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Déchets : le principe du « pollueur payeur » peut-il faire changer les comportements ?

Dans les ordures non triées, on trouve 17 % d’emballages recyclables. Shutterstock

Malgré les nombreuses actions visant à la réduction des déchets ménagers, la tendance est plus proche de la stabilisation des tonnages et leur coût de gestion est en hausse (+7 %, par exemple, entre 2012 et 2014).

Par déchets ménagers, on désigne à la fois les déchets recyclables secs (emballages plastique, verre, métaux, cartons, journaux…), les biodéchets, les déchets apportés en déchèterie mais aussi les ordures dites « résiduelles », c’est-à-dire celles qui ne sont pas jetées dans les poubelles de tri.

On estime aujourd’hui à 100 euros par habitant le coût moyen du service public de collecte et de traitement des déchets en France (pour les déchets collectés en porte-à-porte, en point d’apport volontaire et en déchèterie).

Or 60 % de ce coût est imputable aux ordures résiduelles non triées, où l’on trouve encore 17 % d’emballages recyclables et 44 % de déchets évitables (grâce au compostage ou à la prévention du gaspillage, par exemple).

L’une des pistes envisagées depuis les années 2000 (notamment avec la Loi de transition énergétique pour la croissance verte) pour réduire le volume des déchets ménagers, et notamment la partie résiduelle, concerne la mise en place d’une « tarification incitative ».

Derrière ce terme technique se cache une idée simple, inspirée du principe du « pollueur payeur ». Il s’agit, par le biais d’une redevance ou d’une taxe, de lier le montant payé par les usagers pour la gestion de leurs déchets à la quantité de déchets qu’ils produisent.

La tarification incitative a ainsi pour objectif de responsabiliser les usagers en les incitant à réduire leurs déchets et à mieux les trier en diminuant le volume des ordures ménagères résiduelles (c’est en général sur ce flux de déchets que la part variable de la tarification incitative s’applique).

Répandu en Europe

Dans l’Hexagone, la gestion des déchets ménagers est un service public assuré par les intercommunalités. Le financement de ce service peut être réalisé selon trois modes distincts : recours au budget général de l’intercommunalité, utilisation d’une taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) ou d’une redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM). Les collectivités françaises ont aujourd’hui majoritairement recours à la TEOM (67 % des communes et 85 % de la population en 2014).

Une part variable peut être instaurée dans la TEOM ou dans la REOM qui sont alors qualifiées de TEOM incitative ou de REOM incitative.

La tarification incitative, par la TEOM ou par la REOM, concernait, pour 2017, 5 millions de Français d’après le recensement réalisé par l’Ademe. Un chiffre bien en deçà des prévisions et des ambitions du gouvernement qui souhaite voir cette initiative déployée auprès de 15 millions d’habitants en 2020 puis de 25 millions en 2025.

Ce retard, si l’on considère le succès de cette mesure dans de nombreux pays européens qui ont commencé à utiliser cet outil dès les années 1970 – à l’image de la Belgique où la redevance incitative est très largement diffusée en Wallonie –, devrait se combler dans les prochaines années.

Comment ça marche concrètement

Quatre techniques pour comptabiliser les apports en déchets ménagers sont aujourd’hui utilisées.

La première s’appuie sur le nombre de présentations du bac d’ordures ménagères. Il s’agit du cas le plus fréquent : ce système implique des investissements pour l’informatisation des bacs (chaque bac doit être équipé d’une puce électronique) et des bennes de ramassage, ce qui permet de décompter le nombre de présentation de chaque bac. Ce dispositif incite à trier ses déchets et à ne sortir le bac que quand il est plein, ce qui permet d’optimiser les circuits de collecte.

La seconde concerne le volume du bac : des bacs plus ou moins grands sont proposés à l’usager, qui s’équipe en fonction de ses besoins. Ce système ne nécessite pas d’informatiser les bacs ni les camions. Il incite l’usager à trier ses déchets, mais ne l’encourage pas à diminuer le nombre de présentation de son bac à la collecte. Choisir un petit bac coûte moins cher mais accroît le nombre de passage de la benne de ramassage, ce qui peut au final augmenter le coût de la collecte.

La troisième prend en compte la pesée du bac : comme pour la première option, il est coûteux à l’installation et à l’usage (bacs « à puce », dispositif de pesée sur les bennes, suivi informatique), mais il s’avère très incitatif et transparent.

La quatrième fonctionne via des sacs prépayés : la facturation est faite en fonction du nombre de sacs achetés par l’usager. Ce dispositif suppose que les usagers n’utilisent aucun autre contenant. Il pose toutefois des problèmes d’hygiène publique et de sécurité pour les agents de collecte. L’usage de ces sacs est à privilégier comme solution de production exceptionnelle (fête chez des particuliers, par exemple).

À l’heure actuelle, les collectivités intègrent souvent deux ou trois critères dans la facturation (volume et nombre de présentations des bacs, et poids le cas échéant).

En fonction de l’habitat

À noter qu’en habitat collectif, identifier les apports de chaque usager est plus compliqué qu’en habitat individuel : il est en effet souvent difficile de doter chaque ménage d’un bac personnel par manque de place dans les immeubles.

Plusieurs solutions sont envisageables : des bacs collectifs regroupant les apports d’un petit nombre d’usagers (les habitants d’une cage d’escalier, par exemple) ; l’apport volontaire des déchets à des points de collecte munis de dispositifs d’identification, ce qui permet un suivi par ménage.

Dans les zones d’habitat dispersé, le rassemblement des déchets aux points

d’apport permet d’optimiser la collecte des déchets (distances parcourues par les bennes de ramassage, fréquence des tournées). Si l’espace disponible y est suffisant, des bacs personnalisés que les usagers peuvent verrouiller et qui restent sur place permettent de comptabiliser les déchets de chaque ménage.

Dépasser les réticences

La tarification incitative a fait ses preuves dans les collectivités test, comme en témoigne le retour des personnes concernées : dans une étude de juillet 2016, 72 % des usagers de cette tarification – ménages comme entreprises – se disent favorables au dispositif.

Autres chiffres parlants : dans les 180 regroupements de communes impliqués, on enregistre en moyenne un recul des flux d’ordures ménagères résiduelles de 41 % et une augmentation de 40 % des déchets recyclables.

Malgré ces bons résultats, le déploiement accuse un net ralentissement après une forte augmentation sur la période 2010-2014. Comment l’expliquer ?

Du côté des acteurs décisionnaires dans le fait d’instaurer cette tarification – à savoir les communes, les intercommunalités ou les syndicats qui gèrent pour les collectivités le service public de gestion des déchets –, cette mise en place nécessite un temps long et d’importants moyens tant humains (constitution du fichier des adresses, recensement des bacs disponibles) que financiers (les investissements pouvant être conséquents en cas d’individualisation maximale des tarifs) ; autant de raisons qui n’encouragent pas à franchir le pas. Il s’agit ici d’un projet éminemment politique qui doit s’inscrire dans la durée du mandat municipal.

Côté usagers, payer en fonction de ce que l’on jette implique un changement en profondeur des habitudes, des comportements et des attentes vis-à-vis de la collectivité. L’annonce de tels changements peut provoquer des réactions négatives.

Pour dépasser ces réticences, une concertation en amont et une communication efficace et anticipée pour expliquer tous les aspects du changement sont indispensables… en attendant que la tarification incitative devienne la norme ?

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