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Industrilles

Diesel : pas de morts selon Volkswagen. Vraiment ?

Linfen, en Chine, l'une des villes les plus polluées du monde. Sheila / Flickr, CC BY-NC-ND

Certains commentateurs du scandale Volkswagen considèrent que ne pas respecter une norme d’émission est un péché véniel comparé au fait de distribuer une voiture dont un défaut mécanique peut provoquer un accident mortel. Matthias Müller, le nouveau PDG de Volkswagen, reprend lui-même cet argument dans la presse : « Songez que chez nous, il n’y a eu aucun mort, nos voitures étaient et restent sûres ».

Il y a des morts

Vraiment ? Malgré les incertitudes des calculs et des conventions parfois arbitraires, on sait relier un supplément de concentration de certains polluants à une augmentation locale de certaines maladies et en évaluer les conséquences en terme de mortalité ou d’années de vie en bonne santé perdues.

En Chine, par exemple, certaines maladies sont beaucoup plus fréquentes dans le nord du pays, où le charbon est beaucoup plus utilisé comme source d’énergie, que dans le sud.

On ne sait pas encore précisément combien de véhicules émettaient plus qu’ils ne devaient, dans quelle proportion, ni les conséquences quantitatives de ce dépassement. On peut penser que le nombre d’années de vie perdues par rapport à un scénario fictif où les voitures auraient eu les performances qu’elles affichaient n’est pas négligeable. Dès lors, il y a eu des morts, même si on ne sait pas précisément ce qui a tué tel individu ayant contracté une maladie dont la pollution automobile augmente la probabilité.

Apaisez-vous, chers clients, vous n’êtes pas des victimes, mais seulement complices – bien involontaires – d’assassinats.

Une justice mal armée ?

La justice est d’ailleurs souvent désarmée. La « mise en danger d’autrui » est un délit bien moins grave que l’homicide involontaire. De plus, pour le pénaliste, la gravité de l’acte dépend non pas de ses conséquences statistiques, mais des effets avérés. Si je vous oblige à jouer à la roulette russe et que vous en réchappez, je n’ai fait que vous mettre en danger. Si vous succombez, je suis au moins complice d’homicide. Si j’oblige mille individus à jouer à une roulette aux effets différés, en les exposant à un produit nocif, et qu’ils s’égaillent dans la nature, de sorte qu’on ignore leur destin, certains mourront, mais ma responsabilité sera plus difficile à identifier. Cela a longtemps sauvé l’industrie du tabac. Même si les fumeurs sont beaucoup plus sujets à certaines maladies, celles-ci ont des causes nombreuses et touchent aussi quelques non-fumeurs. Dès lors, la responsabilité du producteur de cigarettes dans un décès particulier ne peut jamais être établie avec certitude.

Préserver l’environnement est justifié par l’impact immédiat des pollutions sur la santé, mais aussi par les impacts indirects liés à la destruction de capital naturel et de diverses ressources. Sur l’Île de Pâques, l’effondrement du système écologique a rendu l’île inhabitable : il y a eu mort d’hommes.

Avec raison, la loi qui protège les lanceurs d’alerte s’applique donc non seulement aux dommages potentiels pour la sécurité et la santé, mais aussi à ceux subis par l’environnement.

Et la finance ?

Certains auraient souhaité que la protection des lanceurs d’alerte concerne aussi les délits économiques. Il n’y aurait pas mort d’homme ? Certains pays en développement sont gorgés de ressources minières dont la majorité de la population ne tire aucun bénéfice, car le produit de leur exploitation est accaparé par une élite corrompue. Le système de santé public y est déplorable et l’espérance de vie faible. Priver, par la fraude, les états des moyens d’assurer un bon système de santé et d’éducation à leurs citoyens est mortifère. C’est ce que fait la multinationale qui recourt à « l’optimisation fiscale agressive », sans même parler de moindres fraudes à la portée de tous. Des états impécunieux doivent alors renoncer à offrir des services utiles à leur population faute de pouvoir prélever leur part des richesses créées grâce aux producteurs ou aux consommateurs du pays.

Les pays développés prennent conscience de la gravité du problème. Un consensus inespéré a été trouvé à Lima pour lutter contre l’optimisation fiscale. Peut-être notre législateur, dans sa grande sagesse, étendra bientôt aux délits financiers la loi sur les lanceurs d’alerte.

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