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Distanciation sociale, masques, flot de données : les informations sont-elles pertinentes ?

Des passagers portant un masque de protection descendent d'un tramway dans le centre de Strasbourg, le 11 mai 2020, le premier jour de l'assouplissement des mesures de déconfinement, en place depuis 55 jours, pour freiner la propagation de la pandémie du Covid-19. Patrick Hertzog/AFP

Les premiers jours de la mise en place des dispositions de déconfinement progressif ne manquent pas de souligner l’importance de poursuivre les mesures de distanciation, obligent à réviser le discours sur l’utilisation des masques, et conditionnent ce retour à une circulation plus libre à des indicateurs ciblés suivis régulièrement, comme le nombre de décès ou de nouveaux cas détectés quotidiennement.

Sur ces trois sujets, les commentaires, supputations, analyses sont nombreux. Les données doivent cependant être prises avec beaucoup de recul.

Des données à prendre avec des pincettes

Depuis le début de l’épidémie, on recense en France, comme dans tous les pays le nombre de cas. Et on s’appesantit sur leur progression, sur la différence entre tel et tel pays.

Ainsi, la célèbre Johns Hopkins University nous offre chaque jour une image cumulée du nombre de cas confirmés, reprise par de nombreux médias. Comme nous assistions, pétrifiés, à la progression inexorable de la maladie, nous reprenons espoir en regardant depuis quelques jours la diminution de cette progression des cas. Et nous allons scruter ces évolutions au moment de la reprise d’activités.

Mais que veut dire cette carte ? Et est-elle suffisante ?

Tout d’abord il ne s’agit pas du nombre de cas, mais du nombre de cas confirmés, c’est-à-dire du nombre de cas dépistés. Ces informations dépendent de la manière dont les cas sont dépistés (donc de la stratégie de mise à disposition des tests de dépistage) et de l’inclusion ou non de formes peu symptomatiques (cas bénins) voire asymptomatiques. Donc sur cette base comparer, par exemple, la France et la Grande-Bretagne n’a pas de sens. Par ailleurs, les chiffres représentent le nombre de cas, mais rapportés à des populations très différentes. Comparer le nombre de cas aux États-Unis (pays de 350 millions de personnes) et la Belgique (10 millions de personnes) n’a donc aucun sens.

Les taux de létalité annoncés

De nombreuses hypothèses, qui ne sont en réalité que supputations, se basent sur les taux de létalité (case fatality rates). Et ces taux varient allègrement. Alors que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estimait à la mi-mars ce taux à 3,4 %, une étude publiée le 19 mars sur la situation à Wuhan aboutissait à un taux de 1,4 %.

Comment expliquer ces différences ? Pourquoi l’Italie a un taux si élevé et l’Allemagne si faible ? Ces questions seraient justifiées (et le sont probablement), mais une réponse pertinente suppose que nous puissions être certains des chiffres. Or ce taux est calculé en rapportant le nombre de décès au nombre de personnes contaminées. Il est donc à différencier du taux de mortalité, qui est le nombre de décès rapporté à la population générale, et non au nombre de personnes malades ou contaminées.

De plus, pour calculer précisément ce taux de létalité, il faudrait d’une part, avoir des garanties sur le nombre exact de décès dont la cause est bien liée à l’infection par le SARS-CoV-2 (examiner par exemple si on comptabilise dans tous les pays les personnes âgées décédées de cette cause dans les maisons de retraite). Et, d’autre part, il faudrait des précisions sur le mode de calcul du nombre de personnes contaminées, souvent très lié à l’intensité du dépistage. Donc, la plupart du temps, les hypothèses fleurissent sur des données insuffisamment vérifiées et difficilement vérifiables.

L’utilité du dépistage sérologique

Au moment où se déploient les tests sérologiques (sur une goutte de sang) qui vont vérifier la présence d’anticorps anti-coronavirus, et donc la construction de l’immunité par l’organisme, il est fondamental de pouvoir disposer de tests performants.

Une employée de l’Ehpad Les Flaxinelles, à Bergheim, dans l’est de la France, se fait prélever un échantillon de sang, le 14 avril 2020. Sebastien Bozon/AFP

Les premiers résultats peuvent paraître encourageants, puisqu’un test est déjà disponible. Mais l’utilité de ces tests dépend de notre connaissance de la façon dont est acquise l’immunité contre le virus. Si un test sérologique peut être potentiellement utile pour des surveillances en population générale, ou en complément du dépistage par un écouvillon naso-pharyngé (à l’intérieur du nez), son utilité pour identifier des personnes protégées contre le virus n’est absolument pas avérée à ce jour. En effet, pour l’instant on ne sait pas si les anticorps produits suite à une infection par le coronavirus confèrent une protection, ni, si tel est le cas, quel en est la durée.

Est-ce pertinent d’utiliser des données comparatives ?

Un des critères majeurs pour suivre le déconfinement est la pression sur les services de réanimation. Et nous entendons avec force et parfois virulence la comparaison avec l’Allemagne qui, elle, a su préserver ses lits de réanimation.

Mais parle-t-on des mêmes choses ? Recense-t-on les lits de réanimation et de surveillance continue de la même façon des deux côtés du Rhin ?

