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Salle de cours de business school. ay Cross / Flickr, CC BY

Débat : Les écoles de commerce doivent-elles devenir des entreprises comme les autres ?

Alors que les écoles de commerce post-prépa sont en train de quitter le giron des chambres de commerce et de passer du statut d’un simple service consulaire à celui d’association ou, plus récemment, d’établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC) avec leur reconnaissance comme personne morale, elles deviennent autonomes sur le plan de leur gestion et doivent revoir leur mode de fonctionnement.

De l’enseignement à la fixation d’un budget et l’atteinte d’un chiffre d’affaires

La première conséquence de cette autonomie est symbolisée par le déploiement d’un vocabulaire financier issu de l’entreprise : « chiffre d’affaires », « plan d’investissement » et désormais, malgré leur mission d’intérêt général (et bien que le mot profit ne soit pas encore vraiment prononcé), elles se doivent de dégager une « marge opérationnelle » afin de financer leurs investissements.

Bien sûr, les tensions sont fortes, entre des acteurs qui vivent la budgétisation de leurs activités comme une contrainte et ceux qui intègrent la nécessité de rentrer dans des processus comme un préalable au développement des écoles de demain.

Les capacités de leadership des directeurs d’école vont ici faire la différence – entre ceux qui savent convaincre et mobiliser leurs équipes et ceux qui continueront à utiliser un leadership autocratique et bureaucratique issu d’un passé pourtant révolu, la (dé)/motivation des équipes fera toute la différence…

De l’efficience à l’efficacité

Cette différence se fera aussi par un changement de paradigme syntaxique : le passage de « l’efficience » (gestion optimale des ressources) à celui de l’efficacité (atteinte des objectifs).

Aujourd’hui, les écoles de commerce ne peuvent plus simplement gérer leurs ressources ; elles commencent à se fixer des objectifs économiques, non seulement en termes de recrutement d’étudiants, mais aussi de chiffre d’affaires et pour atteindre ce deuxième objectif, elles doivent se montrer « efficaces », c’est-à-dire faire mieux que les écoles concurrentes, en offrant plus de valeur à leurs « clients » – comme le monde de l’entreprise.

Bien sûr, comparer les étudiants à des clients va faire hurler les bonnes âmes et pourtant, par certains aspects, les écoles de commerce qui réussiront seront celles qui travailleront sur la « satisfaction » client, c’est-à-dire la satisfaction de leurs étudiants.

Je ne parle ici ni de démagogie ni de clientélisme ; au contraire, d’une exigence académique qui va de pair avec une excellence dans le service fourni.

Les écoles de commerce (post-prépa) pourraient faire pâlir de jalousie n’importe quelle entreprise car leurs clients sont captifs… Dès qu’ils entrent en classes préparatoires, ils deviennent des étudiants potentiels pour les écoles de commerce… Ce n’est pas pour autant que les écoles ne doivent pas appliquer les règles et les méthodes que leurs meilleurs chercheurs préconisent pour les clients des entreprises : il existe en effet pléthore d’articles académiques sur « l’expérience client »…

Les écoles qui réussiront demain seront celles qui travailleront vraiment sur cette « expérience étudiants », avec le même professionnalisme que certaines entreprises vis-à-vis de leurs clients.

Un directeur d’une école du Nord-Ouest de la France se réjouissait d’un taux de satisfaction de 80 % de ses diplômés à la sortie de l’école, mais il occultait le fait que certains étudiants ne s’expriment pas avec sincérité car ils ne veulent pas endommager la marque de leur école qui est intimement liée à leur employabilité.

Les écoles les plus performantes seront celles qui s’interrogent déjà sur le taux de satisfaction de leurs étudiants, même s’il paraît bon, et qui cherchent à élaborer un vrai diagnostic sur les points majeurs d’insatisfaction et à y remédier ; comme les entreprises fournisseurs travaillent sur des actions correctives dès qu’un client industriel leur signale un dysfonctionnement afin d’atteindre le 0 défaut…

Certaines écoles investissent énormément en publicité et en actions de communication et négligent l’importance du bouche-à-oreille. Les étudiants « vraiment » satisfaits sont les meilleurs ambassadeurs des écoles.

