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Des trous de mémoire ? Ce n’est pas forcément Alzheimer

Beaucoup d'autres pathologies peuvent être confondues avec la maladie d'Alzheimer. Nick Karvounis/Unsplash

La maladie d’Alzheimer s’est inscrite, pour longtemps, dans notre imaginaire collectif. Qu’un numéro de téléphone nous échappe, que le nom du voisin nous reste sur le bout de la langue, et aussitôt la blague fuse : tu ne nous ferais pas un début d’Alzheimer ? La maladie fascine et effraie à la fois. On ne compte plus les films centrés sur les personnes atteintes de cette maladie. Et même les humoristes se sont emparés du sujet, comme le duo des Vamps ou la Belge Virginie Hocq.

Les oublis, les trous de mémoires, bref le mauvais fonctionnement de la mémoire, sont les symptômes qui conduisent le plus souvent une personne à soupçonner une maladie d’Alzheimer et à consulter. Mais beaucoup d’autres signes sont révélateurs, comme on peut le découvrir en rejoignant le cours en ligne gratuit, ou MOOC, de Sorbonne Université sur la maladie d’Alzheimer. La session vient de démarrer, et se poursuit jusqu’au 23 mai.

Faire des chutes répétées, c’est-à-dire deux chutes ou plus en 12 mois, est un signal d’alerte. Faire pour la première fois une dépression après l’âge de 65 ans en est un autre, ou encore présenter des signes de dénutrition protéinoénergétique comme une perte de poids involontaire, une perte d’appétit ou une faiblesse musculaire. Ces signes sont mal connus des patients et même des médecins, et face à eux on passe fréquemment à côté du diagnostic.

Le besoin d’aide pour les gestes de la vie quotidienne, signe révélateur

Une autre situation doit alerter chez une personne âgée : le fait d’avoir besoin d’une aide humaine pour réaliser des gestes de la vie quotidienne qui ne posaient pas problème auparavant, par exemple gérer ses médicaments, son budget, téléphoner, utiliser les transports en commun. Ce signe est surtout révélateur si ces difficultés ne trouvent pas une explication simple, comme une fracture récente ou une maladie touchant la vision ou la motricité.

Différents symptômes peuvent évoquer la maladie d’Alzheimer. Dans tous les cas ils doivent entraîner un bilan médical. Lotte Meijer/Unsplash

Ces différents symptômes, chez une personne âgée, ne sont pas spécifiques de la maladie d’Alzheimer. C’est-à-dire qu’ils peuvent trouver leur origine dans d’autres problèmes de santé. Dans tous les cas, ils doivent déclencher un bilan médical. Les médecins généralistes et les gériatres disposent aujourd’hui de tests de repérage fiables et rapides. Ils permettent en 2 à 3 minutes d’identifier des anomalies du fonctionnement cognitif. Si tel est le cas, un bilan spécialisé en consultation mémoire permet de poser le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ou d’un autre trouble neurocognitif, ou encore de les écarter.

Si la maladie d’Alzheimer est le plus connu et le plus fréquent des troubles neurocognitifs majeurs, elle n’est pas la seule à perturber le fonctionnement de la mémoire. Les spécialistes en dénombrent plus d’une trentaine. Quatre maladies – ou groupes de maladies – figurent parmi les plus fréquentes. En les ajoutant à la maladie d’Alzheimer, on réunit plus de 90 % des cas de troubles neurocognitifs majeurs.

Alzheimer, ou maladie à corps de Lewy ?

La maladie à corps de Lewy corticaux présente plusieurs similitudes avec la maladie d’Alzheimer. Le début est insidieux et son évolution, lente et progressive. Elle perturbe la mémoire et les autres fonctions cognitives. Elle provoque des chutes et entraîne la dépendance. Mais certains signes permettent de la distinguer, comme le caractère très fluctuant des symptômes cognitifs d’un jour sur l’autre ou dans la même journée.

Cette maladie comporte aussi des hallucinations et des signes voisins de ceux rencontrés dans la maladie de Parkinson. Notamment, on observe une rigidité dite extrapyramidale, avec une raideur des articulations qui n’est pas liée à une maladie de l’articulation, mais à un trouble du relâchement des muscles et des tendons. Enfin le sommeil est troublé dans la phase paradoxale – celle des rêves – ce qui entraîne une agitation et des mouvements correspondant au songe en cours.

La maladie de Parkinson, si celle-ci évolue depuis plusieurs années déjà, peut entraîner des déficits cognitifs et même un trouble neurocognitif majeur. Surtout connue pour ses tremblements, la maladie de Parkinson peut pourtant entraîner un tableau comparable à la maladie à corps de Lewy. D’ailleurs on retrouve dans le cerveau des patients les mêmes lésions, ces corps de Lewy. Ce sont des agrégats anormaux de protéines qui sont observés dans certains neurones.

Alzheimer, ou AVC ?

Autre source de confusion possible : les maladies cérébrovasculaires, c’est-à-dire des vaisseaux qui irriguent le cerveau. Les accidents vasculaires cérébraux ou AVC sont provoqués par le blocage (occlusion) d’une artère (AVC ischémique) ou par un saignement (AVC hémorragique). Ils peuvent avoir des conséquences spectaculaires, comme une paralysie (hémiplégie). Mais ils peuvent aussi entraîner des perturbations neurologiques plus diffuses.

