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Débat : N’oublions pas l’importance sanitaire et sociale des cantines scolaires !

En 1937, la secrétaire d'Etat à l'Education nationale fait décréter qu'il est obligatoire d'inclure un réfectoire à chaque nouvelle construction d'école. Shutterstock

La préoccupation sanitaire quasi exclusive accordée à la lutte contre la contamination virale du Covid-19 avait conduit initialement les rédacteurs du projet de protocole pour la réouverture des écoles à recommander que la restauration scolaire se fasse dans chaque classe. Les regroupements dans les cantines étaient en effet considérés comme des facteurs de risques importants, dans la lignée même des avis du Conseil scientifique.

Cette recommandation n’a finalement pas été retenue dans la version officielle définitive, publiée le 3 mai. Et on peut le comprendre si l’on a bien en tête que les cantines scolaires jouent un rôle à la fois sanitaire et social qui a d’ailleurs été au fondement même de la politique nationale menée pour leur développement.

À cet égard on devrait, dans notre situation, être tout particulièrement sensible au contexte et à la nature de l’appel fait en 1917 par le professeur Albert Calmette (bactériologiste connu pour la mise au point de la vaccination « BCG » contre la tuberculose) face à l’afflux dans les hôpitaux d’enfants insuffisamment nourris et susceptibles de devenir tuberculeux :

« Les cantines scolaires doivent être développées, multipliées, rendues obligatoires dans toutes les écoles parce qu’il est tout à fait indispensable d’assurer aux enfants du peuple une nourriture saine et suffisante pour leur développement physique ; c’est un devoir national. »

Qualité nutritive

L’appel du professeur Calmette n’a été suivi d’un début de réalisation concrète qu’en 1936, sous l’impulsion de l’une des trois premières femmes à avoir fait partie d’un gouvernement (celui de Léon Blum, sous le Front populaire), à savoir Cécile Brunschvicg, secrétaire d’État à l’Éducation nationale « chargée de l’hygiène scolaire et de la vie sociale de l’enfant » – un intitulé ô combien unique et significatif…

En 1937, après enquête, Cécile Brunschvicg publie un rapport ministériel intitulé « la question de l’alimentation au ministère de l’Éducation nationale : les cantines scolaires » qui fera date ; et elle fait décréter que désormais il y aura obligation de construire un réfectoire dans toute nouvelle école.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une instruction du 30 août 1949 du ministre de l’Éducation nationale Yvon Delbos encourage la construction des cantines scolaires en permettant à l’État de subventionner la moitié des dépenses de construction des locaux qui leur sont affectés. Le même jour, une autre instruction introduit les premières orientations nutritionnelles en posant quelques principes quant à la nature des aliments, leur diversité, leur qualité nutritive et leur quantité.

Au cours du temps les réglementations relatives à l’hygiène et à la qualité nutritionnelle se renforcent, notamment avec les circulaires du 6 mars 1968 et du 9 juin 1971, et l’arrêté du 26 juin 1974.

Plus récemment, le décret du 30 septembre 2011, accompagné par l’arrêté du ministre de l’Éducation nationale pour les cantines scolaires, s’est attaché à préciser le principe de la variété des repas en leur assignant une nouvelle mission d’éducation au goût.

Les repas des cantines scolaires doivent désormais être élaborés sur le fondement d’une vingtaine de menus consécutifs valorisant notamment les crudités, les légumes cuits, les produits laitiers, la viande et le poisson au détriment des fritures, des préparations à base de viande hachée, des pâtisseries et des plats préparés.

Protocole officiel

In fine, en ce mois de mai 2020, quelles sont précisément les recommandations en matière de restauration scolaire du « Protocole sanitaire » qui vient d’être publié ?

Dans la fiche consacrée à la « Gestion de la demi-pension à l’école élémentaire », ce protocole prévoit le cas de la restauration « à la cantine ou au réfectoire ». Le « respect des mesures sociales de distanciation » doit être appliqué à « tous les contextes », du « temps de passage », à « la circulation », et à « la distribution des repas », ce qui implique de revoir l’organisation des plannings pour « limiter au maximum les files d’attente et les croisements d’élèves dans les couloirs ».

Si l’accès aux locaux habituels n’est pas possible, « la restauration pourra se faire en salle de classe sous la surveillance d’un adulte et sous forme de plateaux ou de paniers repas », dans le respect des règles d’hygiène et du respect de la chaîne du froid

Le protocole revient sur les gestes barrières essentiels : lavage des mains, port du masque par les personnels, désinfection du mobilier ou encore gestion des déchets.

Interrogé le 29 avril dernier sur BFMTV et RMC, le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer a expliqué que « parfois, on demandera aux élèves de venir à l’école avec leurs repas déjà préparés », lorsque le réfectoire reste inaccessible. Voilà qui interroge d’autres déclarations plus anciennes où l’une des justifications majeures du retour à l’école était que les enfants de milieux socialement défavorisés pouvaient souffrir tout particulièrement du confinement sur le plan de l’alimentation, voire même être en état de manque nutritionnel.

Jean‑Michel Blanquer, sur BFM/RMC, le 29 avril 2020.

Les différents acteurs des mises en œuvre concrètes du protocole devraient y réfléchir à deux fois avant d’écarter d’emblée la voie de la cantine scolaire et, en conséquence, le progrès qu’elle représente historiquement, même si cela reste à parfaire.

Cela ne veut pas dire qu’on reviendrait alors à la situation qui a précédé la politique nationale de développement des cantines scolaires, car l’histoire ne se répète jamais à l’identique.

Les élèves de la communale éloignés de chez eux apportaient chaque matin un panier ou une musette où se trouvait leur nourriture qu’ils déposaient sous le préau ou à l’entrée de la classe. Il y avait pour certains du pain, un morceau de viande, un fruit et un peu de vin ou de cidre augmenté d’eau. D’autres n’avaient ni vin ni cidre ni viande ; et parfois pas assez de pain. Repas froid ou bien réchauffé sur le poële lorsque l’instituteur ou l’institutrice le permettait. Et il était pris généralement sous le préau, et souvent, sans couverts.

On n’en sera sans doute pas là. En tout cas, pas tout à fait. Mais il y aura dans ce cas, comme dans la situation d’antan sans cantines scolaires, de nombreux problèmes de disparités.

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