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Débat : Entre l’État, les profs et les parents, le temps d’un nouveau contrat scolaire ?

A Clairefontaine-en-Yvelines, le 7 mai, une directrice d'école réaménage une salle de classe en fonction des mesures d'hygiène et de distanciation sociale. Franck Fife / AFP

Et si l’expérience du confinement était finalement une bonne chose pour l’école ? Comme pour toute crise, les enseignements que l’on peut en tirer vont dépendre des arrière-pensées que les uns et les autres vont y investir. En s’extrayant des perspectives politiques qu’il faudra bien analyser à un moment ou à un autre, un nouvel horizon s’offre à la société, si elle le veut bien.

D’une part, bon nombre d’expériences positives pourraient irriguer des changements de pratiques de l’école maternelle à l’université. D’autre part, bon nombre d’expériences négatives devraient irriguer la réflexion sur l’état de notre système éducatif et de sa gouvernance.

Bien sûr, on va voir une profusion de recherches ou de discours qui s’autorisent à rebondir sur le « home schooling » d’un côté et la co-éducation de l’autre pour enfoncer quelques portes largement ouvertes depuis des décennies, d’un côté sur la défiance de certains parents vis-à-vis de l’école, de l’autre sur la découverte que les élèves ont des parents et que les orientations ne sont pas forcément congruentes entre école et familles. La sociologie des années 60 déjà a fait le tour sur la question.


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Si les usages opportunistes ne manqueront pas, si la crise a remis en avant le drame des inégalités scolaires, ces deux mois ont aussi invité des enseignants à explorer de nouvelles voies et des parents à changer de regard sur l’école.

Pédagogie de l’intérêt

Ce que l’expérience a apporté de positif, c’est d’abord de prouver qu’il est possible d’inventer des situations d’enseignement et d’apprentissage différentes. Visant à pallier l’absence d’un enseignant devant ses élèves, ces approches n’ont rien d’inédit. Il s’agit de considérer que l’enseignant n’est pas un réservoir de savoirs, mais un humain empathique, ingénieur de la pédagogie, qui, par des émotions et des méthodes, va instiller aux élèves le désir de plonger avec excitation et angoisse dans des domaines inconnus.

On peut avoir l’impression en disant cela d’enfoncer des portes ouvertes, pourtant, c’est bien de cela dont il est question : faire éprouver le bonheur de résoudre des inconnues et de faire face à des difficultés, tout en se portant garants face aux élèves qu’ils en sont capables et que leurs efforts seront payants.


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Le mode d’emploi est plutôt connu, il est difficile à mettre en œuvre car très exigeant de la part des élèves et des enseignants, mais cela fonctionne. Le colloque international du Centre de recherche inter-universitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE) organisé à Montréal, début mai en faisait la démonstration à travers le témoignage de Marie Soulié.

Cette enseignante tout ce qu’il y a de plus responsable a expliqué comment le confinement lui permettait de donner un jour nouveau à une pédagogie de l’intérêt. Les enseignants qui ont eu la chance de faire ce type d’expérience risquent d’y prendre goût.

Intervention de Marie Soulié, professeur de français, au colloque du CRIFPE, début mais 2020.

Sur le plan anthropologique, le fait que les parents aient dû remplir des fonctions d’habitude dévolues aux enseignants, leur permet d’approcher les difficultés de l’exercice, mais aussi son extraordinaire vivacité. Pour cela, encore une fois, tous les parents ne sont pas égaux, mais c’était déjà le cas avant. Il faut qu’ils se sentent autorisés à revêtir une veste, à défaut de blouse, pour laquelle il considèrent qu’ils ont une légitimité formelle.


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En plongeant dans l’anthropologie structuraliste de l’américain E.T. Hall, il s’agit de comprendre que de mêmes individus peuvent évoluer dans des cultures formelles et informelles différentes et que cela ne pose en fait pas de problème, sauf si elles sont en opposition. C’est là, où l’on rebondit sur les approches bourdieusiennes de La Reproduction. Même si l’approche a des limites nombreuses, le propos est toujours pertinent et prend un éclairage nouveau pendant cette période de crise.