De la recherche à l’enseignement

De plus en plus d’écoles cherchent à définir leur mission et leur stratégie, mais par-delà ce qui s’avère souvent n’être que des actions de communication, elles ont oublié que la formation était leur première mission et qu’elles l’ont souvent remplacée par la recherche. La dérive du « tout recherche » a déjà été dénoncée.

Comme les entreprises les plus performantes sont celles qui ont clairement défini leur mission et aligné leurs processus sur les objectifs qui découlent de cette mission, les écoles les plus performantes seront aussi celles qui sauront lier l’exigence de recherche, afin de répondre aux critères des accréditations et des classements, avec leur mission d’enseignement.

Or, l’enseignement est vraiment le parent pauvre dans la plupart des écoles et particulièrement les post-prépas… La part variable de la rémunération des enseignants-chercheurs n’est souvent liée qu’à la recherche. Plus préoccupant, peu de séminaires ou d’ateliers sont vraiment dédiés à la pédagogie – mis à part des formations sur des outils spécifiques – et peu de remédiation est proposée aux jeunes professeurs dont les cours rebutent parfois les étudiants.

Dans l’enseignement secondaire, on trouve des lieux d’apprentissage pour les futurs professeurs de l’Éducation nationale (IUFM devenus ESPE), certes la qualité de la formation est souvent discutée, mais on y apprend à créer un cours, formater des séquences pédagogiques et différencier des modes d’apprentissage.

Or, la plupart des écoles de commerce n’offrent ni formation pédagogique de base ni même une simple introduction pour les professeurs étrangers au système et à la culture de l’enseignement français.

Beaucoup d’entreprises ont depuis longtemps mis en place des systèmes de tutorat ou de « lead user » (utilisateur formateur) qui favorisent l’apprentissage au sein d‘un groupe ; une forme d’apprentissage et d’échange de bonnes pratiques qui aurait toute sa place en école de commerce.

En s’inspirant du mode de fonctionnement des entreprises, non seulement les écoles de commerce peuvent y trouver un moyen de marquer leur leadership, mais elles peuvent entrer dans ce cénacle qui ne leur est pas toujours facilement accessible à ce jour.

Quand l’entreprise parle à l’entreprise

Suite à son article, « Alerte sur l’enseignement supérieur de gestion français », Michel Albouy répond à un commentaire avec la phrase suivante :

« il faut que l’Etat et les entreprises (privées et publiques) cotisent davantage à la formation des cadres gestionnaires qu’elles recrutent. Mais comment leur faire entendre raison ? »

L’idée de contraindre les entreprises à « cotiser » pour la formation de leurs futurs salariés semble difficile à mettre en place ; d’autant plus que leur niveau de charges est déjà très élevé…

Pourquoi ne pas plutôt se demander comment les écoles de commerce peuvent mieux répondre aux besoins des entreprises, ce qui inciterait ces dernières à être davantage parties prenantes ?

Le développement ces dernières années de nombreuses universités d’entreprise ne semble pas avoir soulevé de questionnement au sein des écoles… Si certaines écoles ont pu offrir une complémentarité, beaucoup d’universités d’entreprises se développent indépendamment du monde des écoles de commerce. Pourquoi ?

L’enjeu immédiat pour les écoles de commerce est de s’insérer dans la culture de l’entreprise pour mieux dialoguer avec ceux qui devraient être considérés comme… ses « clients finaux ».

Certains fournisseurs du monde automobile (Bosch, Valéo, etc.) se sont rendus (presque !) indispensables à leurs clients en anticipant leurs besoins et en misant sur l’innovation… Pourquoi les écoles de commerce ne pourraient-elles pas se situer sur une chaîne de valeur verticale en considérant ses « clients finaux » comme point de mire ?

Cela suppose de se poser des questions qui sont parfois en dehors de la zone de confort de certains acteurs…

Les écoles post-prépa sont passées en quelques décennies d’un modèle de corps professoral uniquement « praticiens » à un modèle qui tend vers de « purs » académiques et elles convergent vers le modèle universitaire. Est-ce vraiment leur mission ?

