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Débat : oui à l’information des élèves, non à l’orientation

Giò : « Orientierungslos » (sans orientation). Giò / Flickr, CC BY

Oui à l’information des élèves à l’entrée du supérieur, non à l’orientation. Et moins encore à cet impératif catégorique qui veut que l’on recherche à tous crins à orienter les futurs étudiants, à les mettre dans les bonnes cases ; c’est-à-dire là où il y a de l’emploi (un rêve de politique), et à les détourner des mauvaises cases, ces filières qui ne débouchent sur aucun métier (un cauchemar de politique).

Ce que je veux dire – et à l’heure où l’on s’intéresse aux recherches en neurosciences dans le domaine de l’éducation, il est étonnant qu’on ne prenne pas en compte les étapes normales du développement de l’individu – c’est qu’on oublie l’essentiel.

Qui peut dire sérieusement à 18 ans ce qu’il veut faire de sa vie

D’une part, à 18 ans, il est normal de ne pas toujours savoir ce que l’on veut faire. Et c’est heureux ! Les choses ne se font pas d’un claquement de doigts ou d’un geste du menton. Elles mûrissent petit à petit, par essai et erreur. Elles sont le résultat de tentations et de tentatives, d’objets de rencontres, d’expériences. Comme elles sont aussi et parfois, et il faut l’accepter, d’une part de hasard.

D’autre part – et là est l’essentiel – une grande Nation est avant tout une Nation qui encourage, respecte et prend en compte les désirs (ici professionnels) de la jeunesse. Si elle les met sous le boisseau, les éteint ou les cadenasse, ce qui revient au même, par instrumentalisation de leurs choix, elle va au plus court, et le plus court c’est toujours l’expression d’une forme de totalitarisme.

La tentation de l’instrumentalisation est toujours une tentation totalitariste

Cette tentation n’est pas l’apanage de la gauche, de la droite, ou aujourd’hui de la majorité. Elle est consubstantielle aux politiques dès lors qu’ils oublient l’essentiel : mettre ou remettre, et pour de bon, les hommes et les femmes – les citoyens – au cœur de leurs préoccupations. Ce qui veut dire : préférer l’intérêt général c’est-à-dire l’ensemble des intérêts des hommes et des femmes que je dirige à mes seuls intérêts.

Contre le mirage du meilleur des mondes

Cette tentation totalitariste est récurrente. Nous avions déjà eu un bon aperçu de celle-ci avec le tirage au sort des étudiant·e·s pour leurs études dans le supérieur, une honte pour la Nation, parce que crime contre la jeunesse. Il est donc positif que le gouvernement d’aujourd’hui ait décidé d’y mettre fin. Décider avec une pièce jetée en l’air de l’avenir professionnel d’un·e étudiant·e n’a pas de nom. Comme sont inacceptables les scories du nivellement par le bas et de l’égalitarisme en lieu et place d’un vrai et très urgent travail à faire sur l’équité dans l’éducation et l’enseignement supérieur.

Non à l’orientation mais oui à l’information

Pour revenir sur l’orientation, il faut lui préférer une amélioration de l’information des élèves. Multiplions les occasions de rencontres avec les professionnels, travaillons à leur donner envie. Travaillons à éveiller le plus important, le désir de faire quelque chose. « Quelle serait la profession de mes rêves ») « Quel domaine me donnerait envie d’aimer et de créer ? » « Quel métier ai-je envie d’exercer ? » Ouverture et clé de voûte de la joie d’apprendre et de se voir apprendre des étudiants et futurs étudiants.

C’est là la responsabilité du politique à l’égard de la jeunesse. Mettre en place les conditions d’éveil, d’expression et si possible de mise en œuvre de leurs désirs professionnels. Les politiques sont au service des désirs de la jeunesse. Non la jeunesse au service des désirs des politiques.

Plaidoyer pour le droit à l’échec

Cela ne veut pas dire que tous les étudiants vont réussir, la réussite, elle – une fois que l’État a mis tous les moyens en œuvre, et s’est attaché, chantier encore immense, à faire en sorte que chacun, quelles que soient ses origines, son milieu social, etc., puisse bénéficier des mêmes chances et conditions de réussite – est de la responsabilité de l’étudiant·e·. Et alors ?

Quand bien même des étudiant·es échoueraient. Ce n’est pas grave, l’échec. C’est d’ailleurs ce qu’on essaie d’enseigner également dans l’entreprise. Ce qui est grave c’est de ne pas avoir essayé. Ce qui est grave c’est de ne pas avoir eu la chance de pouvoir tenter sa chance. Il est très différent d’avoir essayé-échoué ou d’avoir été empêché d’essayer et de vivre avec ces regrets. C’est pour cela aussi qu’une partie de l’échec en licence n’est pas si grave que cela – voire peut même être dit extrêmement sain – dès lors qu’il peut être attribué à des essais non réussis.

Un véritable impératif pour notre Nation

Faire de la centralité du désir et de l’équité des chances de réussite, l’axe fort de notre enseignement supérieur, parce que cela fait condition pour les étudiant·e·s d’exercer un travail vivant, est un véritable impératif pour notre Nation !

Si nous voulons éviter que les enfants, demain, ne succombent aux tentations des extrêmes, nous devons retisser du commun. Fil rouge de la consistance de notre tapisserie commune pour prendre un joli mot de Félix Guattari, tous nos efforts doivent être tendus pour permettre à chacun, à partir de son désir, d’exercer un travail vivant, premier et plus sûr rempart à la désolation et folie des hommes.

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