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Des nanoparticules de fer pour dépolluer les sols

Les chantiers du Grand Paris, comme la construction de la ligne 15 du métro, exigent de dépolluer d'anciens sites industriels. Selon la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (Driee) d’Île-de-France, 5.000 hectares de sols seraient pollués dans l’agglomération parisienne, à cause de l’héritage industriel très important de la région. Grand Paris Express/Facebook

Dans les territoires à forte tradition industrielle – par exemple en France, la Lorraine, le Nord-Pas-de-Calais, l’Île-de-France et la région lyonnaise –, les mutations économiques ont conduit à la fermeture de nombreuses usines. Ces sites abandonnés laissent derrière eux de vastes surfaces souvent touchées par la pollution des sols et des nappes souterraines. Suivant les situations, les polluants peuvent être des hydrocarbures pétroliers, des solvants chlorés (comme le trichloroéthène) et/ou des métaux comme le plomb, le zinc, le cadmium, etc.

Au cœur des grandes villes, la forte pression foncière a incité à une dépollution rapide des sols et à des projets de réaménagement. C’est le cas, par exemple, du Stade de France à Saint-Denis, construit sur le terrain d’une ancienne usine à gaz, ou du quartier Lyon Confluences, autrefois dédié à des activités industrielles et logistiques.

Dans les zones moins convoitées, hors des grandes agglomérations, ces lieux sont souvent délaissés. En France, on recense début 2019 près de 7 000 sites pollués ou potentiellement pollués, répertoriés dans la base Basol, publiée par le ministère de la Transition écologique et solidaire. Une autre base de données, Basias, établit l’inventaire historique des sites industriels et activités de service pouvant donner lieu à des sites pollués.

Mais comment dépollue-t-on les sols et les nappes souterraines ?

Isoler ou détruire la pollution

Différentes techniques existent pour dépolluer les sols et les nappes, grâce à des traitements basés sur des principes physiques, chimiques ou biologiques. Il s’agit d’isoler la pollution (par exemple, par excavation et stockage en centre spécialisé) ou de la détruire par voie thermique (en chauffant la terre aux alentours de 500 °C pour « décrocher » les hydrocarbures qui se retrouvent dans les gaz, eux-mêmes traités à plus haute température), par action biologique ou encore par injection de produits chimiques.

Ces traitements sont mis en œuvre in situ, c’est-à-dire sans excavation de terre, ou après excavation, sur le site même ou dans un centre de traitement spécialisé.

Le choix d’une technique ou d’un ensemble de techniques dépend de la nature et de l’étendue des pollutions, de la géologie et de l’hydrogéologie du site, des délais, des coûts, etc. Ces décisions impliquent de nombreux acteurs, comme les propriétaires du site, les responsables de la pollution, les pouvoirs publics, les entreprises de dépollution, les citoyens. Les traitements biologiques, l’excavation des sols suivie du stockage des terres et le pompage des eaux de nappes sont aujourd’hui les plus utilisés.

Des techniques très coûteuses

Les coûts de la dépollution demeurent encore très élevés : il devient donc essentiel de développer des procédés de remédiation (thermiques, chimiques ou biologiques, pour isoler ou détruire les polluants) qui soient efficaces, sûrs, optimisés et économiquement viables.

Selon une étude réalisée pour l’Ademe en 2010, le marché de la dépollution était de 470 millions d’euros.

Il est difficile de connaître le nombre de sites dépollués par an sur les centaines de milliers d’hectares recensés en France. Un traitement dure de quelques semaines à quelques années, suivant la nature et l’étendue de la pollution et suivant les techniques choisies : une technique « intensive » comme l’excavation et le stockage est relativement rapide (quelques semaines), tandis que les procédés d’injection de produits chimiques ou les traitements biologiques peuvent durer des mois, voire des années.

La taille des sites est très variable : depuis la station essence jusqu’aux anciennes grandes usines chimiques, métallurgiques, etc. Les prix vont de quelques centaines de milliers à plusieurs millions d’euros.

La nanoremédiation, une innovation prometteuse

Dans le monde entier, des équipes de recherche tentent de mieux comprendre les mécanismes en jeu, dans les sols et les nappes, pour faire émerger des traitements efficaces et innovants. Parmi elles, le Gisfi (ou Groupement d’intérêt scientifique sur les friches industrielles) implique des chercheurs de différentes disciplines sur les questions liées à l’observation de ces écosystèmes particuliers et aux procédés de dépollution innovants.

