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Débat : Les colonies de vacances, tremplins vers une société durable ?

Dans une colonie de vacances, on ne vient pas seulement se divertir mais aussi apprendre à « faire ensemble ». Shutterstock

Aujourd’hui, l’organisation des colonies de vacances se rapproche de plus en plus du tourisme de masse des grands centres – un modèle en crise actuellement. Elles s’achètent sur des catalogues, où l’on trouve toujours plus d’activités, de thématiques, de destinations éloignées, d’apprentissages scolaires (notamment linguistiques) ou de sports à risque.

La vie collective y est réglée sur des rituels des années 50, l’alimentation sous-traitée à l’agro-industrie, les animateurs, saisonniers, sont payés à la journée et les personnels techniques payés au smic pour faire l’entretien et la restauration. Des personnes qui ne se connaissent pas s’y croisent et vivent ensemble dans un même lieu durant un à deux semaines sans parfois se rencontrer.

On en oublierait que les colonies de vacances ont été, dès le Front populaire, un outil de politique publique accompagnant les grandes transitions : la promotion de la santé et de l’éducation, au début du XXe siècle, la reconstruction à l’après-guerre, la société du loisir dans les années 60 ou la crise des banlieues dans les années 80. Les résultats n’ont pas toujours été à la hauteur des espérances, mais ces séjours ont toujours eu pour ambition de « faire société ».

À l’heure de la transition écologique, où il s’agit de construire une société apaisée, plus respectueuse de la planète et des personnes, pourquoi ne pas miser à nouveau sur les colonies de vacances ? Comment peuvent-elles répondre aux défis actuels ? Des travaux pédagogiques en cours apportent un éclairage sur leur marge de manœuvre.

Pédagogies du « care »

Suite à l’appel à projets Génération Camp Colos lancé par le ministère de la Jeunesse et des Sports, et visant à promouvoir des initiatives innovantes, la Maison de Courcelles (un organisme situé en Haute-Marne et prônant la liberté et la responsabilité des jeunes) a décidé de travailler sur la rencontre et le bien-être dans ses séjours. Pour ce faire, elle a mis en place des « cartes sensibles ».

Objectif : permettre aux enfants de dire et montrer quels sont les lieux où ils sentent bien et les lieux où ils se sentent mal. Car même dans une colonie où les enfants parlent, circulent et co-construisent, où l’équipe est vigilante, nombreuse et attentive, il peut y avoir des espaces de mal-être… Avec l’appui des réflexions du géographe Yves Raibaud, et de la politologue féministe Joan Tronto, cette expérience nous aide à jeter les premières bases de ce que nous appellerons les pédagogies du « care ».

Enjeux politiques

« Une école préfigure toujours un projet de société : elle est « prépolitique », selon les mots de Philippe Meirieu. Et c’est sur le même plan qu’il faut envisager les colonies de vacances, nous semble-t-il. Une colo, à l’image des républiques d’enfants des années 50, peut aussi aussi préfigurer ce que l’on veut comme société pour demain.

Comme l’explique Cynthia Fleury, éduquer et soigner sont les gestes paradigmatiques de la démocratie. Prendre soin des personnes fragiles construit les solidarités et tisse les liens du faire-ensemble. Prendre soin des enfants en les considérant comme sujets ouvre à la participation et à la co-décision.

Si le projet prépolitique des colos était de prendre soin des autres et des communs, de ce que nous avons tous en commun la Terre, il y aurait là un projet politique répondant aux enjeux cruciaux pour demain.

Dérives du marché

Si le libéralisme se traduit par une augmentation de la bureaucratie et des processus de management (T. Le Texier), alors on peut dire que les colonies ont totalement basculé dans ce modèle, entre méthodologie de projets, labellisation, démarche qualité, classifications administratives, etc. Tout ceci cherchant à rassurer le client-consommateur afin de démontrer l’utilité et les avantages de ce type de vacances : « En colo, j’ai confiance » disait une campagne de communication en 2015.

Joan Tronto explique que cette façon de limiter les risques en légiférant, en les vendant (assurances), en contrôlant, en protégeant les institutions contre les personnes accueillies s’oppose à une société du « care » qui, elle, accepte de prendre le risque de la rencontre.

Dans la suite de la pensée de J. Tronto, les pédagogies du « care » ne peuvent se construire que dans un rapport non marchand avec les personnes (ce qui ne signifie pas démonnaitarisé), basé sur la confiance, et sur l’idée que nous allons « faire ensemble au risque de »…

Attention aux adultes

Rappelons ici qu’un animateur de colonie travaille dans le cadre d’un contrat d’engagement éducatif sur une base de 16 heures par jour, six jours par semaine, pour un salaire minimum de 25 euros par jour. Un directeur travaille sur les mêmes bases avec un salaire un peu supérieur.

Tant que les colonies de vacances étaient organisées par des mouvements apportant formation, vie associative, bénévolat et apprentissage à la responsabilité, ce type de contrat pouvait s’entendre. La richesse était bien davantage humaine que pécuniaire. Mais dès lors que les employeurs deviennent Société Anonyme, Société coopérative ou Groupe associatif, les logiques changent.

Ne faudrait-il pas envisager un modèle plus durable ? Il s’agirait d’associer les jeunes, les équipes, à la réflexion, à la construction, et de préparer (et donc payer) la rencontre avant la colonie. Prendre soin des adultes, c’est construire avec chacun ce que l’on a de commun et ce que l’on va décider et gérer en commun.

Sources d’inspiration

À Courcelles, l’un des lieux de mal-être identifié était la salle à manger ou plutôt le réfectoire. On ne pouvait pas dire que c’était à cause d’un placement imposé, puisque les enfants y mangent avec qui ils veulent, entre 12h et 14h. Les deux raisons invoquées étaient le bruit et le contenu de l’assiette…

Si l’organisme a décidé de travailler avec des acteurs locaux et construit un projet ambitieux autour de l’alimentation (avec la construction notamment d’un four à pain et la mise en place de circuits courts), des difficultés majeures subsistent. Qui sait faire de la cuisine de restauration collective en Haute-Marne à partir de produits non transformés et non fournis par l’agro-industrie ? Qui est formé pour guider les enfants vers des plats dont ils n’ont pas l’habitude ? Il faudrait donc (re)former cuisinier et aide de cuisine au plaisir de faire, de faire avec les enfants les plats collectifs.

Dans d’autres colonies de vacances, le réfectoire est aussi un lieu de mal-être, puisqu’il est le lieu des discriminations : « ils sont où les sans porc, les sans viandes, les végés ? » Autant de comportements d’adultes ou de carences de notre société qui a perdu l’habitude de la discrétion, de l’attention, de la douceur, notamment pour les personnes vulnérables.

Seules, les colonies ne peuvent corriger les défauts de la société. Mais elles peuvent aider à penser des pédagogies de « care » qui feront école, dans la lignée de grands pédagogues avaient fait en leur temps : inventer des modèles en colo pour ensuite les diffuser dans l’école (Oury), le travail social (Korczak, H et H Julien), les mouvements de jeunesse (Baden-Powel, K. Lowenstein) ou la médecine (Lestradet).


Cet article a été co-écrit avec Louis Létoré, directeur de la maison de Courcelles.

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