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photo nocturne de l'université de Berkeley en Californie
L'université de Berkeley en Californie figure en bonne place pour ce qui est du développement du territoire. Shutterstock

Devenir des universités entrepreneuriales c’est possible…

La contribution des universités au développement socio-économique va bien au-delà de leurs missions de recherche et d’enseignement. Les universités de Stanford et Berkeley en Californie illustrent de façon emblématique le rôle des universités dans le développement et la performance des écosystèmes d’innovation territoriaux.

Depuis de nombreuses années, les pouvoirs publics français soutiennent la troisième mission des universités. Récemment, la France a accéléré ce soutien en mettant en place les Pôles universitaires d’innovation (PUI). 25 PUI ont été installés en 2023 pour un montant total de 166 millions d’euros. Pour autant, s’assurer que les universités jouent un rôle pivot dans les écosystèmes territoriaux d’innovation reste une gageure. Cela suppose un changement de paradigme dans la manière de construire la stratégie des institutions académiques.

Cet article est fondé sur un travail de recherche financé par la direction deeptech de Bpifrance. Il souligne l’importance de sortir de la construction de stratégies d’opportunités, souvent installées en réaction à des appels d’offres lancés par les pouvoirs publics nationaux et européens. L’enjeu est de construire des stratégies différenciées pour chaque université, dans le temps long, en fonction d’une double dynamique interne et externe.

De nombreux défis

Le développement de la 3e mission des universités requiert des changements culturels et organisationnels profonds qui ne se limitent pas à renforcer le potentiel scientifique des laboratoires de recherche, ou de nouveaux programmes de formation. Pour devenir une université entrepreneuriale], la littérature académique a depuis longtemps souligné la nécessité d’orienter l’ensemble des ressources humaines, technologiques et physiques des universités vers l’innovation. En France, les défis sont nombreux.

D’abord, il s’agit d’adapter les ressources physiques de l’université aux besoins et rythmes des projets d’innovation. Cela passe par le développement de lieux-totems dédiés à l’innovation pour recevoir des événements, gérer les rencontres avec le monde professionnel, et développer des espaces de coworking pour les projets entrepreneuriaux. L’Université de Bordeaux offre une illustration parfaite des investissements en la matière avec la mise en place du bâtiment Smart. Il s’agit aussi de développer de nouveaux espaces comme les fab labs ouverts aux étudiants, aux chercheurs et à la société civile comme le propose l’Université de Cergy Pontoise.

Le frein des routines

Ces nouveaux espaces doivent pouvoir fonctionner en dehors des rythmes usuels d’activité de la recherche et de la formation. La transformation des ressources et des modes d’organisation ne s’arrête pas là. Elle concerne aussi l’organisation des formations. Le développement de l’entrepreneuriat étudiant requiert par exemple de favoriser des collaborations entre étudiants de formation différentes. Coordonner des plannings de cursus différents va se révéler un casse-tête mais l’absence de fertilisation croisée entre étudiants réduit d’autant la capacité de passer à l’échelle le développement de projets entrepreneuriaux des étudiants dans les réseaux Pepite. La logique de gestion des ressources pour la troisième mission se heurte donc aux routines de fonctionnement des universités et à leurs moyens limités.

Réussir la troisième mission requiert aussi de recruter des professionnels pour accompagner l’innovation, capables de gérer des programmes d’incubation, d’animer les lieux d’innovation, et de gérer les relations avec l’écosystème territorial. Il faut renforcer la présence d’ingénieurs d’études au sein des fab labs et plates-formes technologiques académiques. Il faut aussi recourir à des business-developpers pour identifier les projets technologiques porteurs de nouvelles opportunités. Ces profils variés à haute valeur ajoutée sont souvent difficiles à trouver, et encore plus difficiles à pérenniser.

Trouver du temps pour les chercheurs

Enfin, il est nécessaire de favoriser la participation des enseignants-chercheurs à ces démarches d’innovation. Cela va de la création de start-up deep tech au tutorat d’étudiants entrepreneurs. Beaucoup reste à faire. La valorisation de ces activités n’est que trop faiblement prise en compte dans les carrières des enseignants-chercheurs. Leurs activités - ainsi que celles des chercheurs - sont déjà trop souvent accaparées par les tâches administratives liées à l’enseignement ou à la recherche pour libérer leurs énergies sur la troisième mission.