Les différences ne sont peut-être pas aussi patentes que le professent certains. Comparaison n’est pas toujours raison, disait Raymond Queneau.

Ainsi, dans cette période où prolifèrent toutes ces données statistiques ou épidémiologiques, la base d’un « principe de précaution » dans leurs interprétations est loin d’être acquise.

Distanciation physique ou sociale ?

Le terme de distanciation sociale, que pratiquement personne ne connaissait il y a quelques semaines, hormis quelques spécialistes en maladies infectieuses et certains professionnels à l’OMS, a fait irruption avec fracas dans la population. Il avait pourtant été employé lors par cette organisation internationale lors de l’épidémie de H1N1 en 2009, mais sans véritable écho.

Pourtant, ce qu’il recouvre n’est pas nouveau. On le retrouve dans chaque grand épisode épidémique, à travers les efforts qui sont faits pour ne pas entrer en contact avec des personnes contaminées ou malades. Les images que nous avons pu vivre en direct de ces paquebots cherchant désespérément un port qui accepte de laisser débarquer ses occupants évoquent l’imaginaire des lazarets, des léproseries.

Deux lépreux demandant l’aumône, d’après un manuscrit de Vincent de Beauvais (XIIIᵉ siècle). Vinzenz von Beauvais/Wikimedia, CC BY

La pratique de la distanciation, qui aurait pu se révéler plus difficile à comprendre que les gestes barrières, tel le fait de se laver régulièrement les mains, se répand rapidement depuis le début de cette crise. Cependant, au-delà de considérations très terre-à-terre (quelle distance faut-il respecter : 1 mètre, comme le disent les autorités, 1,50, 2 mètres, 6 pieds (1,83 mètre) comme en Angleterre ?), le terme « distanciation sociale » est inadapté, voire dangereux.

En effet, le principe de la distanciation est de mettre une distance physique, pas une distance sociale. Encore moins au moment où les initiatives et outils pour retrouver du lien social se multiplient. De plus, ce terme ne rend pas compte de l’importance de lutter contre le sentiment fort de solitude ou d’isolement qui accompagne ce type de mesures, notamment pour les personnes âgées.

Bas ou haut les masques ?

Parmi les moyens de prévention, le sujet le plus délicat et le plus polémique semble bien être la diffusion de masques. Au-delà de la capacité à anticiper et à fournir des masques FFP2 ou chirurgicaux pour les professionnels de santé, qui est déjà en soi un problème, la question de l’usage du masque pour toute la population est au centre des débats.

La position de la France a, au début de l’épidémie, été calquée sur celle de l’OMS : on ne porte un masque (chirurgical) que si on est soi-même malade ou si on prend soin d’une personne infectée, en étant dans la même pièce.

Pourquoi ? Parce que, nous rappelait l’OMS :

« Toutefois, il n’y a pas actuellement de preuve que le port d’un masque (qu’il soit de type médical ou autre) par des individus en bonne santé […] les protège des infections par les virus respiratoires, y compris celui provoquant le Covid-19. ».

Ce raisonnement basé sur les analyses épidémiologiques antérieures demande à être conforté par des analyses populationnelles (notamment en comparant les courbes épidémiques dans des pays ou régions où le port du masque est généralisé, principalement en Asie et d’autres endroits où il n’a pas été mis en pratique au début de l'épidémie). Mais d'autres avantages peuvent être trouvés pour le port du masque, en protégeant, même partiellement, contre un effet «aérosol» à plus d'un mètre ou dans le cadre de contacts avec des porteurs asymptomatiques.

Mais d’autre part, l'intérêt ou non de cette mesure repose sur des analyses qui vont bien au-delà de la simple efficacité vis-à-vis de particules de 125 nanomètres de diamètre, et renvoient à des dimensions culturelles, psychologiques ou sociologiques. Le masque peut créer une barrière physique à nos peurs du virus. A l'inverse, il peut procurer une fausse sécurité. Il peut être plus ou moins bien accepté par des communautés.

Il serait donc probablement utile que les pouvoirs publics fassent preuve de pragmatisme en la matière.

D’une part, les messages diffusés doivent insister sur le fait que le masque à lui tout seul ne suffit pas pour juguler de tels phénomènes épidémiques, mais qu'il est un outil important au moment de cette phase de déconfinement. Ensuite, il sera nécessaire de faire preuve de pédagogie pour que l’utilisation des différents types de masques se fasse en fonction du risque objectif de contamination.

Comment concevoir que des personnes se promènent dans la rue avec des masques FFP2 alors que ceux-ci manquent pour des personnels confrontés à des risques bien supérieurs ?

Enfin, les pouvoirs publics doivent engager une révision profonde sur les stocks nécessaires de tous les équipements de protection individuelle (masques, mais aussi, surblouses, visières..), de leurs lieux de fabrication, de leur mode de distribution en cas de nouvelle crise sanitaire, qui pourrait survenir dès l’automne prochain. En s’assurant, qui plus est, que cette fabrication et gestion se fera également dans une logique de développement durable.

Faire reconnaître l’apport et les limites de la connaissance scientifique pour éclairer les décisions et pour mieux informer la population participe à une gestion plus responsable et démocratique d’un évènement comme cette crise du Covid-19.

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