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Démocratie sanitaire en France : les leçons de la pandémie de Covid-19

Photo d’une manifestation contre le protocole sanitaire, à Mulhouse, le 13 janvier 2022
La crise liée à la pandémie de Covid-19 a mené à une crise de confiance entre une partie de la population et les autorités de santé (manifestation contre le protocole sanitaire, à Mulhouse, le 13 janvier 2022). Shutterstock / NeydtStock

La démocratie sanitaire régit notre système de santé. Ce concept typiquement français trouve son origine dans la loi du 4 mars 2002. Il est censé transcender l’intégralité des acteurs de santé et agir comme une démarche applicable dans l’intégralité des actions en lien avec notre système de santé. Le principe est notamment de garantir l’implication des patients et les citoyens dans les processus de prise de décision liés aux politiques de santé, et de consacrer leurs droits.

Concrètement, comment fonctionne la démocratie sanitaire ? Sur quelles structures repose-t-elle ? Et comment la pandémie de Covid-19 l’a-t-elle affectée ?

Qu’est-ce que la démocratie en santé ?

Selon le site des agences régionales de santé (ARS) :

« La démocratie en santé est une démarche associant l’ensemble des acteurs du système de santé dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de santé, dans un esprit de dialogue et de concertation. »

Il est également précisé que « faire vivre la démocratie en santé nécessite donc de développer la concertation et le débat public, d’améliorer la participation des acteurs de santé et de promouvoir les droits individuels et collectifs des usagers. Au niveau local, ce sont les agences régionales qui animent la démocratie en santé sur le territoire. »

Au-delà de cet aspect d’association des acteurs, la démocratie sanitaire consacre également les droits individuels des usagers, autrement dit les droits des patients, ainsi que leurs droits collectifs, c’est-à-dire notamment leurs droits de représentation au sein des instances.

La démocratie sanitaire vient de ce fait rompre avec l’approche paternaliste qui a longtemps sous-tendu notre système de soins. L’idée est que les patients et les citoyens devraient être habilités à avoir un plus grand poids dans la prise de décision.

À travers leurs vécus et leurs expériences, les usagers de santé sont en effet à même de partager un savoir dit « profane ». Corollaire : les professionnels de santé ne sont pas les seuls que l’on peut qualifier d’experts (même si l’expertise des usagers ne recouvre bien entendu pas le même champ que la leur).

Loin de n’être qu’un concept désincarné, la démocratie en santé est mise en pratique via divers dispositifs et acteurs.

La Conférence régionale de santé et de l’autonomie

L’instance dite « de démocratie sanitaire » par excellence est la Conférence régionale de santé et de l’autonomie (CRSA), dans laquelle peuvent s’impliquer les usagers de santé.

Créée par la loi du 9 août 2004 relative à la santé publique, elle n’a cependant été mise en place sous la forme que nous lui connaissons aujourd’hui qu’à partir de la loi dite HPST (Hôpital, patients, santé, territoires).

La CRSA rassemble des acteurs variés : représentants des collectivités territoriales et régionales, représentants d’usagers (individus ou associations), personnes proposant des services de santé, etc. Les membres de la CRSA sont désignés par le directeur général de l’Agence régionale de santé.

Leurs mandats sont renouvelés tous les cinq ans au sein de 8 collèges composés de représentants des collectivités territoriales, des usagers de services de santé et médico-sociaux, des conseils territoriaux de santé, des partenaires sociaux, des acteurs de la cohésion et de la protection sociales, des acteurs de la prévention et de l’éducation pour la santé, des offreurs de services de santé, des personnalités qualifiées.

La CRSA  est une instance consultative. Elle exerce ses fonctions auprès de l’ARS, dans le cadre par exemple de l’élaboration du projet régional de santé.

L’instrument de pilotage régional des politiques de santé est le plan régional de santé (PRS). Il est défini, au regard de la stratégie nationale de santé, dans le respect des lois de financement de la sécurité sociale et des objectifs de l’ARS sur cinq ans.

Ce plan décrit l’ensemble des priorités que l’ARS va mettre en œuvre pour l’amélioration de la santé des habitants de la région, afin de favoriser l’accès à la santé et pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales de santé.

La CRSA est aussi impliquée dans l’organisation de débats publics sur des questions de santé. La CRSA Pays de la Loire a par exemple organisé des débats participatifs dans chaque département de la région, visant à l’amélioration des offres de santé, des conditions de travail des acteurs de santé, etc.

L’objectif principal de ce type d’actions est d’encourager différents acteurs à renforcer leur coopération. Au même titre que les acteurs de santé, les usagers peuvent eux aussi s’engager dans les actions des CRSA. À cet effet, des rencontres débats sont organisés pour faire entendre leurs points de vue.

