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Développement d’une deuxième langue chez l’enfant : à partir de quel âge ?

Les bébés sont capables de maintenir des longues séquences de concentration. Iana Dmytrenko/Unsplash

Chez le jeune enfant, qu’il s’agisse du bilinguisme d’immigration ou d’élite, les problématiques émergentes au sein de l’école, au sein des familles expatriées et des couples mixtes, amènent fatalement les parents à se poser la question-clef : quel est le meilleur moment pour commencer l’enseignement d’une deuxième langue ?

Une deuxième langue : affaire de famille, affaire d’État

Cette question peut paraître purement théorique, mais elle ne l’est pas. Dure à aborder, dans beaucoup de contextes, il s’agit d’une question à double tranchant bien aiguisé. Cette question prend de plus en compte la politique d’un pays face aux étrangers, y compris un aspect sociopsychologique, culturel et identitaire important.

En réalité, lorsqu’un parent pose ce genre de question aux professionnels de la petite enfance, sa véritable interrogation pourrait s’exprimer ainsi : « devrais-je disposer le cerveau de mon enfant à développer tout au long de sa vie une pensée plus riche et différente de la vôtre ou devrais-je cloisonner les performances de son cerveau afin qu’il grandisse avec une pensée unique et semblable à la vôtre ? » C’est à partir de là que la guerre des langues commence… et devient parfois une affaire personnelle.

La réponse type

Les arguments sont variés. L’avis des pédiatres est souvent : « c’est trop pour un enfant »… Tandis que certains orthophonistes disent : « quand l’enfant ne connaît pas la liste des mots répertoriés dans nos guides, c’est qu’il y a un problème ». La plupart du temps, les parents s’en tiennent au « mot du médecin » et à celui du « pro de l’articulation ».

En revanche, le parent qui prend en main l’éducation de son enfant se dira : il ne s’agit pas d’une question médicale ou d’un exercice mécanique… Que voudrait dire : « c’est trop pour un enfant » ? ou pour quoi une liste des mots établie devrait juger ou définir le contenu de la thématique entre moi, ma famille et mon enfant ?

Mais cela n’est que le début du parcours de quelques-uns ; que se passe-t-il dans les lieux éducatifs que fréquentent les enfants chaque jour ?

Les conséquences de demander à autrui d’éduquer ses enfants…

Dans certains pays le système scolaire ne préconise pas, il exerce même une forte pression sur les familles afin de les dissuader de transmettre aux enfants leur langue maternelle et n’importe quelle autre langue.

Les arguments exposés alors sont : « l’enfant va confondre les langues, va avoir du mal à intégrer les enseignements à l’école, redoublera la classe, aura un retard dans son apprentissage, un rapport sera transmit à l’inspection de l’éducation nationale : des poursuites seront entamées ». Un scénario de cauchemar.

De ce point de vue, cette attitude relève d’une attaque contre le bilinguisme, dont l’objectif est nettement de faire pression sur les familles et par là, de leur interdire d’exercer leur autorité parentale.

Mère et linguiste, j’entends depuis des années des témoignages des mères regrettant d’avoir coupé leurs enfants de leurs propres langues et cultures ; et d’autres témoignages de ceux qui ont opté pour la dissimulation, cachant ainsi le bi ou trilinguisme de leurs enfants à certaines institutions réticentes.

Vers d’autres perspectives

De l’autre côté du spectre, la réponse préférée des pédagogues ouverts, à la question du : meilleur moment pour enseigner une deuxième langue aux enfants, est : « le plus tôt possible », ce qui est vérifié par les recherches. Il faut cependant ici, prendre garde aux mots que l’on emploie pour désigner ce processus.

Acquisition vs apprentissage

D’un point de vue linguistique, l’étude de l’apprentissage diffère totalement de celui de l’acquisition. Pour faire court, l’acquisition de la langue par l’enfant commence dès que le système auditif envoie des données au cerveau lui permettant de les traiter. Tandis que l’apprentissage d’une langue suppose la mise en place des mécanismes volontaires, bien différents.

Un enfant qui est exposé à une deuxième langue vers l’âge de deux, trois, quatre, cinq ans, devra faire des réels efforts pour intégrer l’ensemble de structures faisant partie d’un nouveau système linguistique. Il sera donc dans l’apprentissage, quoiqu’il ait plus de facilité qu’un adulte.

Mais quels faits démontre la science ?

  • L’étude de la « réactivité cardiaque chez le fœtus » (Lecanuet, Granier-Deferre, De Casper, Maugeais, Andrieu, Busnel, 1987), suggère que le cerveau, dès le stade de fœtus à 6 mois, traite déjà les sons de la parole.

  • L’étude des indices de préférence d’écoute pour les contours prosodiques de la voix de sa mère (Mehler, Bertoncini, Barrière et Jassik-Gerchenfeld, 1978) montre des préférences liées à l’intonation, et aussi liées au fait qu’il s’agit de la voix de sa mère, quand celle-ci est présentée en concurrence avec celle d’une autre mère parlant à son bébé.

  • Un ensemble d’expériences (Jusczyk, 1985) ont montré que des nourrissons à partir de trois et quatre jours, savaient discriminer des contrastes de voisement, de place et de mode d’articulation qui donnent leur identité à chaque phonème.

  • La méthode de la « succion de haute amplitude » (E. Siqueland et C. Delucia en 1969) révèle qu’à partir du quatrième mois, le nourrisson est déjà capable de différencier les phonèmes de sa langue de par leur différence acoustique :/pa/est différent de/ba/et aussi « lorsque cette différence place ces syllabes de part et d’autre d’une frontière qui est proche de celle utilisée par les adultes ».

  • À quatre mois et demi, des expériences ont montré que le bébé est plus attentif à l’écoute de son propre prénom qu’à celle du prénom de ses copains, par procédure de préférence du regard vers les sources (Mandel, Jusczyk et Pisoni, 1995).

  • Également à partir du quatrième mois, la « procédure de préférence dans la rotation de la tête », a montré que le nourrisson aurait tendance à tourner sa tête du côté où il entendait un son qui lui serait déjà familier.

  • Dans ce même contexte, il serait aussi capable de discriminer le contraste entre deux syllabes (Werker et Tees, 2011).

Que suggèrent ces résultats de recherches ?

Un enfant qui est exposé de manière récurrente à plus d’un système linguistique dès les derniers mois in uterus, aura acquit plus d’une langue de manière naturelle et sans effort. Et encore les articles cités plus haut parlent des bébés des années 1987… quelles seront les performances du cerveau des fœtus des années 2018 ?

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