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Découverte spectaculaire de dizaines de squelettes de chevaux antiques dans l’Indre

Trois squelettes de chevaux sortent du sol, pendant que trois archéologues continuent de les excaver.
En tout, ce sont 37 squelettes de chevaux et 3 de chiens datant de l’époque gauloise qui ont été découverts sur le site de Villedieu-sur-Indre. Hamid Azmoun/Inrap, Fourni par l'auteur

Quatorze fosses, alignées sur un même axe, contenant les squelettes de dizaines de chevaux ainsi que de chiens. C’est la découverte saisissante que nous avons faite sur un site de l’Indre, sans qu’aucun autre élément de contexte ne vienne éclairer ces restes. Sacrifice, conséquences d’une bataille… Les hypothèses sont encore nombreuses et l’enquête se poursuit pour reconstituer cet épisode.

Un site antique sous des vestiges médiévaux

Les fouilles archéologiques de Villedieu-sur-Indre, réalisées par l’Institut national d’archéologie préventive (Inrap), font suite à un projet routier porté par le département de l’Indre. Une première intervention de diagnostic archéologique avait eu lieu au printemps 2023. Celle-ci avait révélé la présence de nombreux vestiges d’un habitat rural de l’époque médiévale (Ve et VIe siècle de notre ère) particulièrement bien conservé représentant une découverte majeure à l’échelle régionale puisque ces périodes de transition entre l’Antiquité tardive et le très haut Moyen Âge sont difficiles à caractériser.

De même, deux fosses contenant des restes de chevaux, datées du Ier siècle av. J.-C. au Ier siècle apr. J.-C., par carbone 14 avaient également été mises au jour. Il s’agit d’une époque de transition entre occupations gauloise et romaine. Cependant, les délais d’intervention n’ont pas permis de les fouiller lors de cette opération. Il était donc difficile d’envisager l’importance de la découverte. Ainsi, suite à cette première opération archéologique, le Service régional d’archéologie Centre-Val de Loire a prescrit une fouille concernant plus particulièrement les vestiges médiévaux.

L’Inrap est intervenu en février 2024 pour fouiller une partie de ce site, soit 1,3 ha. Plus de 700 vestiges ont été mis au jour. Ils s’échelonnent du Néolithique moyen (en particulier une sépulture datée entre 4040 et 3804 avant notre ère) au VIe siècle apr. J.-C. Cependant, la très grande majorité de ceux-ci appartiennent à l’occupation du début du Moyen Âge, et sont composés de bâtiments en bois (laissant la trace de trous de poteaux), de fossés, de silos, de fonds de cabanes et de sépultures.

Vue aérienne du site de fouille : des archéologues travaillent sur des squelettes de chevaux qui émergent du sol
Survol en drone des fosses contenant des chevaux en cours de fouille, avec à droite sur la photographie la fosse la plus importante avec 10 chevaux et à gauche deux chevaux. François Goulin/Inrap, Fourni par l'auteur

Des chevaux et des chiens dans des fosses alignées

Lors du décapage de la terre végétale recouvrant les vestiges archéologiques du site, deux nouvelles fosses contenant des équidés sont apparues, ce qui a commencé à nous alerter. Ainsi, sans savoir exactement à quoi nous avions affaire, nous avons commencé à dégager les squelettes de chevaux et pris la mesure de notre découverte. Jusqu’à la dernière semaine de fouille, nous avons retrouvé des fosses. Celles-ci, situées en fond de vallon, étaient recouvertes de plusieurs épaisseurs de sédiments qui ont nécessité plusieurs décapages du secteur pour arriver à toutes les distinguer. Au total, ce sont 37 squelettes de chevaux qui ont été mis au jour.

Les 14 fosses, toutes alignées, ont été intégralement fouillées et étudiées sur le terrain. La plus grande des fosses contenait dix chevaux, complets, organisés sur deux rangées et sur 2 niveaux (3 et 3 puis 2 et 2). Ils ont été placés avec soin dans les fosses, tous avec la même orientation, soit couchés sur le flanc droit avec la tête au sud. Les premiers chevaux déposés ont les jambes allongées et les derniers ont les jambes repliées pour épouser la forme de la fosse. Les premières observations indiquent qu’ils sont tous adultes (autour de quatre ans pour la grande majorité d’entre eux) et que ce ne sont que des mâles. Ces chevaux sont petits, autour de 1m20 de hauteur au garrot. L’observation des connexions osseuses laisse penser qu’ils ont été enterrés, simultanément, très rapidement après leur mort.

Gros plan sur les bustes de deux squelettes. La main d’un archéologue est dans le champ
La plus grande fosse rassemblait à elle seule 10 chevaux, tous mâles et adultes. Hamid Azmoun/Inrap, Fourni par l'auteur

Les 27 autres chevaux se répartissent ensuite dans 11 fosses. Certaines ne contiennent qu’un individu, d’autres deux, trois ou quatre. Ils ont les mêmes caractéristiques que les chevaux de la grande fosse. Entre ces structures, deux autres fosses contiennent, quant à elles, trois chiens, également déposés avec soin. Ils sont adultes, de taille moyenne et un mâle a pu être identifié sur le terrain. Ils sont tous les trois couchés sur le flanc gauche avec la tête à l’ouest.