Conférence nationale de santé et conférences territoriales de santé

Aux côtés des CRSA, d’autres acteurs de la démocratie en santé sont présents. Outre les ARS, des établissements publics qui assurent un pilotage unifié de la stratégie nationale de santé au niveau de la région pour mieux répondre aux besoins de la population et ainsi accroître l’efficacité du système de santé, on peut citer notamment la Conférence nationale de santé (CNS) ou les Conférences territoriales de santé (CTS).

La CNS est un organisme consultatif placé auprès du ministre chargé de la Santé. Elle est consultée par le gouvernement lors de la préparation du projet de loi concernant la politique de santé publique. Ses missions sont de formuler des avis sur l’amélioration du système de santé, d’élaborer un rapport annuel sur le respect des droits des usagers du système de santé et de contribuer à l’organisation de débats publics sur les questions de santé.

Les Conférences territoriales de santé sont une instance qui a pour mission de participer à la déclinaison du projet régional de santé au niveau d’un territoire donné, et d’organiser les parcours de santé en lien avec les professionnels dudit territoire.

Les associations d’usagers, des actrices importantes

Les associations sont également des actrices particulièrement importantes de la démocratie en santé. C’est notamment par les associations d’usagers que vont pouvoir s’exprimer les droits collectifs et leur défense.

En France, pour pouvoir représenter les usagers dans les instances qui le prévoient (au sein des établissements de santé notamment), les associations ont besoin de recevoir un agrément, valable 5 ans. Ce dernier leur confère une légitimité, et permet d’avoir un certain contrôle sur d’éventuelles dérives, commerciales notamment. La décision de délivrer un agrément est prise sur avis conforme de la Commission nationale d’agrément des associations représentant les usagers dans les instances hospitalières ou de santé publique (CNAarusp) (par le ministre chargé de la santé au niveau national, par le Directeur général de l’ARS au niveau régional).

Il est important de citer une nouveauté de la loi du 26 janvier 2016 dite loi Touraine pour ce qui est des associations.

Avant 2016, les associations d’usagers s’étaient rassemblées au sein d’un collectif interassociatif sur la santé (CISS) destiné à former les futurs représentants des usagers et à faire valoir leurs intérêts à un niveau national. La loi du 26 janvier 2016, dite loi « Touraine », a inscrit dans le Code de Santé publique la référence à cette Union d’associations.

Cette Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé répond dorénavant au nom de France Assos Santé.

En France particulièrement, la forte présence associative pour ce qui est de la représentation des usagers. Il s’agit d’un élément pionnier dans le principe de la démocratie en santé.

Les collectivités territoriales

Les collectivités territoriales sont elles aussi des actrices de la démocratie en santé, même si certaines sont dotées de plus de compétences que d’autres.

Comme le souligne le spécialiste de droit public Olivier Renaudie dans la revue française d’administration publique : « Dès lors qu’une territorialisation de la santé publique est mise en œuvre, on pourrait penser que les collectivités territoriales en constituent les principaux acteurs : il n’en est rien. En effet, les territoires concernés par ce mouvement ne sont pas ceux des collectivités du même nom, mais les lieux choisis par les organes centraux de l’État pour concevoir et appliquer la politique sanitaire. »

Les compétences des collectivités territoriales sont marginales, victimes de la centralisation des compétences au niveau d’un acteur déconcentré de l’État : les ARS. La pandémie a cependant mis en lumière que ces collectivités ne sont pas exclues de toute attribution en matière de santé.

On distingue 3 différentes collectivités : la commune, le département et la région. La commune a un rôle important en matière de la santé publique, au travers de deux compétences : son pouvoir de police en matière de salubrité publique, et ses attributions en matière d’hygiène de l’alimentation et de l’habitat. Le département a également deux compétences principales : les vaccinations obligatoires (importantes durant la période Covid-19) et le service de protection maternelle et infantile. L’échelon régional, enfin, est le cadre territorial choisi par l’État pour ses politiques de santé. Il n’en demeure pas moins que le conseil régional ne dispose que de compétences somme toute assez marginales : la prévention sanitaire, la formation des professionnels de santé ou encore la lutte contre les disparités territoriales.

Les collectivités territoriales ne sont pas des acteurs centraux de la démocratie sanitaire et sont plutôt les grands oubliés de cette démarche qui pourtant tend à s’affirmer dans notre système de santé.

Démocratie sanitaire ou démocratie en santé ?

Depuis quelques années, le terme de démocratie « en santé » est employé. Il tend à remplacer le terme de démocratie « sanitaire » qui semble être considéré comme trop réducteur.

