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Depuis les années 1950, les émissions culinaires façonnent l’image des chefs

La cheffe Maïté dans son émission « La cuisine des Mousquetaires » en compagnie du chef Philippe Etchebest, en 1996.
L'émission “La cuisine des Mousquetaires”, présentée par Maïté, ici avec Philippe Etchebest, en 1996. France 3 / Capture d'écran

Trois à quatre millions de téléspectateurs en moyenne allument leur poste de télévision pour regarder le programme de téléréalité culinaire Top Chef, depuis 2010. Saison après saison, son succès ne se dément pas. Or, les émissions culinaires sont apparues sur le petit écran dès les années 50, aux premières heures d’existence de la télévision. À cette époque déjà, certaines d’entre elles connaissent un immense succès.

Si l’intérêt des téléspectateurs pour ce genre de programme ne s’est jamais vraiment démenti au fil des ans, le format des émissions a, lui, évolué. De plus, au-delà même des différents programmes, c’est aussi le rôle du chef ou de la cheffe dans les émissions culinaires qui s’est totalement métamorphosé entre le XXe et le XXIe siècle, comme nous le verrons au travers du choix non exhaustif de célèbres émissions culinaires françaises.

Le dogmatisme des années 50-60

Les recettes de Monsieur X est la première émission télévisée culinaire. À l’époque, ce n’est pas un chef qui présente le programme, mais un comédien, Georges Adet.

Ce dernier, seul dans ce qui semble être sa propre cuisine, et vêtu d’un costume sous son tablier, explique les recettes d’un ton lent et professoral, le tout parsemé d’anecdotes sur les produits qu’il cuisine. Le ton est sérieux, les plans statiques, les images sobres. Mais le succès n’est pas au rendez-vous et l’émission s’arrête au bout d’un an. George Adet est alors remplacé par Raymond Oliver, chef multi étoilé du fameux restaurant parisien le Grand Véfour, pour présenter l’émission Art et magie de la cuisine. Le chef est désormais accompagné de la présentatrice Catherine Langeais à qui il explique, toujours dans sa cuisine et d’un ton dogmatique, comment réaliser une recette, tandis qu’elle l’écoute avec attention et prend des notes. Le succès est immédiat et le duo restera à l’écran jusqu’en 1967.

Cuisine du « terroir » et savoir-faire des « grands chefs » dans les années 80 et 90

Dans les années 80, une cuisine que l’on pourrait qualifier de « terroir » fait son apparition avec l’émission devenue culte depuis : La cuisine des Mousquetaires. Sa présentatrice principale, la pétulante cheffe landaise Maïté, accompagnée de son assistante Micheline Banzet – le duo en cuisine semble désormais de rigueur afin de créer plus d’interaction et de complicté – présente ses recettes d’une façon plus directe, voire brutale parfois, mais toujours empreinte de bonne humeur. Cette émission fascine les téléspectateurs qui sont attirés par le caractère franc et authentique de Maïté. L’émission restera à l’écran de 1983 à 1997.

Maité assome et coupe devant les téléspectateurs les anguilles qu’elle va préparer.

À partir de 1996 et jusque dans les années 2000, Joël Robuchon, le chef le plus étoilé au monde, décide de désacraliser la haute cuisine et de transmettre son savoir-faire culinaire aux téléspectateurs. Dans ses émissions Cuisinez comme un grand chef puis Bon appétit bien sûr, l’assistante d’hier est remplacée par des chefs renommés et souvent étoilés comme Alain Ducasse, Anne-Sophie Pic, Jean-Pierre Jacob ou Pierre-Louis Marin, qui l’aident à réaliser des recettes à quatre mains.

Joël Robuchon et la cheffe Anne-Sophie Pic présentant le recette Oeufs Pochés au Foie Gras, Champignons de Saison Et Châtaignes au Gingembre.

Au cours des 50 premières années d’émissions culinaires, si les formats des programmes ont quelque peu changé, le rôle du chef ou de la cheffe lui, n’a pas vraiment évolué : on assiste à une transmission descendante et directe du savoir du professionnel vers les téléspectateurs. Mais le tournant des années 2000 va faire voler en éclat ce modèle.

La télévision-spectacle des années 2000

Depuis le milieu des années 2000, les émissions culinaires présentées sur les écrans français sont des adaptations de programmes anglo-saxons, sous forme de concours et de télé-réalité.

Le premier programme du genre, Oui Chef, un docu-réalité présenté par le jeune et alors inconnu Cyril Lignac, apparaît sur le petit écran en 2005. Il raconte l’histoire d’un jeune chef qui doit sélectionner une brigade de dix cuisiniers sans diplôme pour son nouveau restaurant : Le Quinzième. Cette émission sera la première d’une longue liste de programmes réalisés plus ou moins sur le même modèle. Il s’agit d’une télévision du spectacle avec mise en scène, « personnages », narration, suspense, compétition, rires et larmes qui sont là pour tenir le téléspectateur en haleine, semaine après semaine et dont Le Meilleur Pâtissier et Top Chef figurent aujourd’hui parmi les plus connus et appréciés des spectateurs français.

Top Chef ou la cuisine des professionnels pour les professionnels

Dans Top Chef, une quinzaine de candidats, tous professionnels, s’affrontent sur plusieurs semaines pour remporter le titre de chef de l’année. Ils font partie d’une brigade dirigée par un chef étoilé ou par un MOF (meilleur ouvrier de France) qui leur sert de mentor.


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Dans ce programme, le modèle didactique du chef s’efface pour laisser place à un récit dans lequel il devient un protagoniste à part entière. Il ne s’agit plus de transmettre son savoir-faire culinaire aux téléspectateurs mais plutôt de leur montrer en quoi consiste son métier. On découvre ainsi le stress, la tension, la fatigue que peuvent ressentir les professionnels de la haute cuisine habitués à travailler dans des conditions extrêmes, ainsi que l’importance de la hiérarchie et du vocabulaire quasi militaire contenu par exemple dans « oui chef ! », « brigade » ou « coup de feu ».

Les chefs qui animent l’émission ne s’adressent désormais plus directement aux téléspectateurs. Ils sont là pour « coacher » les candidats de leur équipe, les amener à acquérir encore plus de professionnalisme. En même temps, ils font prendre conscience aux béotiens derrière leurs écrans que le monde de la haute gastronomie exige une formation solide, des nerfs d’acier, un talent certain que l’on ne peut atteindre que grâce à un fort investissement personnel, au dépassement de soi, et à beaucoup de passion.

Aujourd’hui, il n’est donc plus vraiment question d’apprendre à cuisiner aux téléspectateurs, mais plutôt de leur permettre de découvrir un monde dont ils ne peuvent d’habitude pas ou peu s’approcher. En effet, voir comment des spécialistes dressent une belle assiette, effectuent des gestes techniques, créent une recette gastronomique, allient des goûts, des textures et des couleurs peut donner l’illusion de percer les secrets du métier, de s’identifier à ces professionnels qui côtoient les étoiles, et pourquoi pas, le temps d’une émission, de faire partie du même univers qu’eux.

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