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photo satellite des alpes
Les Alpes vue par le satellite Sentinel. ©Copernicus Sentinel data (2018), processed by ESA

Des roches plus vieilles que ce que l’on pensait au cœur des Alpes

Sur les hauteurs de la station de Serre Chevalier dans les Hautes-Alpes, nous venons de dater un ensemble rocheux : il a environ 600 millions d’années. Il s’agit des roches les plus anciennes découvertes à ce jour dans les Alpes occidentales.

En effet, si l’on savait que les Alpes s’étaient formées lors de deux cycles géologiques, ces vestiges encore plus anciens proviennent d’un cycle antérieur, appelé le précambrien – c’est-à-dire qu’ils reculent l’âge des roches de cette partie des Alpes de plus de 60 millions d’années vers le passé.

La contribution du cycle précambrien est déjà bien connue dans d’autres régions françaises (Massif armoricain et Pyrénées par exemple) et en Afrique. Mais il était jusqu’alors inconnu dans les Alpes françaises.

Comment naissent les montagnes ?

Depuis l’avènement de la « tectonique des plaques » (et même avant), on sait que les continents ne sont pas fixes, mais migrent en s’éloignant ou se rapprochant au gré de mouvements agitant les parties profondes de la Terre.

Schématiquement, une chaîne de montagnes se forme au cours d’un cycle qui débute par l’ouverture d’un océan où se déposent des sédiments, et c’est quand l’océan se referme et que les continents entrent en collision que les forces gigantesques qui les poussent l’un contre l’autre font naître les montagnes.

C’est en réalité un peu plus complexe. Dans ce processus de migration, de multiples blocs (on parle de « microcontinents ») se détachent de leur continent d’origine, et ce sont généralement ces blocs qui entrent en collision et forment les montagnes. Chaque bloc a ses propres caractéristiques et, parmi elles, l’âge des roches est le plus déterminant. L’âge précambrien des roches de Serre Chevalier pose donc la question de la diversité et de l’origine des blocs constituant des Alpes.

Comment déterminer l’âge des roches ?

Pour déterminer l’âge d’une formation géologique (ensemble de roches), on utilise des méthodes différentes selon le type de roche. S’il s’agit de roches « sédimentaires », c’est-à-dire issues du lent dépôt de sédiments au fond d’une mer ou d’un lac, on utilise généralement les fossiles. Ceux-ci sont les vestiges des organismes qui peuplaient le milieu aquatique et peuvent fournir des indications précises.

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Pour les roches dites « cristallines », c’est-à-dire issues de magmas nés dans les profondeurs de la Terre et remontés vers la surface, la datation requiert l’utilisation de méthodes de laboratoire basées sur les propriétés des éléments radioactifs, la « radiochronologie ». Les éléments utilisés sont toujours peu abondants – le plus fréquent est l’uranium.

Au fil des ans, ces méthodes sont devenues de plus en plus performantes et de plus en plus accessibles ; désormais, elles sont systématiquement utilisées pour des travaux de cartographie géologique. Ceci concerne en particulier tous les massifs anciens, tels le Massif armoricain ou le Massif central, particulièrement riches en roches cristallines.

C’est également le cas dans les Alpes, connues en France comme des montagnes « jeunes », mais qui comportent de vastes massifs de roches cristallines anciennes comme le Mont-Blanc, les Écrins ou la chaîne de Belledonne. Depuis une vingtaine d’années, ces massifs anciens ont fait l’objet de très nombreuses datations par radiochronologie.

Mais l’âge des roches cristallines de Serre Chevalier, un ensemble plus modeste, restait totalement inconnu.

La formation des Alpes

Dans les Alpes, les sédiments se sont déposés en s’accumulant en couches, qui donneront plus tard les reliefs de la chaîne actuelle : falaises calcaires du Vercors et Chartreuse, ou dépressions marneuses de la région de Serre-Ponçon.

Ces sédiments se déposaient sur un socle fait de granites et autres roches cristallines. Celles-ci se trouvaient initialement en dessous, mais ont été expulsées vers le haut lors de la collision continentale formant désormais la plupart des plus hauts sommets – Mont-Blanc et mont Pelvoux en France, ou Grand Paradis en Italie.

