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Dépendance à la voiture en zone rurale, quelles solutions ?

En 2015, 35,7 % des ménages français possédaient deux voitures ou plus. Damien Meyer/AFP

À la fin de l’année 1973, une crise pétrolière, suivie d’un deuxième choc pétrolier en 1979, sonne la fin des Trente glorieuses. Trente ans plus tard, la hausse du prix du pétrole joue à nouveau un rôle dans le déclenchement de la crise économique de 2008, parfois interprétée comme le 3ᵉ choc pétrolier.

Si ces crises ont entraîné quelques ajustements de court terme, il semble que nous ayons la mémoire courte. Chaque fois que le prix du baril baisse, nous nous imaginons entrer dans une nouvelle ère d’abondance pétrolière : les ventes de voitures – toujours plus lourdes et plus puissantes – repartent à la hausse, les kilomètres parcourus augmentent, et les politiques d’aménagement accompagnent et renforcent cette dépendance à l’automobile… jusqu’à la prochaine crise.

À force d’attendre, les problèmes de long terme deviennent urgents, et les enjeux environnementaux se transforment en crises économiques et sociales, comme l’illustre le mouvement des « gilets jaunes ».

Quelles pistes imaginer pour une mobilité moins chère et plus sobre en carbone dans des zones rurales où l’offre de transports en commun fait souvent défaut ?

Les zones peu denses exposées

L’Agence internationale de l’énergie a alerté en 2018 dans son rapport annuel : compte tenu de l’écart entre la croissance de la demande en pétrole (jusqu’à 102 millions de barils par jour) et la décroissance de la production (86 millions de barils par jour) prévue d’ici 2025, il faudrait tabler sur une croissance des pétroles de schistes américains d’environ 16 millions de barils par jour.

Dans les prévisions américaines les plus optimistes, ces pétroles pourraient croître au mieux d’environ 5 ou 6 millions de barils par jour d’ici 2025. Ce qui augure un marché du pétrole perturbé dans les années à venir.

Les habitants des zones peu denses, fortement dépendants à la voiture, sont ainsi particulièrement vulnérables aux variations du cours du pétrole. Pour déjouer cette situation, construite depuis des décennies, un coup de baguette magique ne suffira pas.

Il est toutefois possible d’en sortir, à condition de profiter de l’occasion offerte par la crise des « gilets jaunes » pour débattre et mettre l’ambition et les moyens à la hauteur des enjeux sociaux, économiques et environnementaux associés.

Covoiturage quotidien, le nouveau transport en commun ?

Premier constat : là où les transports en commun sont pertinents, ils doivent être développés en priorité, que ce soit pour les « petites » lignes ferroviaires ou les lignes d’autocars. Mais souvent, la densité des flux s’avère trop faible en zones rurales pour développer une telle offre. Le covoiturage apparaît dès lors particulièrement adapté.

Si BlaBlaCar a réussi à démocratiser le covoiturage sur la longue distance, son impact sur les émissions de gaz à effet de serre est faible : le service détourne les usagers du train et crée de nouveaux déplacements routiers plus émetteurs. L’enjeu est désormais de développer la pratique sur de courtes distances ou pour les trajets entre le domicile et le travail, où le covoiturage pourrait être une solution pertinente pour les zones peu denses où se trouve le vrai potentiel de réduction d’émissions.

Une ribambelle de plates-formes ont investi le secteur, comme iDvroom, Karos, Klaxit ou BlaBlaLines ; de même, Ecov propose du covoiturage spontané pour les territoires ruraux et périurbains : des panneaux lumineux connectés signalent sur le bord de la route la destination des passagers ; Ecosyst’m propose un covoiturage citoyen et solidaire en lien avec une monnaie locale en Corrèze ; la coopérative Mobicoop met en lien des covoitureurs sans prendre de commission.

Les collectivités locales ont un rôle à jouer pour accompagner ces plates-formes et développer la pratique, en plus de la mise en œuvre systématique du forfait mobilité durable auprès des salariés – censé les encourager à utiliser le vélo ou le covoiturage en les indemnisant pour les frais engagés.

