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Débat : Rétablir dans leurs droits les professionnels non-vaccinés ? Pour une amnistie présidentielle et une convention citoyenne

Des manifestants tiennent un bandeau "Liberté de choix pour les soignants"
Chez les professionnel de santé, déjà soumis à quatre vaccins obligatoire, l'injection obligatoire contre le Covid a entrainé la résistance de certains (manifestation de septembre 2021). Fred Scheiber / AFP

Rétablir dans leurs droits les professionnels non vaccinés ? Il n’aurait pas été anodin de formuler cette question un 1er mai.

La loi n° 2021-1465 du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire prolonge l’effectivité de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 de la date du 31 décembre 2021 au 31 juillet 2022. Convient-il d’attendre cette échéance pour réintégrer les professionnels qui ont refusé l’obligation vaccinale relative au SARS-CoV-2 et n’exercent plus leur activité ?

Le président de la République a évoqué le 29 avril 2022 une telle éventualité que pourrait justifier une stabilisation confirmée de la situation sanitaire. S’agirait-il d’une amnistie présidentielle ?

Dans ce cas, si sa justification tenait au souci d’apaisement, de « réparation » attendu dans bien des champs de la vie sociale, n’affaiblirait-elle pas l’autorité publique dans ses choix décisionnels au cas où des rebonds de la pandémie imposeraient à nouveau des mesures d’urgence contraignantes ?

Une convention citoyenne portant sur l’obligation vaccinale en situation de crise sanitaire ne devrait-elle pas alors accompagner cette mesure politique ? Elle permettrait d’examiner et de discuter le champ de nos responsabilités à travers une consultation étayée par l’expérience des derniers mois et les données scientifiques, et ainsi d’associer la société civile aux dispositifs que pourrait préconiser notre représentation nationale après le 31 juillet 2022.

Du 20 juillet 2020 au 25 janvier 2022, Santé publique France dénombre 102 837 cas de Covid-19 chez les professionnels exerçant en établissement de santé (dont 23 167 infirmiers et 19 635 aides-soignants), ainsi que 19 décès (aucun n’est intervenu depuis décembre 2020). Santé publique France reporte 6505 signalements d’infections à SARS-CoV-2 nosocomiales entre mars et janvier 2022.

Cela doit nous inciter à des approches prudentes lorsque l’enjeu supérieur est la protection de la santé des personnes dans le contexte des pratiques soignantes à l’hôpital ou dans des établissements médico-sociaux comme le sont les Ehpad.

Réfléchir à une convention citoyenne ?

Dans cette perspective, quelques repères sont de nature à préciser le cadre et les enjeux de cette convention citoyenne.

Rappelons que la vaccination préventive du SARS-CoV-2 s’est imposée dès juillet 2020 dans les controverses publiques comme un marqueur de l’adhésion ou non « aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique » (« Déclaration universelle des droits de l’homme », Assemblée générale des Nations unies, 10 décembre 1948, art. 29-2).

Cette exigence de santé publique constitue certainement l’expression la plus évidente des tensions éthiques et de gouvernance révélées et accentuées par les impacts d’une crise qui imposait des décisions d’intérêt général dans un contexte d’incertitude.

Le défi était de donner à comprendre, et tout autant à être assuré, que l’obligation vaccinale ne procédait pas d’une obstination politique disproportionnée au regard d’une analyse objective des circonstances, mais de la conviction qu’il s’agissait là du recours obligé à une riposte collective que les avancées inattendues des biotechnologies appliquées à la conception des vaccins rendaient tangibles.

Le privilège des pays qui disposent du système sanitaire et des ressources financières conditionnant la soutenabilité d’une stratégie vaccinale, est d’avoir pu s’autoriser une contestation de la vaccination motivée par une certaine conception de la liberté individuelle. D’autres nations dans le monde regrettent de n’avoir pas pu bénéficier d’une obligation universelle à accéder à la vaccination (y compris pour leurs soignants), faute de disposer de doses en dépit des besoins…

La position prônée le 29 juin 2021 par l’Institut Pasteur devait-elle conduire l’État à imposer la vaccination obligatoire en termes d’efficacité ? : « Les personnes non vaccinées contribuent à la transmission de façon disproportionnée : une personne non vaccinée a 12 fois plus de risque de transmettre le SARS-CoV-2 qu’une personne vaccinée. […] » Notre gouvernement n’a pas choisi l’obligation vaccinale pour tous, lui préférant la forte incitation du passe vaccinal.

Il conviendrait de savoir si cette stratégie était la plus pertinente, alors que certains y ont interprété une incertitude sur l’efficacité du vaccin et donc une position de prudence.

Six mois après la position de l’Institut Pasteur, le 25 janvier 2022, le président du Conseil scientifique Covid-19 affirmait ainsi sur France Info que, si le vaccin a « une action formidable pour lutter contre les formes sévères », les scientifiques observaient néanmoins « une action limitée dans le temps et limitée sur la transmission ».

Un vaccin attendu… mais « mal aimé »

Le vaccin ARN messager a bénéficié d’autorisations de mise sur le marché à travers des procédures validées dans l’urgence. Mais sans lever les incertitudes et les craintes exprimées par des personnes qui n’étaient pas toutes réductibles à la catégorie des « anti-vaccins » d’être incluses dans une expérimentation présentant des risques non négligeables. Ceci en dépit des arguments développés par les instances scientifiques.

