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Débat : Pour le renouveau de l’apprentissage, supprimons la taxe d’apprentissage !

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Toute la communauté éducative bruisse de rumeurs quant au contenu à venir de la réforme de la taxe d’apprentissage et de son usage supposé, l’apprentissage. Les conséquences financières sont lourdes (plus de 3 milliards d’euros attendus en 2018) quelles que soient les parties concernées, État, établissements d’enseignement, conseils régionaux, entreprises, apprentis…

Si l’ensemble des acteurs se rejoint pour faire les louanges de l’apprentissage tant en termes de qualification des apprentis que d’insertion professionnelle, en revanche, les intérêts de l’ensemble des parties sont souvent divergents et les groupes de pression développent des stratégies pour que la réforme leur soit le plus favorable ou le moins défavorable possible.

Une taxe à deux niveaux

Créée en 1925, la taxe d’apprentissage est un impôt versé par les entreprises fondé sur la masse salariale destiné à financer l’apprentissage et plus largement la formation qui n’a pas réellement son équivalent à l’étranger. Son affectation repose sur un dispositif complexe qui comprend notamment les OCTA (Organismes Collecteurs de Taxe d’Apprentissage), les CFA (Centres de Formation d’Apprentis) et le cas échéant les organismes de formation comme les universités ou les écoles.

Elle comporte principalement deux parties : le « quota » qui est destiné directement au financement de l’apprentissage et le « hors quota » ou « barème » en baisse régulière au gré des nombreuses réformes successives dont la dernière date de 2014 qui permet aux entreprises de financer « librement » des établissements d’enseignement qu’ils pratiquent l’apprentissage ou non.

De nombreuses critiques

L’affectation et l’utilisation de la taxe d’apprentissage font l’objet de nombreuses critiques qui sont au cœur des discussions en cours.

Tout d’abord, la formation en apprentissage initialement destinée à financer des niveaux de formation plutôt faibles s’est progressivement répandue dans l’enseignement supérieur au point que la croissance de l’apprentissage est aujourd’hui surtout le fait de ce segment au détriment diront certains des niveaux de formation les plus modestes.

Au 31 décembre 2016, 412 300 personnes suivaient une formation en apprentissage dont deux-tiers une formation de niveau secondaire (CAP, Bac pro…) et un tiers une formation de niveau supérieure (BTS, DUT, licences, masters et grandes écoles). Le nombre d’apprentis dans le secondaire est en baisse continue (-20 % de 2008 à 2015) tandis que celui-ci a augmenté dans le supérieur (+ 47 %). Or le gouvernement semble souhaiter privilégier les formations aux niveaux les plus faibles pour lutter contre la déqualification d’une partie de la population tandis que l’apprentissage n’apparaît de ce point de vue pas une nécessité pour l’enseignement supérieur.

L’exemple de l’ESSEC, prestigieuse école de commerce et pionnière de l’apprentissage dans le supérieur est souvent cité à l’appui de cette thèse car de fait les étudiants concernés n’ont que peu de souci à se faire concernant leur qualification ou leur insertion professionnelle. C’est sans doute oublier que le supérieur, c’est aussi des grandes écoles beaucoup moins prestigieuses, des universités, des BTS… et que l’apprentissage est alors un véritable outil de l’ouverture sociale des formations les plus prisées.

Des dérives préoccupantes

S’agissant de la part « libre » de la taxe d’apprentissage, de nombreuses « dérives » ont pu être constatées. Lorsque vous avez été comme moi, responsable d’un établissement d’enseignement supérieur qu’il soit public ou privé, vous êtes sollicité par des organismes qui se proposent de vous aider à « optimiser » votre collecte ; vous avez des contacts avec des entreprises qui se proposent, moyennant retour le cas échéant, de financer des actions qui n’ont que peu à voir avec l’objet de la taxe d’apprentissage dans le cadre d’une légalité douteuse ; vous mobilisez vos réseaux d’anciens, les parents de vos étudiants pour essayer de percevoir le plus de taxe d’apprentissage possible ; vous faites la chasse à des montants que les entreprises ont déclaré vous avoir versés mais qui ont mystérieusement disparu au cours du processus… ce qui s’agissant d’un impôt ne semble pas nécessairement le meilleur mode d’affectation envisageable.

