La question du logement est un enjeu politique important. Politiciens et experts parlent d’une crise majeure, qui menace notre bien-être économique et social. Mais cela n'a rien de nouveau. Une crise de l'habitation a aussi fait rage au début du 20e siècle.
Elle concernait alors le taudis ouvrier. Elle est bien plus vaste aujourd'hui: de nombreux ménages ont du mal à acquérir une propriété, tandis que d’autres consacrent une part trop importante de leurs revenus à leur loyer, et que d’autres encore vivent dans des logements insalubres ou n’ont tous simplement pas d'endroit où se loger.
En tant que spécialiste de l’histoire de l’urbanisme et professeur titulaire à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'Université de Montréal, je retrouve dans les débats actuels des arguments similaires à ceux d’il y a 120 ans, mais aussi des éléments nouveaux.
La promesse d'un logement décent
Comme l'a montré Roy Lubove dans The Progressives and the Slum, durant la croisade contre le taudis, entre 1890 et 1920, réformateurs de droite et de gauche s’entendaient pour dénoncer l’avidité des propriétaires qui exploitaient des populations vulnérables et pour réclamer l’adoption de mesures qui donneraient aux ouvriers l’accès à un logement décent.
Ils s’entendaient aussi pour dire qu’il fallait assujettir la construction à des normes de qualité pour assurer la santé et la sécurité des occupants : volume minima des pièces, taille minimale des fenêtres, équipements sanitaires minimaux, etc. La question qui se posait alors était la suivante : comment augmenter la qualité du logement sans le rendre trop cher pour l’ouvrier moyen ?
Cet article fait partie de notre série Nos villes d’hier à demain. Le tissu urbain connait de multiples mutations, avec chacune ses implications culturelles, économiques, sociales et — tout particulièrement en cette année électorale — politiques. Pour éclairer ces divers enjeux, La Conversation invite les chercheuses et chercheurs à aborder l’actualité de nos villes.
À cette question, les réformateurs de droite répondaient que l’augmentation des normes de qualité devait être graduelle, tributaire du développement économique et de l’augmentation des salaires que le capitalisme rendait possibles. Leur réponse au socialisme était la promesse d’une augmentation constante du niveau de vie (standard of living), ce qui incluait une constante amélioration des normes (standards) de qualité du logement.
Les réformateurs de gauche voulaient que la production de logements ne soit pas laissée au seul jeu du marché et que les secteurs public et communautaire (syndical) y jouent un rôle actif.
La domination du secteur privé
Au Canada et aux États-Unis, contrairement à certains pays d’Europe, la droite a remporté une victoire écrasante dans cette bataille politique. Bien que l’État ait construit des logements sociaux à un certain moment, et bien qu’il offre encore des subventions aux groupes communautaires, c’est le secteur privé qui produit l’essentiel (pas moins de 97%) de nos logements, parfois avec des subventions aux constructeurs et aux ménages.
Tel qu’on l’espérait au début du 20e siècle, nous avons été les témoins d’une constante augmentation de la qualité du logement. La taille moyenne des nouvelles maisons n’a cessé de croître, bien qu’elle semble maintenant avoir atteint un plateau. Les exigences en matière de confort, de sécurité et de santé n'ont cessé d’augmenter. À ces normes s’ajoutent de plus en plus d’exigences sur les impacts environnementaux et sociaux des nouveaux projets.
Le constat est évident : entre qualité et abordabilité, nous avons fait un choix de société en faveur de la qualité. C’est un choix qui se respecte, surtout sur le plan de la durabilité, mais qui a une incidence réelle sur l'accès au logement.
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En réponse à la crise actuelle, il convient de pousser le secteur privé à produire davantage de logements abordables. Mais il faut en même temps diminuer sa domination, car sa logique de maximisation du profit l’induit à produire des logements chers et à contribuer à la production de logements abordables de manière indirecte, par un mécanisme de « filtrage » peu efficace ou par des contributions modestes imposées par certaines municipalités.
Produire du logement abordable dans les circonstances actuelles n’est toutefois vraiment pas facile. L’UTILE, une OBNL basée à Montréal, offre des logements abordables aux étudiants en ne faisant pas de bénéfices, en misant sur la densité (coefficients d’emprise au sol et d’occupation du sol élevés), en réduisant au minimum la taille des chambres et des espaces communs, en utilisant la préfabrication et en bénéficiant de subventions publiques importantes (plus de 100 000 dollars par logement de trois ou quatre chambres).
Sans le soutien de l’État, les autres stratégies ne suffiraient pas. Vu le coût très élevé de la construction, l'aide de l'État est simplement devenue nécessaire pour la classe moyenne aussi.
Des normes hors d'atteinte
En 1897, dans « The City Below the Hill », le réformateur Herbert Ames dénonçait les conditions de vie déplorables des ouvriers à Montréal et se faisait l’avocat d’une intervention publique dans la question du logement. Il espérait qu’à terme, chaque ménage disposerait d’un logement décent, qu’il définissait comme suit :
… the ideal home is one where the front door is used by but one family, where the house faces upon a through street, where water-closet accomodation is provided, and where there are as many rooms allotted to a family as there are persons composing. (… la maison idéale est celle où la porte d'entrée est utilisée par une seule famille, où la maison donne sur une rue passante, où un water-closet est prévu, et où il y a autant de pièces attribuées à une famille qu'il y a de personnes qui la composent.)
Cet idéal, mis à jour selon nos normes actuelles, n’est toujours pas à la portée de tous. Pour les ménages aux revenus les plus modestes, il devient un horizon de plus en plus lointain.
Alors qu’au début du 20e siècle, on pouvait espérer que le capitalisme ferait augmenter le niveau de vie et donc la qualité du logement de génération en génération, il faut être réaliste. Nous devons accepter le fait que le marché privé ne peut pas subvenir aux besoins d’une partie de la population. Il faut bien sûr augmenter la production de logements pour mieux répondre à la demande, mais il faut aussi augmenter l'aide de l'État, pousser l’innovation technologique pour faire baisser le coût de la construction et examiner de manière critique l’accumulation de normes auxquelles nous assujettissons le développement résidentiel.