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Des législatives de confirmation… qui atténuent la vague macroniste

Les nouveaux venus du Palais Bourbon. Thomas Samson/AFP

Au terme d’un processus électoral qui aura duré presque un an, de la préparation des primaires présidentielles à l’élection de l’Assemblée nationale, avec de très nombreux rebondissements, les urnes confirment l’élection présidentielle. La réforme mise en œuvre pour la première fois en 2002, consistant à organiser les législatives dans la dynamique de la présidentielle et à éviter une cohabitation, s’était toujours traduite par une confirmation du premier scrutin. Après l’élection, début mai, d’un Président sans force politique confirmée, on pouvait se demander si le même phénomène se reproduirait.

Une fois de plus, les législatives ont confirmé le verdict de l’élection phare de la Ve République. Le premier tour le laissait présager. Le second le réalise mais la majorité n’est pas aussi large qu’attendu. Essayons d’analyser les résultats de ce dernier dimanche électoral, en commençant par rappeler l’offre électorale puisque celle-ci conditionne les résultats finaux.

Une offre électorale, reflet du premier tour des législatives

Le tsunami du premier tour des élections législatives, couplé avec une abstention extrêmement forte (51,3 % des inscrits), a construit une offre électorale très originale, avec 454 candidats de la République en marche (LREM), 264 des Républicains, 120 du FN, 67 de la France insoumise, 65 du PS, 2 du MoDem, 32 de l’UDI, 12 du PCF, 2 du PRG, 65 autres.

Sur 574 circonscriptions sur 577 encore en compétition, la République en marche était donc présente dans quatre circonscriptions sur cinq. Le record d’abstention à ce premier tour a conduit à ce qu’il n’y ait qu’une seule triangulaire. L’enjeu du second tour était de savoir si les électeurs allaient confirmer la vague du premier tour ou limiter le succès du président de la République.

Une confirmation du record d’abstention

Il n’y a pas eu de remobilisation de l’électorat puisque 57,4 % des inscrits ne sont pas aller voter. C’est énorme. L’abstention a donc franchi un nouveau record pour des élections législatives, augmentant de 6,1 points par rapport au premier tour et de 12,8 points par rapport au second tour de 2012. A ce record d’abstention, il convient d’ajouter 4,2 % de blancs et nuls. Un suffrage n’a donc été exprimé lors de ce second tour que par 38,4 % des inscrits. Ce qui n’enlève pas leur légitimité aux députés élus.

Il ne faut cependant pas sur-interpréter ces chiffres. Ils ne sauraient s’expliquer par une dépolitisation subite des Français qui avaient voté à près de 78 % au premier tour de la présidentielle. Ils traduisent certainement plusieurs phénomènes très importants.

D’abord une difficulté toujours très grande de certaines catégories de population de comprendre l’enjeu de ces élections, une fois que la présidentielle a eu lieu. D’après le sondage Ipsos à la veille du scrutin, trois jeunes de 18-24 ans sur quatre ne se sont pas déplacés, 69 % des ouvriers et 65 % des employés, 68 % des personnes à faibles revenus ont fait de même.

Dans un bureau de vote, le 18 juin 2017, à Authon (Loir-et-Cher). Guillaume Souvant/AFP

Le rejet des élites politiques, tout particulièrement des partis de gouvernement et encore plus du Parti socialiste par répulsion du dernier quinquennat, est aussi une des clefs de l’énorme abstention.

Troisième explication : dans beaucoup de circonscriptions, l’offre électorale était limitée et un certain nombre d’électeurs dont le candidat du premier tour avait été éliminé n’ont pas voulu reporter leur voix sur une autre force politique. Bien sûr, des abstentionnistes du premier tour se sont mobilisés pour le second – ce qui explique probablement l’élection de certains candidats qui paraissaient en ballottage défavorable au soir du premier tour. C’est le cas de Delphine Batho dans les Deux-Sèvres ou de Marie-Noëlle Battistel dans l’Isère, deux députés de terrain – à l’aube de son troisième mandat pour la première, de son second pour l’Iséroise.