Fioles de Moderna et de Pfizer côte à côte
De nombreuses craintes ont immédiatement suivi la mise sur le marché rapide des deux vaccins à ARN (Moderna, à gauche, et Pfizer, à droite). Toutes les procédures de vérification avaient pourtant été réalisées ; seule la partie administrative a été accélérée pour répondre à l’urgence sanitaire. Clément Mahoudeau/AFP

Revenons sur les conditions de mise en œuvre de l’obligation vaccinale.

Elle s’est imposée aux professionnels, étudiants ou bénévoles intervenant dans le secteur de la santé ou du médico-social, les sapeurs-pompiers et personnes assurant la prise en charge des victimes, aux personnels naviguant et militaires affectés aux missions de sécurité civile, et aux prestataires de service et distributeurs de matériels.

D’emblée, nombre de professionnels de santé ont difficilement admis cette préconisation au sein de leur communauté. Théoriquement, ils étaient pourtant plus que d’autres en mesure d’en saisir les enjeux, ne serait-ce que pour se protéger et protéger autrui, ou par souci d’exemplarité. De surcroît ils acceptaient déjà quatre vaccins obligatoires.

Depuis le début de la crise sanitaire n’avaient-ils pas démontré leur esprit d’engagement, y compris lorsqu’ils ne disposaient pas des moyens de protection indispensables, pour être de la sorte menacés d’exclusion de l’hôpital ou de l’Ehpad, de perte d’emploi et de relégation sociale s’ils ne se soumettaient pas à l’injonction vaccinale ? Était-il dès lors inconcevable d’envisager les conditions d’un pacte de confiance alternatif à des procédures systématiques de vaccination, appliquées sans esprit critique, qui voulant imposer un comportement exemplaire et responsable s’avéraient pour certains professionnels plus proches de la soumission et d’une intrusion dans la sphère privée que d’un consentement libre, éclairé et exprès ?

Éviter les discriminations

Dans un remarquable document adopté le 27 janvier 2021, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :

« […] Demande [donc] instamment aux États membres et à l’Union européenne : de s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ; de veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner. » (« Vaccins contre la Covid-19 : considérations éthiques, juridiques et pratiques », Conseil de l’Europe, Résolution 2361 (2021), 7.3.1, 7.3.2, 27 janvier 2021)

Qu’a-t-on fait de cette préconisation ?

Le triptyque de la méthode gouvernementale – « progressivité, prudence et vigilance » – rappelé le 12 mai 2021, semble intégré comme mode de conduite au sein de la société. Il contribue, en dépit de contestations récurrentes mais somme toute peu représentatives, à une adhésion pour le moins tacite aux dispositions prescrites lorsqu’elles s’imposent sans susciter d’objections majeures.

Cette relation de confiance qui bénéficie également de l’efficacité plutôt reconnue de la stratégie vaccinale, pourrait toutefois être entamée demain par l’atténuation de l’efficacité attribuée à la vaccination du point de vue de la contamination et de la transmission du SARS-CoV-2. Peut-on en effet affirmer qu’il s’agit encore du « bouclier vaccinal » qui avait été présenté comme l’arme absolue nous permettant de retrouver nos libertés (pour autant qu’on en avait été véritablement spolié…) du fait de sa capacité d’atténuer l’intensité des contaminations ?

Le président de la République a provoqué une vive controverse le 4 janvier 2022 en exprimant son « envie » présidentielle – « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie. »

Conviendra-t-il, sur la base de données épidémiologiques, que nous sommes parvenus « au bout », ne serait-ce que provisoirement, d’une phase active de la crise sanitaire ? Estimera-t-il que le contexte social serait désormais favorable à se concerter afin de tirer des enseignements indispensables à l’anticipation de circonstances analogues qui risquent de se reproduire dans les prochains mois ?

Nous gagnerions tous de ce temps de réflexion approfondie en dehors de l’état d’urgence. Dès lors, l’amnistie présidentielle prendrait la signification non pas d’un renoncement au devoir pour chacun d’assumer ses obligations, mais à l’exigence de dialogue afin de mieux donner à comprendre ce que sont les responsabilités engagées et à d’en saisir plus justement leur bien-fondé.

Rétablir dans leurs droits les professionnels non vaccinés ?

Cette éventualité apparaît recevable aujourd’hui. Elle relève d’une capacité de faire confiance à l’écoute, à la concertation ainsi qu’à l’esprit de responsabilité. Et elle ne consiste pas à relativiser l’impératif de l’obligation vaccinale de professionnels qui, dans un contexte qui le justifiait, imposait une règle de bonne pratique aux professionnels concernés.

C’est dire qu’au-delà d’une amnistie présidentielle, cette démarche politique doit être accompagnée de l’initiative d’une convention citoyenne portant sur l’obligation vaccinale et plus largement sur les mesures contraignantes en situation de crise sanitaire.

Nous avons acquis, depuis le premier confinement, une expérience, une expertise et une intelligence collectives à reconnaître et à valoriser afin de contribuer aux choix futurs et de leur conférer une légitimation qui, comme pour la vaccination, a parfois manqué aux instances publiques et à la société dans son ensemble.

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