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Demain, un secteur agricole porté par des entreprises « à mission » ?

Nourrir les humains sans dégrader la Terre, ce double défi pour l’agriculture de demain. Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Dans le droit rural français, l’agriculture est définie comme une activité qui consiste à exploiter un cycle biologique animal ou végétal en vue de produire des denrées alimentaires.

Cette définition témoigne d’une vision industrielle et extractive de l’agriculture qui n’est plus adaptée aux enjeux contemporains.

Dans ce contexte, l’adoption d’un statut d’entreprise agricole « à mission » pourrait permettre aux agriculteurs de mieux répondre aux attentes sociétales et climatiques qui vont immanquablement s’imposer à eux.

Atténuer les impacts agricoles négatifs

Le secteur agricole constitue le point de convergence d’une multitude de transformations, difficiles à éluder.

Les problématiques climatiques et environnementales grandissantes vont pousser le monde agricole à mieux prendre en considération cet ensemble de biens communs que sont l’eau, l’air, les sols et la biodiversité.

En France, l’agriculture est à l’origine de 21 % des émissions françaises de gaz à effet de serre sous forme de méthane CH4 (45 %), protoxyde d’azote N20 (42 %) et dioxyde de carbone CO2 (13 %).

L’impact de certains produits phytosanitaires s’avère également néfaste pour la biodiversité, les insecticides en particulier. La vitalité des sols et la préservation des ressources en eau constituent d’autres enjeux clés du XXIe siècle pour le secteur agricole.

A l’ère de l’anthropocène

Le secteur agricole se doit ainsi d’atténuer ses impacts négatifs, une nécessité bien comprise par la profession agricole qui a fait des efforts considérables ces vingt dernières années.

Mais il faudra davantage que cette atténuation pour préparer l’agriculture française au nouveau régime climatique qui s’installe. Nous vivons une gigantesque transformation des équilibres du système Terre, qui signe notre entrée dans l’ère de l’anthropocène et engendre des conséquences très importantes et irréversibles pour l’agriculture.

Ce nouveau régime climatique induit de nouveaux comportements des plantes et des animaux et il sera désormais bien plus compliqué de maintenir les niveaux de productivité que nous avons connu par le passé.

Comme le montrent les récentes données de Meteo France, le secteur devra également faire face à une multiplication et une intensification des aléas climatiques (orage, sécheresse, canicule…). Le dernier rapport du GIEC d’autre part souligne avec force l’immense fragilité du secteur agricole qui doit se réinventer si nous voulons répondre à l’impératif de sécurité alimentaire des populations.

Un renouvellement en profondeur de nos connaissances et pratiques agricoles semble inévitable. La « ferme France », comme toute l’Europe du Sud, sera négativement impactée par le changement climatique.

Face à multiples impacts, la profession agricole devra apporter des réponses et penser une trajectoire d’adaptation dans des délais très courts.

Nourrir les humains, préserver le système Terre

Ces évolutions appellent une réponse d’une ampleur inédite de la part de la profession agricole.

Elle nous invite à repenser les fondements de l’activité agricole telle que nous les avons pensés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette vision consistait à produire une alimentation au coût le plus bas possible en s’appuyant sur des énergies fossiles.

À l’heure de l’anthropocène, l’agriculture doit être refondée et poursuivre le double objectif de nourrir les êtres humains, tout en préservant les équilibres du système Terre.

Cette double ambition, nourricière et réparatrice, passe par de nouvelles pratiques agricoles susceptibles d’avoir des impacts neutres à positifs sur l’eau, l’air, les sols et la biodiversité.

Cette agriculture régénératrice est d’ores et déjà expérimentée par de nombreux acteurs dans les domaines de la permaculture, l’agroforesterie, l’agroécologie, l’agriculture de conservation des sols…

Un nouveau statut pour ces nouvelles attentes

L’objectif d’une agriculture nourricière et réparatrice passe par des évolutions institutionnelles et juridiques afin de faciliter et accélérer son déploiement : le statut d’entreprise agricole « à mission » peut à cet égard constituer un outil puissant.

On définit une entreprise à mission comme une entreprise qui, tout en ayant un projet économique, poursuit une ambition plus large afin de répondre à des besoins humains fondamentaux. L’entreprise à mission n’est pas guidée par un objectif de profit économique, mais par une contribution à des enjeux sociétaux ou environnementaux beaucoup plus larges.

L’entreprise Sabarot basée en Haute-Loire a ainsi inscrit dans ses statuts sa volonté « d’accompagner la transition alimentaire en proposant une variété de produits naturels, bons et sains, notamment à base de protéines végétales, favorables à un régime alimentaire durable ».

Ce statut est aujourd’hui mobilisé par des PME, ETI et de grandes entreprises ; il a tout son sens pour les entreprises agricoles, en étant susceptible d’avoir trois effets complémentaires.

L’entreprise agricole à mission pourra en premier lieu bénéficier de sources de financements plus avantageuses. Face aux dérèglements climatiques, les financeurs et prêteurs vont en effet évaluer la pertinence écologique des projets agricoles avec une attention renforcée, au niveau de l’impact carbone et des effets sur la biodiversité notamment.

L’entreprise agricole à mission pourra d’autre part permettre d’engager des négociations commerciales avec les industriels de l’agroalimentaire concernant des objectifs et des ambitions qui vont bien au-delà des strictes considérations économiques. L’entreprise agricole à mission constitue le point de départ de la redéfinition de nouveaux enjeux pour nos systèmes alimentaires et d’un partage des responsabilités entre les différents acteurs. C’est aussi un moyen pour capter et retenir de la valeur dans les entreprises agricoles.

Ce statut pourra enfin contribuer à redéfinir les identités professionnelles en véhiculant un nouvel imaginaire et un futur désirable pour la profession agricole. Nourrir les humains et réparer le système Terre constitue un défi qui met la profession agricole au cœur de la vie de la cité. Elle place le secteur agricole au centre des problématiques contemporaines, en faisant de l’agriculture non pas un problème, mais une solution pour relever le défi alimentaire de l’anthropocène.


Bertrand Valiorgue a fait paraître en 2020 aux Éditions du Bord de l’eau, « Refonder l’agriculture à l’heure de l’anthropocène ».

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