Mais le poids des nouveaux entrants dans l’expression du suffrage a été faible par rapport à la désertion d’électeurs de dimanche dernier. Une progression de l’abstention entre les deux tours d’une législative n’est pas une nouveauté ; on a pu l’observer dans une élection sur deux depuis 1958 (sept cas sur quatorze), même si l’écart n’a jamais été aussi fort.

Enfin, la majorité de la République en marche apparaissait quasi certaine. Selon Ipsos, 18 % des abstentionnistes expliquent leur comportement par l’absence d’enjeu, La République en marche étant assurée de gagner. Beaucoup n’avaient pas un fort désir de s’y opposer, même s’ils ne se sentent pas en accord avec l’ensemble du programme du Président.

Toujours selon le même sondage, 56 % des inscrits sur les listes électorales ne se disent pas complètement convaincus par le programme d’Emmanuel Macron, en particulier sur la réforme du travail et de la fiscalité, mais estiment qu’il faut lui laisser sa chance. L’abstention est pour certains une forme de « laisser faire », après une présidentielle qui a défini les grandes lignes politiques pour les cinq années à venir. Et une volonté de corriger le résultat du premier tour et de limiter la victoire présidentielle a probablement joué.

L’abstention a donc des causes multiples, nombre d’entre elles correspondant à des raisonnements politiques et non pas à un désintérêt pour la vie publique.

Une large majorité présidentielle

Le République en marche obtient 350 sièges, 308 pour La République en marche et 42 pour le MoDem. La majorité absolue étant de 289 suffrages (la moitié de 577 plus une), c’est une majorité confortable qui marque la réussite de l’entreprise macroniste visant à gouverner avec une force politique nouvelle. La République en marche a une majorité absolue à elle seule, elle n’aura donc pas besoin de négocier avec les députés MoDem ou

« macron-compatibles » d’autres partis.

La nouvelle Assemblée nationale issue des législatives de juin 2017.

Au second comme au premier tour, l’étiquette politique LREM a été un énorme atout pour ses candidats alors que le simple fait d’avoir été longtemps un élu des partis de gouvernement était un boulet. Après l’ère des alternances entre droite et gauche, qui avait généré beaucoup de désillusions, les électeurs ont mis leurs espoirs dans une majorité centriste, empruntant ses thématiques à la gauche et à la droite. Son programme est libéral en économie, introduisant davantage de flexisécurité, ouvert sur l’Europe et la mondialisation, mais il mise aussi sur l’éducation et poursuivant les réformes libérales en matière sociétale.

Si LREM dispose d’une majorité absolue, son étendue n’est cependant pas exceptionnelle si on se rappelle par exemple les résultats de 1993 où la droite obtenait 474 sièges – soit à peu près 80 % de la représentation nationale, ou ceux de 2002 où l’UMP totalisait à lui seul 365 sièges. Et cette majorité n’est pas aussi large que certains l’imaginaient après le premier tour.

Une opposition de droite conséquente

La droite perd évidemment de nombreux sièges mais conserve 138 députés, 113 issus des Républicains et 18 de l’UDI, 7 des divers-droite. Elle résiste au fond assez bien à la vague présidentielle de 2017 puisqu’elle aura environ 24 % des élus, un poids très proche de celui de ses voix au premier tour.

Néanmoins, cette opposition conséquente apparaît fragile du fait de sa division, puisque certains se veulent « macron-compatibles », prêts à voter la confiance au gouvernement, d’autres sont disposés à soutenir certains projets gouvernementaux alors qu’une dernière tendance se prépare à être franchement oppositionnelle. Cette fragilité pourrait se traduire par de nouveaux départs et des recompositions sur les ailes extrêmes.

Une gauche très affaiblie et complètement éclatée

Le Parti socialiste et ses alliés ne conservent que 44 sièges, avec 29 élus socialistes, 3 radicaux et 12 divers-gauche. La reconstruction de ce parti de gouvernement apparaît beaucoup plus incertaine qu’en 1993 où les socialistes avaient gardé 58 députés. Car si beaucoup d’élus ont déjà quitté le navire pour rejoindre la majorité présidentielle, le débat entre socio-démocrates et frondeurs qui lorgnent vers la France insoumise fait toujours rage.

