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Décrocheurs scolaires : un accompagnement adapté, clé d'une intégration professionnelle réussie

Des Compagnons du devoir travaillent dans un atelier de chaussures à Paris. Martin Bureau/AFP

En 2018, le gouvernement français lançait le projet « 100 % inclusion-La fabrique de la remobilisation » à l’occasion du Plan d’investissement dans les compétences (PIC) visant notamment à favoriser l’intégration professionnelle des jeunes décrocheurs. Plusieurs porteurs de projets se sont ainsi vus attribuer la mission de développement de parcours intégrés, depuis la remobilisation jusqu’à l’accès à l’emploi durable des demandeurs d’emploi et des jeunes peu ou pas qualifiés.

Parmi les lauréats se trouvaient par exemple le projet Étincelle porté par la Fondation des Apprentis d’Auteuil ou encore le programme « Pas de quartier pour l’échec » porté par Panorama Études Formation Conseil qui était une amplification du dispositif « Cuisine Mode d’Emploi » créé par le chef Thierry Marx en 2012.

Autre organisation retenue : les Compagnons du Devoir et du Tour de France. Cette association ouvrière, dont l’objectif est de former des femmes et des hommes de métier dans différents secteurs tels que le BTP, la métallurgie, l’alimentation, la décoration et l’ameublement a mis en place le dispositif « 100 % inclusion » dont nous avons observé le déploiement dans le cadre d’une recherche récente (à paraître dans la revue Question(s) de management).

Clivage entre zones rurales et urbaines

Ce dispositif national, destiné aux jeunes en situation de décrochage scolaire, a été impulsé par le siège et initialement prévu autour d’un process homogène en 5 étapes permettant l’accès à la formation et à l’emploi. Cependant, une observation sur le terrain montre des mises en œuvre différentes dans chacune des 4 régions tests : Île-de-France (IDF), Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Occitanie et Pays-de-Loire (PDL).

Pourquoi ces différences ? Notre terrain, par sa spécificité, fait apparaître certains déterminants clés. Le premier déterminant concerne les caractéristiques des bénéficiaires. Alors que les régions PDL et Occitanie avaient pour objectif d’accueillir des jeunes issus de zone rurale, les régions IDF et PACA, quant à elles, visaient un public de Quartier prioritaire de la ville (QPV). Cette différence de cible (zone rurale vs QPV) traduit en réalité un clivage structurant.

En effet, les jeunes interrogés en zone rurale bénéficiaient d’un accompagnement familial : « mes parents m’ont aidé pour mon entretien » et leur décrochage scolaire était lié à leur volonté de faire un métier manuel « ce n’est pas que je n’aime pas l’école mais j’ai envie de faire le métier que j’ai toujours rêvé de faire, couvreur ».

L’association Compagnons du Devoir forme des femmes et des hommes dans différents secteurs comme le BTP, la métallurgie, ou encore l’alimentation. Philippe Merle/AFP

À l’inverse, les jeunes en IDF et PACA indiquaient ne pas avoir obtenu le brevet (pour la majorité d’entre eux), ils disaient ne « pas aimer l’école » et ne bénéficiaient que peu d’accompagnement familial « mes parents ne savent pas ce que je fais, c’est mon éducateur qui m’a fait connaître les Compagnons ».

Derrière ces différences caractérisant les bénéficiaires, la variable sous-jacente est le besoin d’accompagnement.

En effet, un jeune accompagné par sa famille, faible décrocheur scolaire et social, ayant déjà eu des expériences professionnelles notamment dans le métier visé, avec une grande motivation matérialisée par sa candidature spontanée et sa connaissance en amont du métier, aura moins besoin d’accompagnement dans le dispositif qu’un jeune pas ou peu accompagné familialement, décrocheur important, sans expérience professionnelle pertinente ou idée de métier.

Les besoins différents d’accompagnement ont ainsi inspiré dans les régions des adaptations du dispositif : plus proche dans les régions IDF et PACA, et plus « disjointes » en PDL et Occitanie.

Le second déterminant clé expliquant les différences dans la mise en œuvre du dispositif renvoie à des caractéristiques organisationnelles, et tout particulièrement le profil de poste de la référente régionale, acteur central du dispositif.

« Le rôle du formateur est central »

En effet, alors que certaines référentes appliquaient le dispositif tel que conçu par le siège (IDF et PDL) « le dispositif est bien construit, je le suis à la lettre » (tactique fixe), les référentes PACA et Occitanie l’adaptaient tant dans son contenu que dans sa structuration (tactique variable). Deux causes peuvent expliquer ces adaptations. La première, relative au manque de compréhension du dispositif en tant que parcours « si le jeune peut d’abord réaliser son stage (étape 3) il le fait » (Occitanie). La seconde, pour la région PACA, reliée à la modification des objectifs quantitatifs attendus : « moi, je préfère faire du qualitatif pour que les jeunes réussissent, plutôt que de remplir des tableaux de chiffres ».

Notre recherche permet d’identifier deux antécédents essentiels permettant d’expliquer les différences de mise en œuvre du dispositif « 100 % inclusion » dans les 4 régions.

La prise en compte du besoin d’accompagnement permet ainsi de différencier l’approche des PDL et de l’Occitanie d’une part, et de l’IDF et PACA d’autre part. Plus le besoin d’accompagnement est grand, plus la référente s’appuie sur un collectif d’acteur pour accompagner le jeune, notamment au niveau métier : « nous avons une équipe socio-éducative pour entourer le jeune, le rôle du formateur est central » (référente PACA). Si le besoin d’accompagnent est faible, la référente est la seule à s’occuper du jeune.

Si ce déterminant est clé sur le terrain analysé des Compagnons du Devoir et du Tour de France, il doit également a minima inspirer une réflexion pour toutes les entreprises : en quoi le process/les outils d’intégration dans l’organisation (« onboarding ») mis en œuvre répondent aux besoins réels des nouveaux collaborateurs ? Nos résultats suggèrent en effet que ces besoins sont bien entendu de nature opérationnelle, mais également psychologique et relationnelle.

L’analyse des quatre régions montre ainsi qu’une approche par un process unique au sein de l’organisation se heurte à de nombreuses limites notamment liées à la prise en compte des spécificités terrain.

Ainsi, la conception d’un programme d’« onboarding » doit interroger ce qui relève d’un socle commun, d’un process unique, ou au contraire d’adaptations spécifiques. Cela pose alors la question des acteurs à mobiliser, dans un périmètre qui peut d’ailleurs parfois dépasser les frontières classiques de l’organisation.

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