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Débat : Le plaisir de lire, au programme du bac de français ?

Poésie, théâtre, roman et littérature d'idées sont les grandes catégories autour desquelles s'organisent les programmes de français au lycée. Shutterstock

Du choix d’ouvrages aux formats originaux en passant par le partage d’histoires ou d’ateliers ludiques autour de l’écrit, parents et éducateurs rivalisent d’énergie pour aider les jeunes générations à tisser de solides liens avec les livres. Promouvoir la lecture comme plaisir, tel est le leitmotiv qui anime bibliothèques, salons du livre et campagnes du ministère de la Culture.

Comment l’école soutient-elle ce rapport au livre ? Comme nous l’avons rappelé dans un précédent article, plusieurs usages et définitions de la lecture s’y côtoient : la lecture en tant que compétence, dont les bases sont posées lors des premières années de maternelle et primaire, la lecture comme outil de connaissances, et donc moyen d’accéder à d’autres disciplines, ou encore la lecture patrimoniale, courroie de transmission d’un bagage culturel.


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De ce dernier point de vue, le lycée constitue une étape clé, et la réforme du bac qui se met en place change la donne. Alors que les nouveaux programmes de lettres ont soulevé de multiples réactions dans le corps enseignant quant à leur lourdeur, penchons-nous sur la vision de la lecture qu’ils portent.

« Connaissances linguistiques »

La moitié du Bulletin officiel consacrée à la présentation du programme de français de seconde générale et technologique est consacrée à « l’étude de la langue au lycée ». Cette attention au « travail sur la langue » est donc fortement affirmée alors que les horaires dédiés à la discipline n’ont pas augmenté.

Les enseignants qui sont entrés dans le métier par goût pour la littérature doivent désormais améliorer la compréhension et l’expression écrite et orale des élèves ainsi que leur transmettre des « connaissances linguistiques ». Il s’agit de prolonger l’esprit du socle commun de culture et de connaissances du collège de façon à ce que, y compris les élèves qui ne suivront pas une voie « littéraire », s’expriment du mieux possible.

Que vont penser les élèves de cet accent mis sur la langue ? Ils ont quitté le collège et s’y trouvent maintenus en quelque sorte, alors qu’ils entrent dans un âge de questionnement personnel. Et ces programmes ne sont pas seulement théoriques. La présentation de l’épreuve de français place en premier « la maîtrise de la langue et de l’expression » pour l’écrit et rappelle que, pour l’oral, les enseignants doivent « apprécier la qualité de l’expression orale du candidat ».

Un corpus structuré verticalement

Les programmes de français du lycée n’oublient toutefois pas la « culture littéraire » et il s’agit de fournir des « connaissances solides » qui recouvrent notamment l’analyse et l’histoire littéraire. Dans cet objectif, ils ont été conçus en partant d’une vision de la production littéraire étalée du Moyen-âge au XXIe siècle.

Quatre « objets d’étude » ont été retenus et placés au même rang : la poésie, le théâtre, la « littérature d’idées et la presse » ainsi que « le roman et le récit ». Entre la seconde et la première, les élèves doivent balayer ces vastes domaines.

Le plaisir peut naître si les élèves décident de penser avec les catégories du programme. Certains y parviendront sans doute mais beaucoup regarderont ce « plaisir » leur échapper ne parvenant pas à s’inscrire à titre personnel dans un univers construit pour eux et non par eux.

Il suffit de se tourner vers la dernière enquête du CNL sur les jeunes et la lecture. En 2018, les adolescents entre 15 et 19 ans citent d’abord les romans (67 %) puis les mangas (38 %) et les BD (36 %) comme genres de livres lus dans l’année. Le théâtre, la poésie, la « littérature d’idées » sont absentes de l’univers de leurs pratiques. Et parmi les romans, ils citent presque autant la science-fiction (31 %) et le fantastique (30 %) que les « grands classiques » (34 %).

Sans partir nécessairement des pratiques des élèves, il serait concevable de choisir des thèmes (l’amour, l’altérité, le fantastique, etc.) à partir desquels se tisseraient des liens entre la « culture littéraire » et leur propre univers du livre.

« Oui, les jeunes lisent », par Vincent Monadé, président du Centre national du livre (CNL).

Un élève idéal

Ce choix vertical repose sur une conception de l’élève comme réceptacle de programmes dont ils sont les destinataires. Et, en l’espèce, son portrait idéal revient à dessiner celui des concepteurs des programmes à la fois cultivés et forts d’une grande qualité d’expression.

Les instructions témoignent de cet écart non seulement par le type de livre à lire mais aussi à travers le nombre de livres à lire. En seconde, les élèves doivent lire 4 livres (un par « objet d’étude ») et 3 œuvres en « lecture cursive » et huit en première (4+4).

D’après l’enquête du CNL de 2018, les collégiens et lycéens déclarent lire 5,3 livres par an dans le cadre de leurs études (contre 8,9 pour leur loisir). On peut donc dès à présent prédire que nombre d’élèves ne liront pas deux à trois des livres au programme.

Plutôt que de prendre acte du rapport des jeunes à la lecture scolaire, les textes officiels maintiennent l’illusion d’une forte intensité de cette pratique, ce qui permet de concevoir des programmes « ambitieux ».

Changement de cap ?

Depuis les années 1970 et l’émergence du problème social de l’illettrisme, l’institution scolaire envisage la lecture comme une pratique qu’il s’agit de susciter. Se développe l’idée que la prescription de lectures peut avoir un avoir un effet repoussoir sur l’ensemble de la pratique.

Max Butlen a montré comment cette vision soutenue par les bibliothèques s’est imposée dans le cadre scolaire. Et encore dans les programmes du collège de 2008, figurait cette demande : « le professeur cherche à susciter le goût et le plaisir de lire ».

Les textes officiels des programmes du collège de 2015 voient déjà la disparition de cette demande. Le plaisir ne trouve plus sa place que dans l’éducation physique et sportive, les arts plastiques ou l’éducation musicale. Il subsiste toutefois l’idée que les élèves doivent prendre « goût à la lecture » pour acquérir une « culture littéraire ». Dans les derniers programmes de lycée, le plaisir de lire a cédé la place au « plaisir de la littérature ».


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Autrement dit, le plaisir de la lecture se retrouve réduit à celui du corpus prescrit. Et il n’est pas certain que les enseignants puissent leur insuffler ce plaisir tant ils sont eux-mêmes soumis. Ils n’ont pas le choix des œuvres et doivent piocher parmi une liste de trois titres imposés pour chacun des objets d’étude et renouvelés (par moitié tous les ans) du patrimoine scolaire. Difficile de s’investir personnellement dans des textes qui changent si souvent. Le rythme de renouvellement des œuvres au programme fait actuellement l’objet de discussions.

Ainsi, le nouveau programme du bac de français marque une distance avec le discours dominant du « plaisir de lire » et les élèves vont devoir apprendre à composer avec cet état des lieux, et à conjuguer les classiques des programmes avec les BD, mangas, et écrans de leurs loisirs.

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