Jean‑Luc Mélenchon, le 18 juin 2017, à Marseille. Anne-Christine Poujoulat/AFP

Le rassemblement de Jean‑Luc Mélenchon n’a pas réussi son pari d’écraser le Parti socialiste mais peut se targuer d’avoir réussi à faire élire 17 députés (dont son leader à Marseille), lui permettant d’avoir un groupe parlementaire.

Le Parti communiste conserve quelques zones de forces et maintient 10 élus, performance assez semblable à 2012. Ces élus auront cependant bien du mal à se faire entendre face à des mélenchonistes qui se sont montrés peu ouverts à des compromis avec leurs anciens alliés du Front de gauche.

Un Front national qui reste marginal

Le Front national gagne quelques sièges passant de deux à huit élus (dont Marine Le Pen à Hénin-Beaumont). Il confirme sa forte implantation dans le nord et dans quelques zones du midi de la France. Mais il continue d’être considéré comme un parti illégitime par beaucoup et semble en repli.

Après un premier tour de l’élection présidentielle où Marine Le Pen avait obtenu 21,3 % au premier tour et 33,9 % au second et un score de seulement 13,2 % au premier tour des législatives, son faible nombre d’élus montre que, dans des situations de duels, une forme de front républicain continue de fonctionner. Le FN n’atteint donc que rarement la majorité des suffrages, étant incapable de rassembler largement derrière lui.

Un paysage politique chamboulé

Au terme de la longue période électorale que nous venons de connaître, le paysage politique français est totalement chamboulé. La droite, qui s’attendait à incarner une alternance après un quinquennat de gauche et ne semblait pas pouvoir perdre cette élection, doit se contenter d’être la première force d’opposition. La gauche est complètement laminée. Les anciens partis de gouvernement, qui constituaient depuis trois décennies l’ossature du système partisan, sont marginalisés au profit d’une force centrale, qui devra faire la preuve de sa capacité à durer et à mettre en œuvre les réformes qu’elle a annoncées.

Les députés seront pour beaucoup des novices en politique, environ un sur deux n’a jamais exercé de mandat politique, trois sur quatre n’ont jamais eu de mandat parlementaire. Mais ils appartiennent très souvent aux classes supérieures à fort niveau de diplôme, ont exercé des positions de responsabilité dans le public ou le privé, ont parfois travaillé dans l’entourage des élus ou dans la vie associative.

Comme tous leurs collègues députés, ils n’exerceront pour l’essentiel que ce mandat, du fait de la loi sur le non-cumul votée sous le quinquennat Hollande. Ils vont contribuer à rajeunir l’Assemblée dont l’âge moyen passerait de 55 ans en 2012 à 49 ans en 2017. Et aussi à la féminiser puisque les femmes passent de 26,8 % à 38,7 %. C’est un bond considérable qui rapproche l’Assemblée française des parlements nationaux les plus féminisés en Europe.

Trois novices en politique – Adrien Taquet, Celine Calvez and Stanislas Guerini – arrivant au Palais Bourbon, au lendemain de leur élection sous les couleurs d’En Marche ! Thomas Samson/AFP

Une ère nouvelle s’ouvre mais les prochains mois réserveront certainement encore bien des surprises. Il faudra, notamment, être attentif à la manière dont le nouveau système partisan se consolide ou évolue. Une réforme du système électoral législatif est annoncée par le nouveau pouvoir qui souhaite qu’il y ait moins de députés et qu’on introduise enfin une dose de proportionnelle, promise depuis longtemps.

Cette réforme ne devrait normalement pas bouleverser le caractère confirmatoire de ces élections, le nouveau pouvoir surfant sur sa victoire pendant que les oppositions peinent à digérer leur défaite. Mais l’existence d’une dose de proportionnelle devrait limiter l’ampleur des majorités sortant des urnes et obliger, parfois, le nouveau Président à mettre en œuvre des coalitions pour pouvoir gouverner.

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