Guerre des Gaules, sacrifices, pratiques profanes… toutes les hypothèses sont possibles

En France et pour cette période, il n’existe que peu de sites archéologiques semblables, si ce n’est les deux sites de Gondole et l’Enfer, dans la plaine de Gergovie, où de nombreux chevaux ont également été retrouvés, dans un contexte archéologique très semblable. Il s’agit donc d’une découverte exceptionnelle montrant des pratiques encore inconnues pour cette fin de période gauloise et ce début de période romaine.

Pour l’aristocratie gauloise, le cheval est un attribut très emblématique et plusieurs exemples archéologiques témoignent de dépôt de chevaux dans ou autour des tombes, ou encore dans des lieux sacrés. Ils sont généralement associés à d’autres structures et accompagnés d’objets comme des pièces de harnachement. Le caractère symbolique ou sacré peut alors, facilement, être mis en évidence. Les archéozoologues parlent alors de sacrifice.

Vu de dos, un archéologue travaille au niveau de la tête d’un squelette
Les squelettes ont été découverts seuls, sans aucun autre artefact ou reste de bâtiment. Mathilde Noël/Inrap, Fourni par l'auteur

À Villedieu-sur-Indre, comme dans la plaine de Gergovie, les fosses contenant des chevaux ne sont associées à aucune autre structure et sans autre mobilier. Les trois sites (Villedieu-sur-Indre, Gondole et l’Enfer près de Gergovie) sont, cependant, proches d’une cité fortifiée, appelée oppidum. Sur l’oppidum du « Camp de César » à Villedieu-sur-Indre, des balles de fronde romaines et les restes d’une fortification laissent fortement penser à un affrontement entre Gaulois et Romains qui a pu se produire pendant la guerre des Gaules, lorsque César remonte avec ses troupes vers Avaricum (Bourges).

À Gondole, une des fosses, appelée « la fosse aux cavaliers », associe 8 hommes et 8 chevaux. La situation géographique à Gergovie, la fourchette chronologique, cette présence en masse de chevaux tous mâles et matures, caractéristique des chevaux de cavalerie, rendent séduisante l’hypothèse d’un lien entre ces chevaux et les batailles de la guerre des Gaules. Cette hypothèse est donc également possible, ici, à Villedieu-sur-Indre.

D’autres hypothèses peuvent être tout autant avancées. Les rites profanes ou religieux sont complexes à cette période et l’idée de sacrifice de chevaux peut également être évoquée. Un épisode d’épidémie ou d’épizootie semble, cependant, écarté, aussi bien à Villedieu-sur-Indre que sur les sites de Gergovie, car seul un profil de cheval est présent (absences des jeunes et des femelles, par exemple). Pour le moment, la cause de la mort n’a pas pu être mise en évidence. Aucune trace n’est visible sur les squelettes, ni blessures de guerre ni abattage. Il peut donc aussi bien s’agir de mort accidentelle que volontaire.

Une recherche archéologique à mener comme une enquête

Trois archéologues, penchés au dessus des squelettes de chevaux, les inspectent
En plus des informations recueillies sur le terrain, l’étude en laboratoire va permettre de mieux comprendre ce qu’il s’est passé à Villedieu-sur-Indre. Mathilde Noël/Inrap, Fourni par l'auteur

Pour le moment, seules les informations observées sur le terrain nous fournissent des éléments de compréhension. L’étude archéozoologique, en laboratoire, va permettre de préciser exactement les âges de mortalité, la présence ou non d’individus castrés, les statures (hauteur au garrot) et les morphologies (gracilité ou robustesse), la présence ou l’absence de pathologie et de traces anthropiques (traces d’abattage, traces de prélèvements de matière comme la peau…).

Elle va également permettre de vérifier s’il s’agit bien uniquement de chevaux ou si des ânes, des mules ou des bardots (croisement entre un cheval et une ânesse) sont également présents sur ce site. Un programme de recherche va également être monté pour lancer des analyses ADN, isotopiques (pour apporter des informations sur l’origine géographique des chevaux mais aussi leurs conditions de vie), cémentochronologiques (analyse de la croissance des dents pour connaître la saison de la mort de l’animal et ces conditions sanitaires), parasitologiques… Une étude du contexte historique ainsi que des approches ethnologiques et expérimentales, afin de comparer ces éléments avec la place et l’utilisation des chevaux dans d’autres cultures, vont également venir enrichir le débat.

Aujourd’hui, les questions sont multiples et toutes les portes restent ouvertes. Pourquoi avoir enterré tous ces chevaux dans des fosses alignées sans aucune autre structure ni objet ? Ont-ils tous été enterrés en même temps ou sur plusieurs années ? Sont-ils morts accidentellement ou ont-ils été abattus, voire sacrifiés ? S’il s’agit d’une cavalerie, sont-ils morts au combat ou ont-ils été sacrifiés selon des coutumes de vainqueurs/vaincus ? Toujours dans l’hypothèse de chevaux de cavalerie, peut-il quand même s’agir d’une épidémie ? S’ils sont morts au combat, appartiennent-ils aux Gaulois, aux Romains ou encore à un autre peuple, comme les Germains par exemple ?

Qu’il s’agisse d’un témoignage de la guerre des Gaules ou de pratiques profanes ou religieuses, ce site apportera, dans tous les cas, des réponses majeures pour la compréhension du rapport entre l’humain et le cheval dans cette période de transition entre les époques gauloises et romaines.

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