Ainsi, certains AVC peuvent se présenter sous forme de « lacunes », de plus petite taille, souvent présentes en plusieurs endroits du cerveau. Certains passent inaperçus. Les AVC peuvent entraîner des déficits cognitifs lorsqu’ils touchent les deux hémisphères du cerveau à la fois, que les neurones touchés représentent une quantité importante de tissu cérébral ou bien certaines zones particulièrement critiques pour le fonctionnement cognitif.

Certains signes orientent vers cette origine. C’est le cas si la personne a déjà connu un AVC, si les signes cognitifs sont apparus brutalement, c’est-à-dire d’un jour sur l’autre, si l’intensité des symptômes augmente par la suite de manière là aussi brutale (évolution en « marche d’escalier ») du fait de nouveaux AVC.

Une atteinte localisée d’abord à un lobe du cerveau

Une dernière cause de troubles neurocognitifs majeurs tient à des atteintes du cerveau nommées dégénérescences lobaires fronto-temporales. Il s’agit d’un groupe de maladies assez variées, débutant par une atteinte localisée à un lobe du cerveau puis s’étendant progressivement aux autres. Ces maladies peuvent toucher chacun des 4 lobes externes (frontal, temporal, pariétal et occipital) de chaque hémisphère. Au début, la mémoire fonctionne bien et les signes marquants relèvent d’autres domaines. Selon les formes, il peut s’agir de troubles du comportement, de symptômes psychiatriques, de troubles du langage ou de troubles visuels. Par la suite, la mémoire et les autres fonctions cognitives se dégradent.

Comme rien n’est simple, certains patients peuvent connaître plusieurs processus qui altèrent en même temps leurs fonctions cognitives. On parle alors de trouble neurocognitif mixte, et il n’est pas rare de voir des patients atteints à la fois par la maladie d’Alzheimer et la maladie cérébrovasculaire.

On peut se demander s’il est vraiment utile de chercher à distinguer ces pathologies. À quoi bon, disent certains, en l’absence de traitement permettant d’en guérir ? Il est pourtant important de savoir les reconnaître, car leur évolution, leur pronostic et leur prise en charge sont différents.

C’est pourquoi, la Haute autorité de santé (HAS) recommande, en présence de dysfonction neurocognitive majeure, de réaliser une IRM du cerveau qui permettra de repérer les signes d’éventuelles lésions vasculaires. Elle recommande aussi de réaliser une consultation dans un centre spécialisé dans les maladies de la cognition (consultation mémoire) pour mener cette enquête. Dans certains cas difficiles, il est possible pour préciser le diagnostic de recourir à des examens spécialisés d’imagerie fonctionnelle du cerveau et/ou de dosages biologiques dans le liquide céphalo-rachidien.

La démence, un terme médical passé dans le langage courant

Pendant longtemps, toutes ces maladies ont été rangées par les médecins sous le terme de « démence ». Mais ce terme médical, passé dans le langage courant, renvoie désormais à des représentations exagérément négatives, celles d’une crise spectaculaire de folie furieuse. Cette perception est la plupart du temps erronée, car beaucoup de patients ne présentent jamais d’épisodes aussi impressionnants.

De plus, on sait aujourd’hui que le simple mot de démence peut, s’il est prononcé, inquiéter les malades et leur entourage. Il peut aussi influer négativement le personnel qui les soigne et plus généralement la société, entraînant une méfiance vis-à-vis de ces personnes et leur mise à l’écart.

Ces représentations sont rarement énoncées à voix haute. Souvent même elles ne sont pas conscientes, ce qui les rend plus dangereuses. La société savante américaine de psychiatrie (American Association of Psychiatry) a actualisé son guide diagnostique des maladies psychiatrique, connu sous le nom de DSM 5) en 2015. Dans cette nouvelle version, le terme de « démence » est abandonné au profit de celui de « trouble neurocognitif majeur ».

Ce terme plus neutre, plus descriptif, n’a pas le passif du mot « démence » et n’induit pas de préjugés. Cette initiative a été saluée par les associations de familles de patients et par les spécialistes du domaine.

Le verbe « dégénérer », source d’images effrayantes

Cependant le trouble neurocognitif majeur n’a pas encore remplacé, dans la bouche des médecins, le terme très usité de maladies neurodégénératives. Il y a même un plan de santé publique qui leur est consacré ! Là encore, le verbe « dégénérer » peut induire des images effrayantes. Il suffit de chercher les synonymes du mot dégénéré pour s’en rendre compte : arriéré, détérioré, dégradé, imbécile, irrécupérable…

Par ailleurs, le terme « dégénératif » n’a pas une définition précise et reconnue en médecine. Il masque – assez mal – notre ignorance des mécanismes qui produisent une perte lente et progressive des capacités de la personne au fil du temps. Changer la terminologie ne changera pas l’état des malades. Cela ne permettra pas d’agir sur des maladies lourdes et déconcertantes pour lequel il n’existe pas à ce jour de traitement capable d’arrêter leur progression. Mais cela peut éviter des inquiétudes et des idées fausses néfastes pour les malades. Avec d’autres actions, le choix d’un vocabulaire neutre participe à une attitude de respect et de bienveillance vis-à-vis des personnes touchées par ces maladies.

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