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Des boat-people aux Afghans : les réfugiés, une cause politique pour le PS

Femme politique en plein discours, en tribune sur fond rouge.
Discours de la maire de Paris, Anne Hidalgo, durant le congrès « L'accueil des réfugiés, pour nous, c'est oui ! » du Parti Socialiste le 8 septembre 2015. Jacques Demarthon / AFP

La prise de Kaboul par les talibans et le séisme politique frappant la région ont eu des répercussions dans la politique intérieure de nombreux pays, à commencer par les États-Unis. En France également, les dirigeants de différents mouvements politiques ont réagi. Ainsi, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste et député, a publié trois tweets relatifs à la chute de Kaboul dès le 15 août, l’un en son nom, l’autre au nom du PS, et un retweet d’article de presse.

Ces prises de parole, liées aux événéments précis de ces derniers jours, reflètent aussi l’histoire des mouvements politiques. Ainsi les prises de positions socialistes s'inscrivent dans l'histoire longue du PS, dont j'étudie la politique internationale depuis de nombreuses années.

Bien que membre de l’Internationale socialiste et héritier d’une tradition ouvrière internationaliste qu’il ambitionne de renouveler, le Parti socialiste refondé au congrès d’Épinay en 1971 reste une organisation dont l’ancrage et les objectifs ne sont pas d’abord internationaux. Il entend promouvoir un « nouvel internationalisme » pour « changer la vie » à toutes les échelles, mais ses préoccupations sont celles de ses militants et de son électorat.

Lorsqu’en 1973 le royaume d’Afghanistan devient une République à la suite d’un coup d’État mené avec l’appui militaire soviétique, puis lorsqu’un nouveau coup d’État débouche sur l’instauration de la République démocratique d’Afghanistan en 1978, le Parti ne réagit pas officiellement.

En effet, l’Afghanistan n’est alors pas central dans l’agenda politique français. Le pays entre réellement dans l’horizon diplomatique du PS à partir de son invasion par l’URSS en décembre 1979, qui en fait un enjeu de Guerre froide de premier plan.

Le PS face à l’invasion soviétique de l’Afghanistan

Dès le 2 janvier 1980, un communiqué socialiste condamne l’ingérence soviétique au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et pointe le risque d’enlisement dans un « conflit meurtrier ». Le même jour, le président Valéry Giscard d’Estaing envoie une invitation à François Mitterrand et Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste, les conviant à s’entretenir avec le ministre des Affaires étrangères pour évoquer la situation afghane.

Le 11 janvier, Georges Marchais s’exprime à la télévision française en duplex de Moscou, d’où il apporte son soutien à l’intervention soviétique. S’ensuit une passe d’armes à la télévision avec Pierre Joxe, qui dénonce une direction communiste « justifiant l’injustifiable ».

Les tensions entre PS et PCF, déjà fortes depuis la rupture de l’union de la gauche (1972-1977), s’aggravent. Alors que l’invasion de l’Afghanistan marquait la fin incontestable de la Détente, la position du PCF fut dénoncée par le PS comme le signe de son réalignement indéniable sur Moscou - un réalignement auquel on pouvait même désormais imputer la fin des discussions sur la réactualisation du Programme commun.

Le sujet afghan, et à travers lui celui de l’URSS, sont ensuite régulièrement débattus dans l’arène politique française, par exemple lors des réflexions sur l’opportunité d’un boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980 (boycott rejeté par le PS).

Hélicoptères survolant Kaboul
Des hélicoptères de combats soviétique survolent Kaboul le 23 février 1980. Upi/AFP

S’emparant du sujet en mars 1981 pour critiquer la droite durant la campagne présidentielle, le candidat Mitterrand revient sur un épisode de juin 1980 : l’annonce giscardienne erronée d’un retrait significatif des troupes soviétiques d’Afghanistan. Il attaque alors la diplomatie du président sortant et le qualifie de « petit télégraphiste » de Moscou.

En juin 1981, l’entrée de ministres communistes au gouvernement de Pierre Mauroy suit la conclusion d’un « accord politique de gouvernement » préalable entre le PS et le PCF. Sur le plan international, où les désaccords étaient majeurs, la ligne du PS mitterrandien s’impose : les signataires y « affirment le droit du peuple afghan à choisir son régime et son gouvernement et se prononcent pour le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan et la cessation de toute ingérence étrangère ».