Ce dernier terme, légal, a servi de référence aux pouvoirs publics depuis plus de quinze ans. Il est cependant appelé à évoluer dans une acception plus large et transversale. L’idée est de penser le parcours de l’usager au-delà de tout cloisonnement entre le sanitaire, le social et le médico-social. Autrement dit, à tout le système de santé.

Le but de la démocratie en santé est l’inclusion de tous les aspects de la santé dans une démarche où chaque acteur aurait son mot à dire et serait moteur dans l’amélioration de notre système.

Le terme légal reste néanmoins la démocratie sanitaire : l’expression démocratie en santé ne figure dans aucun texte de loi, même si son usage se standardise dans la doctrine.

Ces dernières années, la tendance des différentes politiques de santé (notamment la loi HPST et la loi Touraine, dite « de modernisation du système de santé ») a toujours été de renforcer cette démarche. La crise de Covid-19, sans précédent, a cependant impacté grandement notre système de santé, déjà fragile. Hôpitaux et établissements médico-sociaux tels que les Ehpad ont été mis à rude épreuve, et le concept de démocratie en santé a été ébranlé.

Covid-19 : un recul de la démocratie en santé

La pandémie de Covid-19 a touché le système de santé dans sa globalité, impactant non seulement les hôpitaux, mais également le secteur médico-social. Les directions des Ehpad, notamment, ont dû adapter les mesures gouvernementales à leurs échelles avec des moyens limités et souvent peu adaptés à une crise de cette ampleur.

Le confinement en chambre, la fermeture de ces structures à toute visite extérieure ont été très discutées. Dans ce contexte, la Défenseure des droits avait notamment rappelé dans un rapport d’avril 2021  que « les mesures consistant à restreindre une liberté fondamentale (telle que celle d’aller et venir, ndlr) ne peuvent être qu’exceptionnelles et, dans tous les cas, strictement nécessaires et proportionnées. »

Dans son rapport du 6 avril 2022 intitulé « La démocratie en santé : une urgence de santé publique », la CNS fait le constat que la démocratie sanitaire n’a pas, ou très peu, été utilisée lors de la crise due à la pandémie de Covid-19.

Plusieurs raisons l’expliquent. Tout d’abord, le gouvernement s’est retrouvé désemparé face à l’absence de connaissances sur le virus. Ensuite, la voix des experts (les professionnels de santé) s’est exprimée de façon prépondérante durant la gestion de la crise. La CNS souligne notamment que le recours à des « modalités hiérarchiques descendantes » a créé un décalage entre les perceptions sur le terrain et les décisions prises par l’État.

Enfin, dans un contexte d’urgence, faire appel aux usagers a été considéré comme une action chronophage et non adaptée à la situation.

De ce fait, les instances de démocratie sanitaire comme la CNS ou les CRSA n’ont pas ou très peu été consultées. L’avis des usagers n’a pas été davantage sollicité.

S’appuyer sur la démocratie en santé pour restaurer la confiance

Rappelons que la CNS avait déjà rendu un avis, le 15 avril 2020, intitulé « La démocratie en santé à l’épreuve de la crise sanitaire du Covid-19 ».

Elle prônait le renforcement indispensable de la démocratie sanitaire en ces temps de crise, et soulignait « la difficulté de notre pays à appréhender les aléas sanitaires de manière relativement apaisée et le défaut de concertation suffisante entre les parties prenantes. »

Deux ans plus tard, on peut lire dans son rapport d’avril 2022 que l’un des « faits marquants » de la pandémie a été une « crise de confiance majeure entre une partie de la population et les autorités de santé ». En outre, une absence de mobilisation de la démocratie en santé a été constatée.

Or, souligne la CNS, « dans un contexte de multiplication des sources d’information, de communications, parfois contradictoires, sur les mesures à visée sanitaire, de décalage entre les annonces faites et la réalité perçue sur le terrain, il est important d’assurer des espaces d’expression afin de renforcer la cohésion sociale tout au long de la crise. »

Il convient cependant de nuancer quelque peu la critique de la démocratie sanitaire en période de pandémie. La crise Covid a en effet été aussi brutale qu’inédite : aucune des crises sanitaires récentes n’avait été d’une telle ampleur ni provoqué un tel taux de mortalité.

Les questionnements et critiques qui ont émergé dans cette situation hors norme ont toutefois démontré qu’il est nécessaire, dans un tel contexte, d’adapter la réponse des autorités en tenant compte davantage des usagers.

Ils sont en effet au centre de notre système de santé, et leur voix doit être entendue, au même titre que les professionnels de santé, et ce même durant une crise sanitaire. C’est probablement seulement à ce prix que la confiance pourra être restaurée.

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