’agir contre les effets délétères de cette « réformite » si l’on incitait les enseignants à se recentrer avant tout sur certains fondamentaux de leur pratique. Cela leur permettrait notamment de reprendre confiance et ainsi d’amener le plus grand nombre d’élèves au maximum de leur potentiel.

Investir une réflexion première

En 2005, un état de la recherche sur les écoles efficaces et la réussite scolaire des élèves à risque en Amérique du Nord a montré qu’un des problèmes récurrents dans les pratiques est le manque de cohérence entre les contenus des programmes, ce que les enseignants font effectivement apprendre à leurs élèves, et la manière dont ils les évaluent (« Écoles efficaces et réussite scolaire des élèves à risque. Un état de la recherche », CRIFPE).

Les auteurs mettent en évidence qu’augmenter cette cohérence dans les pratiques « améliore la qualité de l’enseignement et l’efficacité des écoles ». Certes, cela ne garantit pas de facto de meilleurs apprentissages. Mais il demeure que cela constitue une des clés de voûte du succès de toute réforme en éducation.

De manière pragmatique, entrer dans cette réflexion pousse tout enseignant à se demander sur quoi doit porter l’apprentissage pour que l’élève puisse développer ce qui est attendu de lui. En parallèle, l’enseignant sera attentif à transcrire les objectifs d’apprentissage dans des exercices au quotidien. Enfin, il sera toujours soucieux de construire ses évaluations en rapport avec les situations proposées aux élèves en classe ou à faire apprendre ce qui sera évalué.

Donner l’initiative aux enseignants

Certains trouveront cette approche triviale face aux évolutions de grande ampleur auxquelles sont confrontés les enseignants. En effet, de quel droit ose-t-on reformuler ces points d’attention qui devraient participer de leur formation de base ? N’est-on pas en train de revenir en arrière, au moment où nous attendons de tout professionnel face à sa classe des compétences de haut niveau, dans des domaines variés ? Les enjeux de l’école du XXIe siècle ne sont-ils pas d’un autre ordre ?

Il n’en est rien. De nombreuses recherches, comme celles de Biggs, confirment que ces liens de cohérence sont souvent mis à mal dans les pratiques, jusqu’à l’université, engendrant des biais importants dans le parcours d’un grand nombre d’élèves.

En revanche, ces mêmes travaux mettent en évidence que l’appropriation de ces réflexions par l’enseignant permet de rendre explicites des pratiques souvent peu questionnées, et ainsi de prendre du recul sur leurs enjeux. Cette conscience a un impact positif sur plusieurs dimensions de l’enseignement :

  • elle apporte une plus grande clairvoyance sur la complexité des apprentissages ;

  • elle offre une meilleure compréhension des programmes ;

  • elle crée des liens étroits entre ce qui a été appris et ce qui est évalué ;

  • elle replace les progrès des élèves au centre des préoccupations : les élèves « font » moins, mais apprennent plus et mieux ;

  • elle réduit les pratiques évaluatives « à la tête du client » ou relevant du classement.

En d’autres termes, nous observons qu’enseigner passe, notamment, par une série de démarches premières, sans lesquelles il est délicat de développer des pratiques plus exigeantes.

Repenser la formation des enseignants

Cette réflexion professionnelle n’a pas une visée prescriptive, mais bien compréhensive. L’enjeu de sa mise en œuvre en formation ou sur le terrain, pour l’école, est de permettre aux professionnels de reprendre la main sur leurs pratiques, au-delà des diktats et des changements.

Dans ce sens, peut-être devons-nous faire le pari que la lutte contre l’échec scolaire ou l’entrée dans l’innovation ne se mèneront pas à coups de slogans ou d’injonctions pédagogiques aux fondements parfois peu clairs, ni à l’aide de nouveaux dispositifs, mais bien avec les enseignants, depuis leurs champs de compétences explicites, et ainsi outillés pour le suivi de tous les élèves.

Pour cela, c’est bien un effort de formation qui doit être déployé, dans les instituts et les universités, mais aussi en formation continue. Il revient donc en premier lieu aux décideurs de prendre la mesure du problème et de hiérarchiser les priorités, en ne succombant pas aux chants des sirènes.

Dès lors, si réforme il devait y avoir, peut-être devrait-elle se situer au niveau d’une nouvelle approche de l’accompagnement des pratiques enseignantes. Ce serait déjà conséquent. Mais vraisemblablement efficace.

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