Fin 1982, l’Afghanistan compte toujours parmi les grandes causes internationales de mobilisation du PS, aux côtés du Salvador, de la Pologne et du Liban. Les objectifs socialistes affichés sont de soutenir la circulation des informations émanant des mouvements de résistance afghans, d’aider au financement d’écoles publiques dans les zones tenues par les résistants, ainsi que l’installation d’un dispensaire au Pakistan pour les réfugiés afghans.

Le PS et la question de l’accueil des réfugiés dans les années 1970

Le 16 août 2021, la déclaration télévisée du président Emmanuel Macron à propos de potentiels « flux migratoires irréguliers importants » provoqua une polémique immédiate à gauche. Si, dans les années 1970, la question des réfugiés n’était pas encore un enjeu majeur dans le cas afghan, c'était déjà le cas pour d’autres populations.

À l’époque, la solidarité socialiste et internationaliste s’exerce en premier lieu en faveur de « camarades », de militants et de leurs proches. Celle-ci s’inscrit dans une vaste tradition internationaliste, que l’on retrouve par exemple dans l’aide apportée aux socialistes espagnols ayant fui la dictature franquiste par la SFIO puis par le PS, de la reconstitution du PSOE en exil à Toulouse en 1944 à sa refondation en 1974 à Suresnes notamment.

Dans ces années 1970, on songe surtout à la mobilisation exceptionnelle de l’ensemble des socialistes en faveur des exilés de la gauche chilienne, victimes en 1973 du coup d’État de Pinochet. Beaucoup d’initiatives locales permirent de fournir aide, domicile ou emploi à ces réfugiés. La direction centrale socialiste, soutenant cet élan, chercha aussi à l’orienter vers le Parti socialiste chilien.

À côté de cette solidarité politique à l’égard d’homologues étrangers ayant choisi la France comme terre d’asile, les socialistes se mobilisèrent également dans des accueils présentés comme plus « humanitaires » que politiques.

Le PS prit par exemple part à l’immense vague française de solidarité envers les réfugiés d’Asie du Sud-Est, dont les départs sont provoqués dès le printemps 1975 par l’effondrement du Sud-Vietnam, et s’intensifient en 1979 en raison de la crise économique vietnamienne, de la guerre sino-vietnamienne et de l’invasion du Cambodge par le Vietnam.

Fin juin 1979, interpellée par de nombreux militants et élus, la direction nationale donne ses consignes en faveur de la coordination de l’accueil de réfugiés par les municipalités, fédérations et sections. Un appel aux dons est aussi lancé pour financer l’envoi très médiatisé, en juillet 1979, d’un avion qui porte secours à 156 réfugiés. Or cette mobilisation du PS pour l’ex-Indochine fait partie d’une campagne nationale qui est un moment clé pour le champ humanitaire.

Arrivée de boat-people à Rouen le 22 juillet 1987, archive INA.

L’accueil de réfugiés, un choix toujours politique

Karen Akoka montre combien cet épisode accompagne et nourrit la promotion d’une nouvelle idéologie sans-frontiériste contre le tiers-mondisme et le romantisme révolutionnaires.

Cette nouvelle pensée humanitaire présente la défense des droits humains comme une cause consensuelle et apolitique, alors même qu’elle correspond à l’intégration, dans les discours de solidarité internationale, de l’antitotalitarisme qui marque alors le débat intellectuel et politique. Cet antitotalitarisme et sans-frontiérisme s’accompagne chez certains d’un indéniable anticommunisme.

Ainsi, si les Vietnamiens secourus par les socialistes français n’étaient effectivement pas ciblés en fonction de leurs affiliations politiques, on ne peut qualifier la solidarité socialiste d’humanitarisme apolitique : par sa participation et dans ses déclarations, le PS était soucieux d’une part de se positionner contre les anticommunistes oublieux des responsabilités historiques du Japon, de la France et des États-Unis dans les difficultés de la région, et d’autre part de condamner les dysfonctionnements des régimes communistes d’Asie du Sud-Est, ainsi que leurs crimes et violations des droits humains.

L’accueil de réfugiés, militants politiques ou non, et les raisons qui le motivent, restait et reste ainsi un choix très politique.

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