Comment la tectonique des plaques a façonné les Alpes Source : HES-SO.

Ces roches cristallines sont en fait des fragments de continents que la tectonique des plaques a assemblés pour créer la chaîne des Alpes actuelle. Elles sont nées de la collision entre l’Europe et une microplaque venue d’Afrique appelée l’Apulie. La partie européenne occupe toutes les Alpes françaises et l’Apulie occupe l’actuelle Italie. D’Afrique, l’Apulie a migré vers le nord pour percuter l’Europe au cours du Tertiaire, il y a environ 35 millions d’années.

Un océan « fossile » et des rives bien cristallisées

Dans le détail, cette histoire s’avère relativement complexe, mais l’océan qui séparait initialement les deux blocs continentaux a laissé de nombreux indices et peut être partiellement reconstitué malgré une histoire géologique mouvementée qui l’a fait plonger sous l’Apulie lors du rapprochement Afrique-Europe. Ces indices sont un ensemble de roches spécifiques des fonds océaniques que l’on retrouve désormais à l’est des Alpes françaises, du Queyras à la Vanoise, et qui se poursuit au nord vers l’Italie et la Suisse.

À l’écart de cet océan « fossile », les massifs cristallins sont autant de témoins des continents initiaux. Connaître l’âge d’un massif peut permettre de déterminer son continent d’origine. S’agit-il d’un fragment d’Europe ou d’un fragment d’Afrique, voire même d’Ibérie, puisque celle-ci constituait une plaque particulière avant que sa collision avec la plaque Europe n’engendre les Pyrénées ?

Jusque dans les années 80, les méthodes de datation étaient encore peu répandues et les cartes géologiques des Alpes, souvent levées dans les années 60 et 70, ne donnaient que des informations imprécises et qualitatives sur l’âge des massifs cristallins. De très nombreux travaux scientifiques, menés postérieurement aux levés des cartes, ont partiellement comblé cette lacune et un important corpus de données s’est constitué. Il en est ressorti que les massifs cristallins des Alpes occidentales, qui constituent le socle sur lequel se sont déposés les sédiments alpins, n’étaient jamais plus anciens que -520 millions d’années, ce qui les situait dans l’ère primaire, comme l’essentiel des massifs anciens du territoire français.

Néanmoins, des secteurs restaient à étudier, en particulier un ensemble de roches cristallines situées sur les hauteurs de la station de Serre Chevalier, à un endroit très pratiqué par les skieurs. En dépit de sa taille réduite, cet ensemble montre des roches cristallines variées, par exemple des granites plus ou moins déformés (on parle alors de « gneiss ») qui se prêtent bien à une datation par radiochronologie. Sa position est également singulière puisque ce socle surmonte des roches sédimentaires plus récentes.

Les analyses effectuées ont fourni des âges proches de -600 millions d’années qui situent ces roches dans le Précambrien (la limite entre Précambrien et ère primaire se plaçant vers -540 millions d’années). Ce socle est donc plus ancien que ceux connus jusqu’alors dans les Alpes françaises qui tous se rattachaient au cycle varisque/hercynien, daté entre -500 et -300 millions d’années. Une partie du socle alpin est donc plus ancienne et se rattache à un cycle géologique antérieur et bien distinct. Un tel cycle est néanmoins présent en France, où il affecte la partie la plus ancienne du Massif armoricain, et plus encore en Afrique où il prend le nom de cycle « Panafricain ».

Ces roches sont-elles d’origine européenne ou africaine ?

Des travaux complémentaires permettront peut-être de résoudre la question. D’ores et déjà, d’autres terrains de socle des Alpes sont à l’étude afin de mesurer l’ampleur réelle du Précambrien au sein des Alpes françaises. Il s’agit en particulier du socle de la Vanoise, encore mal connu, mais dont des roches datées à -510 millions d’années pourraient représenter un jalon entre le cycle varisque et le cycle antérieur mis en évidence à Serre Chevalier.

Au-delà, l’enjeu est de décrypter l’anatomie de la chaîne des Alpes, née de la fusion de plaques d’âge et origine différents, réunies par la tectonique et dont nous savons désormais qu’elle superpose au moins trois cycles géologiques dont le plus ancien s’est déroulé au Précambrien, il y a environ 600 millions d’années.

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