Certains nouveaux procédés sont déjà opérationnels, comme ceux basés sur la nanoremédiation : il s’agit d’utiliser des nanoparticules – c’est-à-dire des particules ultrafines – de diamètre 100 000 fois inférieur à celui d’un cheveu, pour les injecter dans un sol ou une nappe souterraine. Grâce à leur petite taille et leur très grande réactivité, elles vont pouvoir dégrader ou immobiliser les polluants.

De nombreux nanomatériaux ont été étudiés à cette fin. À l’heure actuelle, les nanoparticules de fer sont les plus utilisées. Elles permettent de décontaminer des eaux et des sols chargés en composés chlorés, qui figurent parmi les polluants les plus répandus. Elles sont aussi efficaces pour le chrome, en réduisant l’une de ses formes particulièrement toxiques.

Ces particules agissent par voie chimique, en contribuant à la déchloration des molécules, et par voie biologique. Le fer réagit non seulement avec le polluant, mais aussi avec l’eau du sol ou de la nappe, ce qui produit un environnement pauvre en dioxygène (O2) et riche en dihydrogène (H2). Le déficit en dioxygène autorise l’action de familles de micro-organismes dits anaérobie (fonctionnant en l’absence de dioxygène), qui contribuent à « enlever » un par un les atomes de chlore portés par le polluant. Dans d’autres cas, les particules de fer ne dégradent pas les polluants, mais les fixent sur leur surface, et donc les immobilisent.

Elles peuvent être injectées dans les nappes et mélangées à des sols, jusqu’à des profondeurs d’une douzaine de mètres, en utilisant des engins permettant l’injection de ces nanoparticules en suspension dans l’eau et le malaxage avec la terre. Ce procédé permet dans certains cas de venir à bout de la quasi-totalité de la pollution.

Des doutes sur la toxicité des nanoparticules

Bien que cette technologie émergente semble au premier abord constituer un progrès évident en matière de remédiation des sites contaminés, en raison de l’efficacité liée à l’emploi de particules ultrafines (très réactives), son utilisation inquiète en raison de la possible toxicité des nanoparticules pour certains organismes et dans certains contextes.

Les risques potentiels qu’elle présente pour la santé et pour les écosystèmes ne sont pas encore complètement élucidés. Les nanoparticules, lorsqu’elles restent bien séparées les unes des autres, sont suffisamment petites pour risquer de traverser la barrière cutanée et pénétrer dans certains organes.

De nombreuses études cherchent actuellement à préciser les risques, d’autant plus que les nanoparticules sont présentes dans de nombreux produits de la vie quotidienne, notamment alimentaires ou cosmétiques. Dans le cadre de la dépollution, il importe surtout de mettre en place les mesures de protection nécessaires, comme pour l’usage de tout produit chimique.

De nombreux enjeux socio-économiques sont également reliés à l’utilisation de nanomatériaux pour la remédiation des sites contaminés : ces nouvelles techniques permettent aux entreprises de la dépollution d’élargir leur offre et génèrent de nouvelles activités. Afin de prévenir tout impact négatif de cette méthode, il est indispensable de poursuivre des évaluations appropriées, incluant des tests de démonstration à l’échelle pilote d’un écosystème reconstitué.

Traitement d’un sol contaminé aux solvants chlorés par injection de nanoparticules de fer zérovalent. Soléo Services

Des barrières à lever, mais un potentiel considérable

Dans ce contexte, le Gisfi, la région Grand Est et quatre partenaires européens (Finlande, Grèce, Hongrie et Italie) espèrent promouvoir ces procédés de remédiation innovants, en particulier la nanoremédiation, comme un levier potentiel pour répondre aux problèmes environnementaux et économiques de la gestion des sites contaminés.

L’utilisation du procédé étant freinée par un manque de connaissances et retour d’expérience, un projet baptisé Tania a été lancé par le consortium. Il réunit les établissements institutionnels locaux (les régions), les acteurs de la recherche et de l’innovation des domaines de l’environnement et de la remédiation afin de répondre aux questions qui subsistent en la matière.

Si les nanomatériaux sont d’ores et déjà utilisés pour la dépollution de sols et des nappes, il demeure encore des connaissances à acquérir et des développements technologiques à proposer (pour mieux les injecter notamment). Il reste également des barrières à franchir d’ordre réglementaire et concernant l’acceptabilité de ces techniques par les entreprises, les clients, les élus et le public.

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