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Une étude montre que ce sont les jeunes Québécois, en particulier ceux de la grande région de Montréal, qui éprouvent le plus de crainte face à l’avenir du fait français dans la province. LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes

Déclin du français : les jeunes francophones québécois plus inquiets que les jeunes Ontariens

La situation du français à Montréal suscite de l’inquiétude au Québec. À tel point que le premier ministre, François Legault, inquiet de la situation dans certains commerces, où il est difficile de se faire servir en français vient d’annoncer que son gouvernement va réformer en profondeur la loi 101. Le ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, s’engage à lui donner plus de mordant et songe même à l’étendre aux cégeps.

Un sondage national de l’Institut Environics révèle que les francophones et les anglophones du pays « ont des visions contradictoires » de la situation, ces derniers étant plutôt d’avis que la langue française est loin d’être menacée tant au Québec que dans le reste du Canada.

Si on pouvait s’attendre à ce clivage entre les deux solitudes, les résultats révèlent néanmoins une donnée étonnante : la majorité des francophones hors Québec (66 %) ne croit pas que le français soit en péril dans la province, tandis que les Franco-Québécois s’inquiètent de l’avenir de leur langue dans une proportion similaire. Comment expliquer cette perception ?

Pour la politologue Stéphanie Chouinard, la question renvoie aux conditions particulières des communautés dans lesquelles vivent les francophones au pays. La population majoritaire du Québec, soutient-elle, « n’est pas toujours au fait » de ce que vivent les francophones hors Québec, et vice versa. « Lorsqu’on regarde ce qui se passe dans la francophonie au Québec, on trouve que les Québécois sont particulièrement choyés », dit-elle.

Cette observation fait écho à une vaste étude comparative que nous avons menée auprès de la jeunesse francophone du Québec et de l’Ontario en 2016. À titre d’historien et de didacticien, nous avons demandé à plus 600 élèves âgés entre 16 et 17 ans, dans les deux provinces, de rédiger le récit de l’histoire des francophones au pays. Dans notre ouvrage, L’avenir du passé, nous démontrons que si les francophones de ces deux provinces ont bel et bien une mémoire en partage, ils sont conscients d’appartenir à deux collectivités différentes.

Un pays aux identités variables

Les centaines de jeunes que nous avons sondés puisent dans des racines fortes de la Nouvelle-France et du Canada français pour se forger une identité francophone en Amérique. Mais à l’instar de leurs récits du passé et de l’avenir du « pays », leurs visions s’inscrivent dans des communautés d’appartenance distinctes.

Confrontés à un déclin marqué du français dans les commerces du centre-ville, les jeunes Montréalais semblent plus inquiets face à l’avenir que les jeunes francophones hors Québec. LA PRESSE CANADIENNE/Ryan Remiorz

Au Québec, les jeunes vivent en majorité en milieu linguistique homogène et peuvent compter sur de nombreuses ressources et institutions pour se forger un sentiment d’appartenance plus exclusif à l’espace géopolitique québécois. La Révolution tranquille a joué un rôle majeur à ce titre avec l’émergence d’un État-providence qui a favorisé l’identification des francophones à un nationalisme fondé sur le territoire, la langue et un attachement profond à leur gouvernement provincial. Comme le souligne un jeune de notre enquête : « On n’est pas des Canadiens, mais des Québécois. On parle français contrairement aux autres provinces ».

Les jeunes franco-ontariens, exposés à diverses cultures en contexte minoritaire, sont quant à eux beaucoup plus enclins à s’intégrer à la société canadienne et à manifester leur francophonie au sein de cette canadianité. Par conséquent, ils font davantage référence à la diversité des perspectives francophones au pays en s’appuyant sur leur identité dite « bilingue », naviguant aisément de l’anglais au français. « Maintenant, la francophonie n’est pas restreinte voulant dire qu’il peut être parlé ou appris librement [sic], et les gens adorent quand une personne est bilingue », rapporte un participant.

Le paradoxe de la vision optimiste

Ce sentiment culturel positif chez les Franco-Ontariens peut surprendre. C’est un drôle de paradoxe de constater que les francophones en contexte minoritaire, pourtant plus touchés par les pressions assimilatrices, entrevoient leur avenir avec un certain optimisme.

Il se peut que les gains des dernières décennies, qui témoignent des luttes de la communauté franco-ontarienne, comme la gestion des écoles de langue française et les avantages concurrentiels du bilinguisme, renforcent l’idée que les francophones ont des droits reconnus au pays. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que les jeunes participants de la région d’Ottawa, où la fonction publique fédérale occupe une place importante, soient ceux qui adhèrent le plus à cette vision francophone du Canada.

