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Une vue aérienne sur la canopée amazonienne
L’Amazonie constitue la plus grande étendue de forêt tropicale au monde. Author provided

Des yeux et des oreilles technologiques pour percer les secrets de la biodiversité amazonienne

La forêt tropicale couvre 12 % de la surface terrestre de la planète mais abrite environ deux tiers de toutes les espèces terrestres. L’Amazonie, qui s’étend sur le vaste bassin du fleuve Amazone et le plateau des Guyanes en Amérique du Sud, est la plus grande étendue de forêt tropicale au monde. Elle abrite davantage d’espèces animales que tout autre environnement terrestre de la planète.

Repérer la faune sauvage dans ces forêts sombres et denses qui regorgent d’insectes et de palmiers épineux est toujours un défi. Cela tient à la nature même de la biodiversité de l’Amazonie, où l’on trouve un petit nombre d’espèces abondantes et un grand nombre d’espèces rares qu’il est difficile de recenser correctement.

Savoir quelles espèces sont présentes et comprendre la nature de la relation qu’elles entretiennent avec leur milieu est capital pour l’écologie et la protection de l’environnement. On en tire des informations essentielles sur l’impact des perturbations humaines telles que le dérèglement climatique, l’exploitation forestière ou la combustion du bois. Cela permet aussi de repérer des activités humaines durables, comme l’abattage sélectif, qui consiste à enlever un ou deux arbres et à laisser les autres.

Dans le cadre du projet Bioclimate, nous avons tenté de surmonter ces obstacles et d’affiner notre compréhension de la faune amazonienne à l’aide d’une série de dispositifs technologiques, parmi lesquels figurent les pièges photographiques et la surveillance acoustique. Leur capacité à recueillir des données de façon continue et sans intervention humaine permet aux animaux de vaquer à leurs occupations sans être dérangés.

Bien qu’elles abritent une très grande partie de la biodiversité mondiale, les forêts tropicales sont souvent des zones sombres où l’observation de la faune sauvage est parfois compliquée. Oliver Metcalf

Des yeux dans les arbres

Les pièges photographiques sont de petits dispositifs déclenchés par tout changement d’activité alentour, tels que les mouvements des animaux. Ils ont été essentiels à notre travail dans la forêt nationale de Tapajos, à Para, dans le nord-ouest du Brésil, et nous ont permis d’évaluer l’impact de perturbations telles que le dérèglement climatique sur la présence et le comportement des animaux, eux-mêmes indispensables au déroulement de processus naturels.

La régénération des forêts passe par l’un de ces processus, la dispersion des graines par les animaux qui, après avoir mangé des fruits ou transporté des noix, en éliminent ou en laissent tomber les graines ailleurs. Nos recherches ont révélé qu’au moins 85 % de toutes les espèces d’arbres de nos parcelles voient leurs graines dispersées par les animaux.

Nous savons également que nombre de ces animaux sont fortement affectés par les perturbations. Pour mieux comprendre les conséquences qu’aurait leur disparition, nous devons savoir de quelles espèces il s’agit, quelles graines ces dernières dispersent et sur quelle distance.

Nous avons tenté de répondre à ces questions en installant des caméras au pied des arbres fruitiers de notre zone d’étude, afin de savoir quelles espèces mangeaient quels fruits avant d’en disperser les graines dans toute la forêt.

Sur les quelque 30 000 heures d’images obtenues, nous avons repéré des animaux sur 5 459 vidéos et identifié pas moins de 152 espèces d’oiseaux et de mammifères, y compris des espèces menacées comme le caïque vautourin (Pyrilia vulturina).

Les vidéos livrent un aperçu saisissant du comportement des animaux, tel un ocelot (Leopardus pardalis) chassant un opossum commun (Didelphis marsupialis), un tamanoir (Myrmecophaga tridactyla) portant un bébé sur son dos, et même une femelle capucin brun curieuse (Sapajus apella) qui, après avoir observé de près la caméra, a fini par la jeter par terre.

Les pièges photographiques ont apporté un éclairage utile sur certains mammifères secrets et souvent nocturnes. On voit ici un tamanoir (Myrmecophaga tridactyla) avec un nourrisson sur son dos, un ocelot (Leopardus pardalis) en train de chasser puis de manger un opossum commun (Didelphis marsupialis), et un tapir du Brésil se délecter de fruits. (Source : Liana Chesini Rossi)
Travailler avec des animaux n’est jamais simple. Ce capucin brun (Sapajus apella), inquiet de la présence du piège photographique, l’a jeté à terre. (Source : Oliver Metcalf.).

Notons aussi la présence de 48 espèces fructivores, dont certaines sont d’importants disperseurs de graines, tel le tapir du Brésil (Tapirus terrestris), capable, grâce à sa taille, de disséminer de grandes graines sur des distances plus importantes.

Nos recherches ont démontré que des espèces d’oiseaux comme le pénélope à poitrine rousse (Penelope pileata) et des mammifères comme le ouistiti argenté (Mico argentatus) ou le daguet gris (Mazama nemorivaga) sont des consommateurs fréquents de fruits. Un grand nombre de ces espèces sont chassées de façon excessive dans la zone étudiée, ce qui provoque des incidences en cascade sur la régénération des forêts.

Diverses espèces jouent un rôle important dans la dissémination des graines dans les forêts. Grâce aux pièges photographiques, nous avons pu identifier les animaux qui visitent les arbres fruitiers. Ces vidéos montrent un ouistiti argenté (Mico argentatus), un pénélope à poitrine rousse (Penelope pileate) et un daguet gris (Mazama nemorivaga) qui se nourrissent de fruits. (Source : Liana Chesini Rossi.).