Pour le reste, l’inventaire des actions des nombreux enseignants, directrices et directeurs d’école serait trop long à faire, mais il est indéniable qu’ils ont été à la hauteur. Ils ont pris contact avec les familles par téléphone de manière régulière et, en réalisant ce lien de la République, ils ont dit aux parents combien ils comptaient.

L’école à la maison dans une famille de Mulhouse, en mars 2020. Sébastien Bozon/AFP

Ce n’est pas du tout la même chose d’être convoqué à l’école dans les fameuses réunions parents/profs et d’être contacté par l’école pour s’entendre demander déjà, si tout va bien, puis de s’enquérir de ce que l’on peut faire avec les enfants.

Une étude en cours dans notre laboratoire auprès des 3400 enseignants qui se sont occupés des enfants de soignants pendant le confinement souligne l’importance majeure de la relation. Les premières appréhensions des enseignants portaient sur les comportements des enfants. Or les choses se sont plutôt bien passées au vu du faible nombre d’élèves, probablement aussi sensibilisés par leurs parents soignants aux gestes et protections.

L’étude montre également que la possibilité d’avoir accès à des espaces flexibles et des bâtiments de qualité a facilité leur tâche et que, malgré les bonnes conditions globales, le lavage régulier des mains restait une difficulté.

Question politique

En plus des effets positifs primaires, on peut rêver que l’expérience ait des effets positifs secondaires grâce à l’analyse de ce qui n’a pas bien fonctionné. Tout d’abord, il faudrait revenir sur le piège d’un système national centralisé à outrance, alors que la régionalisation et la responsabilisation ont montré une efficacité de bien des pays face à la situation de crise.

La crise du Covid-19 peut-elle autoriser la République à discuter d’une réelle régionalisation des responsabilités de l’Éducation, avec ses avantages et ses inconvénients, plutôt qu’en appeler encore et toujours à Jules Ferry pour que jamais rien ne bouge ?

L’éducation est la justification numéro un brandie par tous les politiques, mais jamais, jamais aucun élu ne sera sanctionné par ses actions ou inactions dans ce champ. Cela participe du champ idéologique neutre, on peut débattre sans fin, il n’y aura pas d’influence sur les votes. Au niveau régional, l’école pourrait avoir un poids plus décisif sur les projets politiques en regard de l’Éducation.

Sur le même registre des inégalités, la question du droit au numérique est posée. L’étude des connexions aux différents environnements numériques de travail lourdement payés par l’impôt, montre que les lycées professionnels sont ceux qui ont été le moins usagers des possibilités offertes par les technologies. Or les usagers des lycées professionnels sont aussi ceux dont les familles sont les plus en difficultés, souvent en précarité professionnelle, sociale et spatiale.

Un grand plan d’équipement numérique des plus démunis, de ceux qui sont le plus en difficulté ou en souffrance dans le système éducatif est une nécessité républicaine à laquelle l’État dans ses formes centralisées ne sait pas répondre efficacement. Bien sûr, on ne compte plus les plans numériques dont on valorise les dépenses comptables, mais dont on omet de vérifier l’impact, et surtout l’animation de terrain. Ne pourrait-on enfin traiter sérieusement cette question ?


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Il y a quelques années, pour devenir enseignant, il fallait disposer d’un certificat de compétences en langues et d’un autre en utilisation des technologies (C2I2E). Pour l’écrasante majorité, cela a été perçu comme un pensum insupportable et inutile. Alors l’effet positif secondaire attendu de cet épisode épidémique fâcheux, c’est sans doute encore la question de la formation initiale et continue des enseignants.

La nouvelle réforme en cours changera-t-elle les choses ? À quelles conditions ? Prendra-t-elle en compte ce que nous a appris la crise inédite que nous avons vécue ?

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