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Décentralisation : le rôle clé des acteurs locaux dans la gestion des risques

Le contexte actuel est marqué par une volonté d’implication locale forte notamment au niveau des mairies. Kiev.Victor / Shutterstock

Depuis une vingtaine d’années, aux côtés de phénomènes naturels adverses et de risques industriels majeurs, de nouvelles menaces sourdent, traduisant des risques multiformes, multidimensionnels, d’une complexité toujours grandissante, souvent invisibles parfois imperceptibles, donc difficiles à identifier, appréhender, prévoir, circonscrire et gérer. La pandémie de Covid-19 en est une illustration.

Dans ce contexte, l’observation des attentes des citoyens vis-à-vis de la puissance publique et des comportements s’exprimant durant la crise sanitaire fait ressortir le rôle clé de la proximité et de la coopération pour parvenir à prendre la mesure des potentiels risques à venir et à les limiter, notamment dans les domaines environnementaux et sanitaires.

Pour reprendre les mots du président de la République Emmanuel Macron, le moment est venu de réfléchir à une « nouvelle donne territoriale », car « Tout ne peut pas être décidé si souvent à Paris » admettait-il le 14 juin dernier lors de son allocution télévisée.

L’adoption de la loi « Engagement et proximité » en décembre 2019 et les concertations sur le projet de loi « 3D » (décentralisation, différenciation, déconcentration) démarrées en janvier dernier avaient déjà ouvert la voie au rééquilibrage des responsabilités entre échelon national et local.

Dans un contexte caractérisé d’une part par l’expression d’une volonté d’implication locale forte – à la fois au niveau du rôle octroyé aux acteurs de proximité et aux membres de la société civile, comme en atteste l’organisation de la convention citoyenne pour le climat – et, d’autre part, par le récent retour en force de l’État, la question du juste degré de décentralisation des politiques publiques est posée.

A chaque échelon son rôle

Les attentes des citoyens vis-à-vis d’un État « limité, contraint… mais nécessaire » selon les mots de l’économiste David Martimort (notes personnelles), se renouvellent et se renforcent avec les crises, s’orientant vers une demande pour davantage de protection, de proximité et d’implication de la puissance publique (les choix industriels dans les secteurs considérés comme stratégiques ont récemment été questionnés).

Les États restent soumis à diverses forces, des évolutions institutionnelles et organisationnelles internes liées à trois phénomènes : un processus de réforme territoriale d’une part, l’approfondissement de la construction européenne et ses implications en termes budgétaires, sectoriels, législatifs et réglementaires, d’autre part et, enfin, un mouvement de globalisation qui modifie l’équilibre économique et géopolitique mondial et induit de nombreux effets de débordement et de recomposition économique mais aussi sociale et sociétale.

Si l’État central constitue l’entité devant prendre en charge la prévention et la gestion des événements ayant une très faible probabilité de survenance mais aux coûts majeurs s’ils se matérialisent, l’échelon européen est indispensable pour pallier les échecs de marché et coordonner les capacités d’anticipation, de lutte contre des menaces communes et, au cœur de ces interactions multiples, l’échelon local demeure une pièce maîtresse.

Les collectivités territoriales restent en effet omniprésentes dans la gestion concrète des risques mais aussi en amont dans l’élaboration des politiques publiques pour prévenir leur réalisation.

Le niveau national élabore et arrête les grandes orientations devant être mises en œuvre sur l’ensemble du territoire, de façon homogène ou différenciée pour mieux correspondre aux conditions et aux besoins locaux. La déclinaison opérationnelle et l’adaptation de la stratégie nationale sont réalisées par les niveaux infranationaux.

Une prime à la proximité

Les avantages de la décentralisation s’expriment essentiellement en termes d’une acquisition plus aisée de l’information locale, d’une meilleure connaissance des besoins et des préférences des agents. Cette connaissance est nécessaire à l’efficience des politiques mises en œuvre mais particulièrement complexe à acquérir. Cette dimension revêt une acuité singulièrement forte dans le contexte de développement de risques sanitaires et environnementaux majeurs.