Combien d’enseignants-chercheurs dans les écoles post-prépa peuvent véritablement dialoguer avec un dirigeant d’entreprise ou un cadre supérieur en démontrant une vraie compréhension de ses problématiques ? Non pas que tous doivent être amenés à le faire, mais quand le nombre de ceux qui sont à l’aise pour dialoguer avec un dirigeant d’entreprise tombe à moins de 10 % des enseignants-chercheurs d’une école, il faut peut-être s’interroger sur l’alignement des ressources et de la mission de l’école…

Certes, de nombreux middle-managers sont en relation avec les écoles de commerce, mais hormis celles du top 5, trop peu de dirigeants ou de top-managers sont actifs auprès des écoles, or, ce sont eux qui détiennent le pouvoir de financement.

Si l’on transpose le modèle de chaîne de valeur de Porter aux écoles de commerce, les enseignants-chercheurs sont au cœur de ce modèle dans l’activité qui crée la valeur ajoutée – à partir du moment où toutes convergent vers un niveau élevé de publications académiques, leur niveau de connexion avec des décisionnaires en entreprise peut devenir un nouvel avantage concurrentiel.

Questions sur le contenu de la formation

En marketing, les programmes Grande École forment des cohortes de chefs de produits, mais combien forment leurs étudiants à travailler dans le marketing industriel et non des produits de consommation ?

Alors que les entreprises vivent de plein fouet la transformation digitale de leur business model, combien d’écoles ont à ce jour structuré et intégré le digital de manière transversale dans leurs enseignements ? (Je ne parle pas ici de formation spécifique aux métiers du digital).

Les écoles post-prépa sont en outre souvent absentes en termes de formation, dans leur programme Grande École, sur des métiers où les entreprises ont des besoins qui se développent, tels que les métiers de la vente complexe ou à des clients stratégiques.

Les entreprises sont à un point de rupture entre le besoin de travailler de manière transversale (dans une approche projet) et la logique du pouvoir vertical ; leur organisation est de plus en plus matricielle.

Les écoles devraient, elles aussi, « casser » leur modèle d’organisation verticale de la faculté par département et adapter un mode de gestion plus matriciel où les professeurs resteraient rattachés à un département mais ils seraient aussi rattachés au programme où ils enseignent le plus (programme Grande Ecole, Bachelor, MBA, etc.) afin d’être davantage partie prenante dans la création de valeur des formations.

Très souvent, seul le directeur du programme a une vision d’ensemble, les professeurs ne savent pas toujours quels sont les autres cours du programme ni même les collègues qui y enseignent.

En créant une équipe resserrée sur le programme et en travaillant la transversalité et la complémentarité des enseignements, les écoles pourraient mieux préparer les étudiants à la transversalité qui est en place dans les entreprises et ce serait une façon pragmatique de piloter et d’orienter la recherche, sans contrainte, afin qu’elle vienne irriguer les enseignements et s’intègre mieux aux besoins de formation des entreprises.

Une nouvelle analyse des classements

Michel Albouy, dans l’article référencé ci-dessus, voit le signe d’une perte de compétitivité des écoles dans le fait que « toutes » (sauf HEC qui se maintient au même rang) ont perdu des places dans le classement 2017 des masters de management du Financial Times. (En fait, Kedge Business School a gagné deux places ; elle est de facto la seule école française à progresser dans ce classement).

Il faut aussi souligner que le Financial Times a revu ses critères de classement 2017 par rapport à 2016 et en particulier, il a inclus un nouveau critère, basé sur l’évolution du salaire des diplômés trois ans après leur sortie de l’école.

Pour remonter dans ce classement, les écoles vont devoir s’intéresser davantage aux grilles de salaires des entreprises et surtout aux métiers en tension qui positionnent les jeunes cadres sur des pentes salariales intéressantes : certaines pourraient ainsi trouver un intérêt à revoir leurs programmes et à s’intéresser, par exemple, enfin à la formation au métier de commercial business-to-business (où la part variable du salaire crée de facto une augmentation sensible de ce dernier sur les premières années)…

En conclusion, beaucoup d’études et d’articles se montrent alarmistes sur l’essoufflement du modèle des écoles de commerce, mais peu d’écoles s’éloignent du mimétisme général du « tout recherche » pour transformer progressivement la culture de leur école vers une vraie culture d’entreprise.

Or, en devenant une « entreprise » comme les autres et en se positionnant comme « partenaire » et « fournisseur » du capital humain de nos entreprises industrielles et de service, les écoles devraient pouvoir trouver un nouveau souffle et amener progressivement les entreprises à s’impliquer davantage.

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