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Débat : Laïcité à l’école, des impasses historiques

Façade historique d'une école parisienne. Shutterstock

Dans une lettre adressée au Président de la République le 4 février 2020, le président du parti Les Républicains, Christian Jacob, renouvelle sa demande, formulée en novembre 2019, d’« un acte II de la laïcité en référence à l’initiative prise par Jacques Chirac en 2003 lorsqu’il avait installé la commission présidée par Bernard Stasi ».

Cette commission, rappelons-le, avait débouché sur la loi de 2004, et l’interdiction dans les établissements scolaires des signes manifestant une appartenance religieuse.

Il s’agit de lancer « une réflexion approfondie sur la mise en œuvre du principe de laïcité dans la société française », assure Christian Jacob. Mais où en est-on vraiment dans ce dossier si complexe, voire explosif ? La laïcité est en proie à une valse des métaphores (qu’on la qualifie de « ferme » ou « souple », « ouverte » ou « intransigeante ») qui relève davantage de la posture que d’une pensée rationnelle et cohérente.

Or, ce qui est profondément sous-jacent, c’est souvent la perte de vue du principe de non-contradiction. Une perspective historique nous montre que les incohérences perdurent, et peuvent même s’accroître dans un certain aveuglement. S’il n’est sans doute pas facile de les réduire, encore convient-il de ne pas les ignorer, au risque d’aggraver les incompréhensions.

Exceptions à la loi de 1905

Il est étrange que l’on puisse envisager d’aller « plus loin » dans la séparation des Églises et de l’État instituée par la loi de 1905, alors même que des enseignements religieux sont dispensés dans les écoles publiques de trois départements.

En effet, lorsque la loi de 1905 a été adoptée, l’Alsace-Lorraine était alors annexée à l’empire allemand. Lorsqu’elle est redevenue française, en 1918, c’est le régime du Concordat adopté en 1802 qui y a été maintenu. Le gouvernement du Bloc des gauches a tenté en 1924 de l’y supprimer, mais a échoué. La situation n’a plus évolué depuis un siècle, signe qu’il est sans doute difficile de sortir de cette impasse historique.

On peut à cet égard rappeler le pas de clerc de François Hollande à l’élection présidentielle. Fin 2011, il dit vouloir « constitutionnaliser » la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Mais les vives réactions rencontrées le conduisent à préciser le 26 janvier 2012 que cette mesure s’appliquerait « sous réserve des règles particulières en Alsace et Moselle »… En tout état de cause, cette incohérence montre que la logique et le souci de cohérence en prennent beaucoup à leur aise.

INA, reportage de 1989 sur l’exception alsacienne à la loi de 1905.

Loi Debré et financements

La mise en place de la loi Debré de 1959 offre des aspects du même ordre. Avec cette loi, les écoles privées peuvent conclure des contrats avec l’État : elles s’engagent alors à suivre les programmes en vigueur dans l’enseignement public, en contrepartie de quoi leurs enseignants sont rémunérés par l’État, et les collectivités les soutiennent financièrement pour le fonctionnement de l’établissement.

Durant ces soixante dernières années, de nombreux dirigeants de gauche ont déclaré vouloir l’abroger, en considérant qu’elle permettait indirectement de financer certaines institutions religieuses. Cela a été le cas de Jean‑Luc Mélenchon lors des dernières présidentielles. En début de campagne, il a indiqué qu’il abrogerait « les lois Debré, Rocard et Carle qui portent sur le financement des écoles privées ». Cela répondant à sa conviction personnelle et à son souci d’attirer dans son sillage des électeurs de cette sensibilité.

En fin de campagne, lorsque les sondages l’ont amené à croire qu’il pouvait devenir le Chef de l’État, Jean‑Luc Mélenchon ne mettra plus l’accent que sur la loi Carle, beaucoup moins décisive que la loi Debré. Précisons que la loi Carle se focalise sur la prise en charge par les communes des dépenses de fonctionnement, et stipule notamment que

« si la commune de résidence ne dispose pas des capacités d’accueil nécessaires à la scolarisation de l’élève, la prise en charge de l’élève scolarisé dans une école élémentaire privée sous contrat d’association en dehors de la commune de résidence présente toujours un caractère obligatoire ».

Ce retournement peut très bien se comprendre lorsqu’on sait que plus de la moitié des familles utilisent de fait les deux secteurs pour leurs enfants et que les sondages indiquent régulièrement que les Français sont plus des trois quarts à se prononcer pour l’existence de ces deux secteurs, public et privé. Là encore, il s’agit d’une « impasse historique » dont il apparaît qu’il ne saurait sérieusement être question de sortir.

Retour sur la guerre scolaire des années 80 (INA, 1983).

Points d’interrogation

Ces observations ne signifient pas pour autant qu’il ne saurait être question d’interroger certaines des modalités d’application de la laïcité. On peut songer en particulier à l’application de la loi du 15 mars 2004 « sur le port des signes ou des tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » qui n’est nullement obligatoire pour les établissements d’enseignement privés même sous contrat.

Certes, la loi Debré garantit à ces établissements privés sous contrat leur « caractère propre ». Mais il est affirmé à l’article premier de cette loi que « l’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect de la liberté de conscience ; tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance y ont accès ».

Ou bien la loi de 2004 n’est pas jugée nécessaire pour assurer la liberté de conscience dans les établissements privés sous contrat, et alors cette loi ne doit pas logiquement être jugée nécessaire pour les établissements d’enseignement publics. Ou bien la loi de 2004 est jugée nécessaire pour assurer au mieux la liberté de conscience dans les établissements d’enseignement publics, et il faut qu’elle soit aussi d’application obligatoire dans les établissements d’enseignement privés sous contrat.

Il est d’autant plus urgent de sortir de cette négation du principe de non-contradiction lorsque certains envisagent d’étendre le champ de la loi de 2004 et de tenir un « acte II de la laïcité ». Là encore, on doit mieux percevoir combien la perte de vue du principe de non-contradiction peut générer des sentiments d’injustices, avec leurs cortèges éventuels de violences.

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