La perception, la représentation du risque et la compréhension des enjeux ne sont pas homogènes (voir par exemple l’article de l’économiste Nicolas Treich sur les comportements face au risque de catastrophe). Le philosophe René Descartes indiquait dans le « Discours de la méthode » en 1637 :

« La diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. »

Les perceptions divergentes d’un monde observé conjointement relèvent de facteurs idéologiques, socioculturels, historiques, mais surtout de mécanismes cognitifs et émotionnels. Les sciences comportementales montrent que nous éprouvons davantage d’empathie pour les membres de notre groupe social, « ceux qui nous sont proches géographiquement, ethniquement, culturellement » selon l’économiste Jean Tirole ; le degré auquel les individus se sentent concernés par un événement semblerait inversement proportionnel à la distance qui les en sépare (distance spatiale, temporelle, entre êtres vivants).

La proximité pourrait donc être un catalyseur de la prise de conscience des enjeux d’un phénomène donné et un moteur du consentement individuel à adopter un comportement collectivement responsable. Afin de nous accompagner dans cette voie, les experts d’une part, et les responsables politiques locaux d’autre part, jouent un rôle majeur.

Répartition des réponses à la question : « Diriez-vous que vous faites confiance à… ? (en pourcentage) ». Enquête Cevipof « 2009-2019 : la crise de la confiance politique »

Alors que la confiance accordée aux décideurs politiques apparaît relative, s’inscrivant dans un climat morose (pessimisme, méfiance, lassitude) et illustrant le constat d’« âge de la défiance » posé par l’historien et sociologue Pierre Rosenvallon en 2006, une prime à la proximité apparaît.

L’enquête Ipsos Cevipof AMF indiquait en 2019 que les citoyens font confiance aux élus de proximité et que ce degré de confiance diminue à mesure que l’on s’éloigne de la base de la pyramide et que la taille de la juridiction augmente. De même, le crédit porté aux informations communiquées par les experts s’érode en l’absence de personnification ou d’identification possible à ces derniers.

Niveau de confiance dans les acteurs. Enquête Cevipof « 2009-2019 : la crise de la confiance politique »

Un autre argument en faveur de la décentralisation relevant du rôle de la proximité est lié au concept d’« accountability » qui désigne le fait pour le décideur public de rendre des comptes sur l’accomplissement des missions qui lui ont été confiées.

Les électeurs sont plus à même de surveiller, contrôler et sanctionner les élus locaux, s’ils ne sont pas satisfaits ou si les « contrats » ne sont pas respectés. L’acceptabilité des mesures publiques et la capacité à fournir des incitations efficaces aux citoyens sont de surcroît fortement corrélées à ce mécanisme.

En outre, des travaux récents menés par le Conseil d’analyse économique ont montré que plusieurs composantes de la qualité de vie directement liées au territoire exerçaient un impact significatif sur le bien-être des individus.

Une coopération nécessaire

Si les avantages de la décentralisation sont patents, la centralisation, en revanche, permet de répondre à des soucis d’équité — notamment en prenant en compte les effets de débordement entre territoires qui seraient susceptibles d’affecter l’offre de bien public — facilite la réalisation d’économies d’échelle et peut maximiser la force de la réponse à des risques globaux.

Au-delà d’un réel arbitrage entre centralisation et décentralisation, c’est une gestion conjointe qui doit être menée par l’ensemble des niveaux d’intervention publique, basée sur la reconnaissance des apports de chaque échelon. Le degré d’interdépendance entre acteurs met en exergue non seulement les spécificités et le caractère indispensable de chaque échelon mais aussi la pertinence d’une coopération étendue et durable entre eux, et non d’un nouvel arbitrage entre centralisation et décentralisation, afin de bâtir une trajectoire soutenable et sûre.

L’environnement est l’un des domaines clés dans lesquels doivent s’exercer des formes de coopération adaptées entre territoires, entre acteurs privés et publics, mais aussi entre niveaux de décision publique.

Nos actes individuels ayant une portée collective, la préservation du bien commun nécessite que responsabilité privée et responsabilité collective se combinent.

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