Si l’on roule seul, rouler léger

Second constat, si le covoiturage n’est pas toujours adapté, une attention particulière doit être portée au véhicule. Quel intérêt en effet de rouler seul dans un véhicule cinq places pesant plus d’une tonne, pouvant atteindre 186 km/h et coûtant plus de 25 000 euros à l’achat en moyenne ?

Sans être parfaite, la Renault Twizy constitue un bon exemple de voiture sobre, qui plus est électrique. À 11 500 euros, elle coûte deux fois moins cher que la voiture neuve moyenne, et quasiment trois fois moins que la Renault Zoé, qui représente 55 % des ventes de voitures électriques en France. En raison du faible poids du véhicule et de sa batterie, son impact environnemental est également bien plus faible. Pourtant, les aides à l’achat encouragent surtout les véhicules les plus lourds, des voitures électriques comme la Twizy ou les vélos à assistance électrique (VAE) étant bien moins subventionnés en montant et en proportion.

Reste à définir à quels usages dédier ces véhicules. En France, 35,7 % des ménages possédaient deux voitures ou plus en 2015. L’une d’entre elles pourrait ne compter que deux places et la plus grosse servir pour les vacances ou les trajets familiaux.

De même, les ménages d’une seule personne – dont 66 % ont une voiture –, n’ont a priori pas besoin d’un véhicule de cinq places. En remplaçant une voiture, des ménages multi-motorisés et les voitures des ménages seuls par des véhicules légers, 17 millions de voitures pourraient être remplacées. Cela représente la moitié du parc automobile français.

Figure de comparaison des véhicules en fonction de leurs caractéristiques. Aurélien Bigo

Le vélo, pas seulement en ville

Outre la voiture, certains modes de transport alternatifs qui se développent en ville méritent aussi l’attention des zones rurales. C’est le cas du vélo : son déploiement à grande échelle n’en est encore qu’à ses débuts, notamment à la campagne où sa pratique reculait encore il y a quelques années.

Le vélo a pourtant un véritable potentiel dans les zones peu denses. Fin 2017, le Shift Project publiait un rapport pour évaluer le potentiel de différentes solutions pour décarboner les zones de moyenne densité, parmi lesquelles se trouvait le « système vélo » : ses principales caractéristiques s’appliquent également aux zones rurales.

Il s’agit de combiner le développement d’infrastructures sécurisantes, de services vélo et de véhicules efficaces, en profitant de la diversification de l’offre au cours des dernières années : vélos classiques, mais aussi vélos à assistance électrique, certains étant débridés à 45 km/h, ou vélos-cargos (pour le transport de charges). Il s’est vendu 255 000 exemplaires de VAE en 2017 – soit 10 fois plus que de voitures électriques.

Ces modèles permettent d’étendre la zone de pertinence du vélo à des trajets de 10-15 km (soit 30-45 minutes en VAE), tout en facilitant la pratique pour d’anciens automobilistes. Avec la forte ambition prévue sur le système vélo modélisé, il est ainsi apparu comme la solution au plus fort potentiel devant le covoiturage, avec une réduction des émissions de CO2 de 15 % en 10 ans.

Encourager une démotorisation partielle

Le coût des carburants ne représente « que » 30 % des coûts de la voiture. De vrais gains sur les dépenses de transport ne seront donc possibles que si les solutions mises en place permettent de posséder une voiture en moins : les dépenses de possession (achat, entretien, assurance…) représentent 65 % des dépenses liées à la voiture, et en moyenne 3 150 euros par an et par ménage.

Une politique favorisant la résilience des territoires devrait donc encourager une démotorisation partielle, en privilégiant : un aménagement du territoire et des choix de localisation qui réduisent les distances ; le vélo, le covoiturage, les véhicules légers et électriques pour les trajets quotidiens ; le train et les transports en commun routiers, au moins pour les plus longs trajets ; l’autopartage en complément pour les trajets plus exceptionnels.

La transition écologique ne sera largement partagée que si elle se montre solidaire et démocratique, avec des décisions et des moyens plus locaux. La loi d’orientation des mobilités (LOM) en préparation vise justement à confier davantage de responsabilités aux régions et aux intercommunalités sur ces sujets. Les moyens financiers devront cependant suivre pour accompagner les ménages qui en ont le plus besoin, et mettre en œuvre ces solutions vers une mobilité bas-carbone. La taxe carbone en deviendra peut-être plus acceptable.

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