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Débat : La Convention citoyenne pour le climat… et après ?

Le 29 juin 2020, Emmanuel Macron s’adressent aux 150 citoyens de la Convention. CHRISTIAN HARTMANN/POOL/AFP, CC BY-NC-ND

Par certains aspects, la toute récente Convention citoyenne pour le climat rappelle le Grenelle de l’environnement, cet ensemble de rencontres organisées fin 2007 pour débattre et élaborer un agenda du développement durable en France.

Avec le Grenelle, le pays s’engageait pour la première fois dans un débat organisé autour de parties prenantes censées refléter la diversité de la société civile. Avec la Convention citoyenne, l’idée est de se passer des corps intermédiaires, en faisant directement dialoguer des citoyens tirés au sort, les plus représentatifs possible de la population française.

Grenelle de l’environnement : les engagements de Nicolas Sarkozy. (Ina Société, 2007).

L’exemple irlandais

Inédit en France, ce type d’exercice a été mené dans d’autres pays pour sortir du blocage des institutions politiques face à des « questions qui fâchent ». L’exemple le plus abouti est celui de l’Irlande. En 2014 puis 2016, des assemblées de citoyens tirés au sort y ont ouvert la voie de la légalisation de l’avortement et du mariage de personnes de même sexe.

Comme le Haut Conseil pour le climat, une autre création de la Macronie, la Convention citoyenne a été constituée dans l’urgence, en réaction à la crise des « gilets jaunes » qui a débuté fin 2018. Mais au lieu de travailler sur un mandat précis, sa mission ratissait très large :

« Définir des mesures permettant de réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre en France dans un esprit de justice sociale. »

Le résultat est un ensemble de 149 propositions, regroupées autour de cinq thématiques couvrant les différents aspects de nos modes de vie ; on trouve également un supplément portant sur des propositions de réforme constitutionnelle ainsi qu’un ajout sur quelques pistes possibles de financement qui ne comprend, il faut le souligner, aucune proposition chiffrée.


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Les questions qui fâchent

Le premier commentaire qui vient à la lecture des propositions est de saluer le travail accompli par les 150 citoyens composant cette « France en miniature » qui s’est réunie pendant neuf mois.

Leur rendu montre combien il est crucial de changer la façon dont nous consommons, nous déplaçons, nous logeons, nous travaillons, pour accélérer la baisse des émissions de gaz à effet de serre qui détraquent le climat. La transition climatique ne se fera pas au bon rythme sans une remise en cause de nos modes de vie.

Les citoyens ont-ils pour autant découvert un nouveau sésame permettant d’augurer une accélération de la transition bas carbone ?

Sur le plan du contenu, la quasi-totalité des propositions reformule des constats déjà bien connues des experts, en particulier de ceux, très majoritairement issus de la mouvance écologique, qui ont accompagné les citoyens. De l’accent mis sur la rénovation énergétique des bâtiments aux appels à la relance du ferroviaire, une grande partie des mesures préconisées étaient déjà présentes dans le Grenelle de l’environnement.

Et les « questions qui fâchent » ? Celle de la taxe carbone – pourtant à l’origine de la mobilisation des « gilets jaunes » et de cette démarche de convention citoyenne – a été, par exemple, évacuée. Cela permet à Emmanuel Macron de « verdir » la fin du quinquennat, au moins dans les mots, en reportant la question à plus tard. C’est une première limite de l’exercice.


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Combien de milliards pour la transition ?

Une autre limite concerne l’absence d’évaluation financière des propositions.

Une évaluation a certes été proposée par l’Institut I4CE qui a rendu public un chiffrage le 22 juin, dès le lendemain de la publication du rapport. Les dépenses publiques additionnelles sont ici estimées à 13 milliards par an, ramenées à 6-8 milliards en tenant compte du chiffrage de certaines recettes que pourraient apporter à l’État quelques-unes des mesures proposées.

Ce chiffrage peut paraître surprenant, tant par la rapidité de son exécution que par la faiblesse des montants obtenus. Emmanuel Macron s’est empressé de saisir la balle au bond en promettant la somme correspondante (15 milliards en deux ans) dans la loi de finances. Exit donc la délicate question des financements.

Ce tour de passe-passe ne peut échapper à aucun observateur rigoureux : la majorité des dépenses publiques requises pour atteindre les objectifs de la Convention citoyenne ne sont pas du ressort de l’État, mais des collectivités territoriales. Or, elles n’apparaissent ni dans le chiffrage de I4CE ni dans l’engagement du président.

Trois propositions pour la suite

La mauvaise leçon à tirer de cette première expérience de démocratie participative serait de n’y voir qu’un subterfuge permettant à la tête de l’exécutif d’enterrer à bon compte les questions difficiles en matière de transition bas carbone.

Loin d’aligner mon propos sur les commentaires parfois désobligeants qui ont accompagné la remise du travail des 150, je me permets de formuler, en tant que citoyen directement concerné, trois propositions pour la suite.

En premier lieu, ne pas enterrer la question de la limitation de vitesse à 110 km sur les autoroutes.

C’est une question qui fâche ? Précisément : c’est dans ce type de situation que la démocratie délibérative doit permettre de débloquer la décision. J’attends donc que les 150 nous éclairent sur les raisons de leur choix en la matière, pour empêcher le politique de se défausser sur l’une des mesures qui potentiellement pourrait faire gagner beaucoup de tonnes de CO2 à court terme.

En second lieu, je propose qu’on s’interroge sur les termes mêmes du mandat confié aux citoyens. L’objectif d’une baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020 ne me semble en effet pas contraignant : il est dans la stricte continuation de la tendance en vigueur depuis 2005 (voir ci-dessous). Or, il est urgent de le rehausser.

De Perthuis, CC BY-NC-ND

La bonne question est de savoir de combien… Les experts ont bien sûr leur opinion sur cette question qui ne manquera pas, elle aussi, de fâcher. Pourquoi ne pas poser la question aux 150 ?

En troisième lieu, soulignons que la réponse d’Emmanuel Macron à la Convention oppose de façon caricaturale l’approche des citoyens à celle de la décroissance. Telles qu’elles sont formulées, les propositions des 150 éludent en effet la question.

Quand on accélère la transition bas carbone, on génère de nouveaux investissements et des emplois qui sont favorables à la croissance. Simultanément, on accélère le désinvestissement des énergies fossiles ; cela a un coût économique et social qui bride l’activité. Où est ce coût dans les propositions des 150 et comment le minimiser en finançant les reconversions ?

Voilà une nouvelle question difficile qu’il faudrait soumettre à la délibération citoyenne.

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