Par ailleurs, cette part bénéficie principalement aux établissements les plus prestigieux (qui ont les meilleurs réseaux) et il est curieux de voir des communautés éducatives entières comme la CGE (Conférence des Grandes Écoles) se mobiliser pour le « barème » alors que les réels bénéficiaires sont peu nombreux (c’est un peu comme l’électorat républicain aux États-Unis qui réunit souvent les plus modestes pour demander des baisses d’impôts qui bénéficient surtout aux plus aisés).

Une opacité régionale

S’agissant du « quota », toujours en tant que responsable d’établissement, vous êtes toujours surpris lorsque la préfecture de région publie le coût de vos formations (sur lequel les entreprises sont censées s’appuyer pour vous verser la taxe d’apprentissage) selon des modalités de calcul obscures et souvent en décalage (le plus souvent à la baisse) avec vos propres données.

De surcroît, les pratiques de versement des entreprises en la matière sont souvent contestables et sans rapport avec le coût de la formation (y compris celui déclaré par la préfecture) avec des barèmes du type x milliers d’€ pour une école d’ingénieurs de rang A, x milliers d’euros pour un master universitaire… ce qui conduit parfois les établissements d’enseignement à avoir des listes noires des entreprises qui ne « jouent pas le jeu », tout en subventionnant de fait l’apprentissage car ils ne rentrent pas dans leurs frais.

Tout ceci, sans compter le rôle des conseils régionaux, souvent suspectés de « détourner » une partie de la taxe d’apprentissage au détriment des établissements de formation et qui, selon les régions, peuvent avoir des politiques totalement différentes introduisant une rupture de l’égalité républicaine.

Une solution possible… la suppression

Que peut-on faire dans le cadre de la réforme annoncée qui ne soit pas un énième replâtrage qui conservera la machine bureaucratique qui s’est installée au fil du temps et qui consomme une partie de la taxe d’apprentissage au détriment de son objet, l’apprentissage ?

A minima, même si c’est impopulaire, supprimer le « hors quota » qui est à bout de souffle et qui ne peut plus comme c’est le cas aujourd’hui être utilisé comme un financement de complément pour boucler les budgets des établissements.

Si l’État souhaite financer les établissements d’enseignement quel que soit leur niveau et leur statut, il peut le faire directement et sur des critères plus objectifs et équitables s’agissant de l’affectation d’un impôt. Si les entreprises, des anciens, des parents souhaitent les financer librement, ils peuvent le faire avec un régime fiscal très avantageux via des dons.

De façon plus structurelle et profonde pour développer l’apprentissage ce que toutes les parties semblent appeler de leurs vœux, il faut abandonner le principe même de la taxe d’apprentissage.

D’autres systèmes sont possibles

Un système de « quotas » pourrait être instauré (comme c’est le cas pour le personnel handicapé) rendant véritablement obligatoire une proportion d’apprentis dans les entreprises (ce quota existe déjà aujourd’hui, mais se traduit simplement par une augmentation du taux de la taxe d’apprentissage en cas de non-respect).

Le financement, au lieu d’être fondé sur une taxe d’apprentissage aux méandres tortueux, prendrait la forme d’un prix (coût) fixé par les établissements de formation et d’un versement direct, les entreprises étant alors libres de choisir les apprentis en fonction de leurs besoins (des compensations financières seraient demandées aux entreprises qui exceptionnellement ne remplissent pas les quotas).

Cela permettrait d’alléger la structure bureaucratique tant au niveau des services de l’État que de ceux des régions, des OPCA… qui pourrait se concentrer sur le contrôle et de participer à la simplification administrative que tout le monde appelle de ses vœux.

Si le législateur souhaite favoriser des niveaux de formation, il lui appartiendrait alors de fixer des proportions par niveau en collaboration éventuellement avec les branches car les besoins ne sont pas nécessairement les mêmes selon les secteurs d’activité.

Le législateur pourrait aussi s’il le souhaite introduire des fourchettes de prix selon les niveaux de formation pour s’assurer d’une meilleure équité. Il pourrait enfin fixer des niveaux selon la taille des entreprises. C’est ainsi une véritable politique de l’apprentissage qui pourrait être définie au bénéfice de l’ensemble des parties et non le résultat de rapports de force et de rentes déconnectés de l’objectif de développement de l’apprentissage.

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