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Celle-ci requiert aussi des stratégies collectives d’écosystèmes qui supposent de modifier la manière d’élaborer la stratégie de l’université. D’abord, les universités doivent adapter leurs initiatives aux attentes des acteurs de l’écosystème. Leurs ressources doivent être développées en fonction des forces et faiblesses du territoire et apporter des services qui ne sont pas proposés ailleurs. Ainsi, dans le cadre de sa stratégie de développement des biotechnologies, l’Université Grenoble Alpes (UGA) est aujourd’hui l’opérateur de Biopolis (un hôtel d’entreprises en santé) construit à proximité des laboratoires de recherche académiques, et qui implique la mise en place et la maintenance de paillasses adaptées aux besoins des jeunes entreprises de la biotech.

Cette stratégie est pertinente car elle répond à un besoin du territoire. En revanche, elle conduirait à des doublons inutiles dans d’autres territoires où les technopoles développent de telles infrastructures, comme à Bordeaux. Le périmètre des actions des universités va donc varier fortement selon les dynamiques propres à chaque écosystème local.

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L’impératif local

Ensuite, construire des stratégies d’écosystème implique de sortir d’un schéma unique de contribution aux performances du territoire en matière d’innovation. Le plus souvent, les efforts portent sur les technologies à fort potentiel disruptif via le developpement de start-up deep tech ou le transfert technologique aux grandes entreprises. Toutefois, ces stratégies sont seulement pertinentes quand elles s’appuient sur des laboratoires d’excellence technologique et lorsque le territoire est capable d’absorber leur croissance. Lorsque le tissu industriel local est composé de petites entreprises qui ont besoin d’évoluer et d’adapter les technologies aux enjeux de leur marché, d’autres démarches sont nécessaires. Cela peut passer par le recours à des plateformes technologiques et par la création d’un portefeuille de services dédié aux petites entreprises comme l’Université de Cercy Pontoise le développe.

Enfin, les stratégies des universités doivent se transformer en stratégies collectives coconstruites avec les autres acteurs de l’écosystème. La troisième mission des universités doit s’inscrire dans une gouvernance collective impliquant entreprises, associations, et pouvoirs publics locaux. Ainsi à Grenoble, si Biopolis est opéré par l’Université Grenoble Alpes, une partie des locaux du site héberge des lieux d’échanges et un showroom animé par le cluster MedicAlps, lui-même dédié à la filière des entreprises spécialisées dans les technologies médicales sur le territoire.

Le risque du saupoudrage

Chaque université peut jouer un rôle focal dans son écosystème. Le label de PUI n’impose pas de reproduire le modèle de Berkeley partout. En revanche, le risque est de diluer les efforts, sans définir des priorités sur des mesures ayant un vrai impact. La vision qui continue à prévaloir consiste à adopter un schéma unique de soutien au lieu de jouer sur des spécialisations fortes et de favoriser des stratégies créatrices de différenciation. Savoir faire des choix pour passer à l’échelle reste une des clés de la réussite.

Tous les écosystèmes ne peuvent pas porter leur effort à la fois sur le développement de l’entrepreneuriat deep tech à partir des laboratoires de recherche et sur l’entrepreneuriat étudiant sous peine d’avoir un impact limité. Même si les actions en faveur de l’entrepreneuriat étudiant font preuve d’un réel dynamisme, les universités françaises n’intègrent jamais plus de 10 % de leurs étudiants dans ces programmes. Au lieu de répartir des budgets forcément limités entre de trop nombreux écosystèmes et d’inciter les universités à lancer trop d’initiatives en parallèle, il faudrait plutôt concentrer les efforts sur des domaines précis. Aujourd’hui, malgré toutes les bonnes initiatives, le saupoudrage des budgets et les règles du jeu administratives ne permettent pas le passage à l’échelle.

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