Des forêts qui fourmillent de vie

Les enregistreurs acoustiques, quant à eux, sont indispensables pour dresser un inventaire de la communauté d’oiseaux, riche de multiples espèces. En effet, bien que difficiles à repérer dans ces forêts touffues, les oiseaux sont trahis par leurs chant.

Lorsque les ornithologues étudient les oiseaux tropicaux, ils sont limités par la fréquence à laquelle ils peuvent effectuer des comptages, car il est souvent difficile, d’un point de vue logistique, de se rendre sur chacun des sites. De ce fait, les relevés traditionnels durent assez longtemps (entre cinq et quinze minutes) et n’enregistrent qu’un nombre limité de comptages répétés sur chaque site étudié. Cela signifie que seule une petite partie de la période au cours de laquelle les oiseaux sont les plus actifs (les deux heures qui suivent le lever du soleil et que l’on appelle le chœur de l’aube) peut être étudiée.

Mais les oiseaux ne chantent pas tous au même moment : si certaines espèces aiment chanter très tôt le matin, la plupart attendent qu’il fasse légèrement plus chaud et que le soleil soit levé, tandis que d’autres sont plus tardives. En se limitant à quelques relevés, il est difficile de couvrir l’ensemble de la période et de détecter toutes les espèces présentes. De plus, les relevés n’étant réalisés que sur une poignée de jours, des facteurs tels que la météo ou la présence ponctuelle de prédateurs peuvent modifier drastiquement le relevé des espèces détectées.

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Notre étude a montré qu’en réglant les enregistreurs acoustiques automatiques pour qu’ils effectuent 240 enregistrements de 15 secondes aboutissant à une heure de sondage, nous avons enregistré 50 % d’espèces en plus sur chaque site étudié, par rapport à quatre relevés de 15 minutes qui reproduisaient la durée des relevés humains. Nous avons ainsi pu étendre notre sondage sur un plus grand nombre de jours, mais surtout sur la totalité du chœur de l’aube. Nous avons découvert qu’un petit groupe d’espèces préfère chanter sur un laps de temps s’étendant de 15 minutes avant le lever du soleil à 15 minutes après. Pour le détecter, il est nécessaire d’effectuer plusieurs relevés sur cette période, ce qui n’est possible qu’avec des enregistreurs automatiques.

Ces études plus complètes permettent une meilleure estimation des espèces habitant ces régions hyper-diversifiées, mais aussi de celles qui en disparaissent lorsque les forêts sont exploitées ou brûlées. Une seule heure de relevés réalisés sur chaque site grâce à cette méthode nous a permis de détecter 224 espèces d’oiseaux sur 29 sites.

Les espèces répertoriées dans les forêts intactes et dans celles qui ont subi des perturbations ont confirmé ce qu’indiquaient nos études précédentes : les forêts primaires inaltérées abritent des communautés d’oiseaux uniques qui disparaissent lorsque les forêts sont dégradées par l’abattage sélectif ou les incendies.

Séquence audio d’une forêt primaire non perturbée à 6 h 55 le 6 août 2018, où l’on entend onze espèces d’oiseaux, dont le myrmidon gris (Myrmotherula menetriesii) et le grallaire grand-beffroi (Myrmotherula Campanisona), que l’on ne trouve généralement que dans les forêts de bonne qualité. (Source : Oliver Metcalf).

Les enregistreurs acoustiques nous ont également permis de recueillir des données sur de longues périodes, avec déjà plus de dix mille heures d’enregistrement.

Avec un si grand nombre de données collectées, un·e scientifique ne peut écouter tous les enregistrements. En revanche, le nouveau domaine de l’éco-acoustique a permis l’élaboration de techniques statistiques pour caractériser des paysages sonores entiers. Ces indices acoustiques mesurent la variation de l’amplitude et de la fréquence pour donner une valeur à l’intensité et la variété de chaque paysage sonore. En éliminant la nécessité d’identifier les sons individuels, ils permettent de traiter efficacement de grands volumes de données acoustiques.

Nous avons utilisé ces indices acoustiques pour montrer que les forêts primaires non perturbées présentent des paysages sonores uniques qui peuvent être identifiés à l’aide de techniques d’apprentissage automatique. Nous pouvons ensuite les comparer aux paysages sonores perturbés par des phénomènes tels que les incendies ou l’exploitation forestière, afin de déterminer les groupes d’espèces les plus touchés.

Les incendies sauvages provoquent une forte mortalité des arbres et ouvrent des brèches dans la canopée. Ces changements dans la structure de la forêt entraînent une modification de la composition des espèces et des différences significatives dans les paysages sonores entre forêts inaltérées et forêts perturbées. Jos Barlow.

En conclusion, les pièges photographiques et les enregistreurs acoustiques nous permettent d’avoir des yeux et des oreilles dans la forêt, même lorsque nos chercheurs n’y sont pas. Nous continuerons à utiliser les avancées technologiques au fur et à mesure de leur développement pour comprendre l’écologie animale et le comportement de la faune afin de mieux valoriser et protéger son habitat.

Nous cherchons en particulier à développer des modèles algorithmiques d’apprentissage pour identifier les espèces et, dans certains cas, différencier les individus d’une même espèce. Les images et les sons saisis par les enregistreurs automatiques ouvrent de nouvelles voies vers la compréhension de la vie et du comportement des animaux, et de nouvelles perspectives sur le monde secret de la faune des forêts tropicales.

Traduit de l’anglais par Catherine Biros pour Fast ForWord


Le projet de recherche « Bioclimate » est soutenu par la Fondation BNP Paribas dans le cadre du programme Climate and Biodiversity Initiative.

This article was originally published in English

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