L’écriture inclusive – ou langage épicène – vise à rendre les langues neutres du point de vue du genre, et ainsi à aider les femmes à se sentir davantage concernées et impliquées dans la communication écrite. Comme pour la féminisation des noms de métiers (écrivaine, députée, etc.), il s’agit de mettre à contribution la morphologie flexionnelle telle qu’on l’écrit, dans le but d’améliorer la visibilité des femmes dans la vie publique et de rééquilibrer leur position dans la société.
En français, cette démarche se traduit notamment par l’usage de graphies du type étudiant·e·s, inscrit·e·s, etc., qui a fait l’objet d’une recommandation du Haut Conseil à l’égalité en 2015. Qu’elle soit efficace ou non pour l’émancipation des femmes, l’écriture inclusive n’en est pas moins sujette à des réactions passionnelles et à de virulents discours idéologiques – pour preuve cette condamnation officielle de l’Académie française il y a quelques jours. À en croire les immortel·le·s – qui comptent quatre femmes pour trente hommes, « la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures ».
On peine à concevoir comment le français dans son ensemble, a fortiori le français parlé par quelque 270 millions de locuteurs selon les estimations officielles, pourrait se voir exposé à un « péril mortel » par la simple adoption de nouvelles conventions graphiques. Des écritures inclusives ont cours dans des langues de grande communication telles que le portugais, l’espagnol, l’allemand ou l’anglais, sans que ces dernières ne donnent aucun signe de « péril mortel ». On sait en outre que loin d’être en péril, le français conquiert au contraire du terrain, en France comme dans l’Afrique dite « francophone », aux dépens de centaines de langues autochtones en danger avéré de disparition. L’État français et l’Organisation internationale de la Francophonie y travaillent sans relâche, en investissant chaque année des sommes colossales dans sa promotion.
Au-delà de la querelle inclusive, cette condamnation s’inscrit dans la lignée d’interventions hostiles, de la part de l’Académie, à l’égard de la féminisation des noms de métiers, de la promotion des langues régionales, de l’usage de l’anglais dans les institutions internationales, du franglais, du « néo-argot des banlieues », ou de la rectification orthographique recommandée par le Conseil supérieur de la langue française. L’Académie coche ainsi toutes les cases, ou presque, des différents discours idéologiques dominants analysés en sociologie du langage : pour la variété normée du français sur laquelle elle prétend exercer le monopole, contre les autres langues et variétés orales ou écrites de français, jugées illégitimes et menaçantes.
Dans cette « solennelle mise-en-garde » adoptée à l’unanimité contre l’écriture inclusive, les sociolinguistes reconnaîtront côte à côte discours de mise-en-péril, purisme et idéologie de la langue standard. L’écriture inclusive y est envisagée comme étrangère à la langue, impure et animée par des visées impures. Elle remet en question la norme écrite standard par l’ajout de « formes secondes et altérées », aboutissant à une « langue désunie, disparate ».
De tels discours idéologiques, s’agissant du français comme d’autres langues dominantes, s’interprètent comme constitutifs de la reproduction des élites : il s’agit en définitive de défendre le monopole sur la norme standard exercé par des classes dirigeantes majoritairement masculines, pour mieux légitimer leur accès exclusif au pouvoir.