Les luttes remportées avec succès ces dernières années par la communauté franco-ontarienne ont pu donner un sentiment de confiance que le français au Canada est bien protégé. Sur la photo : manifestation pour les droits des Franco-Ontariens à Ottawa, le 1ᵉʳ décembre 2018. Stéphane G. Lévesque

À l’inverse, ce sont les jeunes Québécois, en particulier ceux provenant de la grande région de Montréal, qui éprouvent le plus de crainte face à l’avenir du fait français dans la province. « Le français, rapporte un participant de Montréal, est de moins en moins présent au Québec et qui sait quand il disparaîtra ? ».

Cette vision plus négative de la société francophone semble être influencée par le contexte multiculturel particulier de Montréal. Les francophones y côtoient diverses cultures et le statut de la langue anglaise est plus reconnu dans l’espace public qu’ailleurs au Québec. Cette situation met en lumière un fait historique : l’anglais jouit d’une plus grande notoriété au pays.

Mais au-delà de ce contexte montréalais, la majorité des jeunes du Québec témoigne d’un sentiment d’inachèvement et présente l’image d’une communauté linguistique à l’avenir fragile et incertain. Pour plusieurs des répondants, la communauté francophone du Québec a raté son rendez-vous avec l’Histoire en échouant à devenir une nation souveraine.


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Bien que peu de jeunes millénariaux s’affichent ouvertement comme souverainistes, la majorité d’entre eux raconte tout de même l’aventure d’une collectivité en marge de l’histoire, et dont le destin a été usurpé par la Conquête anglaise (l’événement historique le plus cité par les jeunes). La conclusion de cet étudiant de Québec résume assez bien le sentiment partagé : « Encore aujourd’hui une minorité de la population se préoccupe de notre langue. Je suis certain que le slogan “ Je me souviens ” n’est pas approprié ».

Un dialogue nécessaire

Le directeur de l’Institut Environics, Andrew Parkin, soutient qu’il faut plus d’échanges sur la question du français, et pas seulement entre francophones et anglophones. Il faut, selon lui, construire aussi des ponts « entre les deux communautés francophones en situations minoritaire et majoritaire ».

À la lumière de notre enquête, nous sommes d’avis que les visions antagonistes (le Québec contre le Canada, le nous et les autres, la souveraineté ou l’assimilation) offrent l’image d’une cassure identitaire irréconciliable et peu favorable au dialogue entre les communautés. Cette vision simpliste et hautement sélective de l’aventure historique francophone présente de nombreux angles morts qui occultent la complexité du passé et la diversité des points de vue sur la francophonie.

D’une part, les expériences des communautés minoritaires sont souvent marginalisées, voire ignorées par les Québécois. Ces derniers ne saisissent pas toujours comment ils peuvent tirer profit des enjeux linguistiques dans les autres provinces pour renforcer leurs liens avec les francophones hors Québec, les appuyer dans leurs revendications et recevoir leur appui en échange.

À titre de seule communauté politique majoritaire francophone en Amérique, le Québec a une responsabilité particulière, un « devoir d’avenir » à l’égard du fait français partout au Canada. Comme le soulignent les politologues Linda Cardinal et Martin Normand, dans un contexte où « la dualité linguistique canadienne est mise à mal dans certaines provinces et qu’elle perd aussi du terrain au sein du gouvernement fédéral, il est important que le Québec et les francophones ailleurs au Canada travaillent de concert pour renforcer le dynamisme du français partout au pays ».

D’autre part, les francophones en milieu minoritaire, notamment les jeunes, entretiennent souvent peu de liens avec les Québécois et les imaginent « choyés » de par leur situation majoritaire. Or comme notre étude le montre, les questions linguistique, culturelle, et identitaire des Québécois ont beaucoup en commun avec celles des francophones ailleurs au pays. Les Franco-Ontariens et les Québécois, à titre d’exemple, ont souvent recours aux mêmes représentations collectives pour se forger une identité.

Le Québec occupe une place significative dans l’avenir du fait français au pays et c’est pourquoi il importe de dépasser les identités cloisonnées par des frontières provinciales. Les futures générations francophones doivent prendre conscience qu’au-delà de leur condition minoritaire ou majoritaire, ils partagent une expérience commune fondée, certes, sur un sentiment de fragilité, mais aussi sur le rêve de poursuivre l’aventure française débutée il y a quatre cents ans en Amérique.

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