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Donald Trump cerné par les affaires

Manifestation anti-Trump le 6 novembre 2020.
Un participant à une manifestation à Philadelphie, le 6 novembre 2020, porte un masque de Donald Trump et une tenue de prisonnier. Chris McGrath/Getty Images North America/Getty Images via AFP

Alors que l'éventualité d'une destitution du président sortant est à nouveau discutée à Washington après le coup de force de ses partisans au Capitole, on sait déjà que Donald Trump est littéralement cerné par les affaires, civiles comme pénales.

Certaines sont liées à ses agissements en tant que président, à commencer par des entraves à la justice révélées par le rapport Mueller. Elles relèvent du droit fédéral. D’autres, datant d’avant son accession à la Maison Blanche, ont trait à son comportement envers plusieurs femmes qui l’accusent d’agressions sexuelles. Elles relèvent du droit pénal étatique.

D’autres encore, qui concernent ses activités financières, relèvent également du droit étatique et, en particulier, du droit de l’État de New York, siège de la plupart de ses sociétés (même si certaines d’entre elles ont leur siège social dans le Delaware, État connu pour sa législation fiscale favorable aux entreprises).

Le New York Times a révélé que le milliardaire n’a payé que 750 dollars d’impôts sur le revenu plusieurs années de suite, ce qui pourrait lui valoir d’être poursuivi pour fraude fiscale.

Dans ce contexte, et comme on pouvait s’y attendre de sa part, celui qui est encore président jusqu’au 20 janvier 2021 use et abuse – pour ses proches, en attendant peut-être de le faire pour lui-même – d’une prérogative très particulière : le droit de grâce.

La perversion du droit de grâce

Aux termes de la Constitution, le droit de grâce est un pouvoir large qui appartient au président et ne comporte que deux exceptions : les cas d’impeachment, et la limitation du champ d’application aux crimes et délits fédéraux. Une éventuelle grâce ne protégerait donc le particulier Donald Trump ni des poursuites engagées par l’État de New York ni d’éventuels procès pour agression sexuelle.

Les abus du droit de grâce sont légion et les présidents précédents ne sont pas, à cet égard, sans reproche : par exemple, George H. Bush a gracié plusieurs hauts personnages impliqués dans l’affaire Iran Contra et Bill Clinton a gracié son demi-frère ainsi qu’un financier fugitif, Marc Rich, qui avait beaucoup contribué au financement de sa fondation.

Mais les 44 grâces et commutations de Trump se situent à une autre échelle ; il s’agit d’un exercice systématique intéressé et autocentré. Si l’on fait exception de quelques Noirs que le président a graciés pour essayer d’attirer le vote de leur communauté, les bénéficiaires n’ont comme seules circonstances atténuantes que d’être proches de Trump, d’avoir des liens avec la Maison Blanche ou une résonance avec la base (comme le shérif Arpaio, condamné pour actes discriminatoires anti-immigrants), d’être riches, puissants, soutenus par Fox News et/ou d’avoir commis le même type de violations que certains des proches de Trump qui ont été poursuivis dans le cadre de l’enquête du procureur spécial Mueller.

Ainsi, Paul Manafort était visé par douze chefs d’inculpation parmi lesquels « complot contre les États-Unis », « violation de la loi FARA en matière de lobbying pour une puissance étrangère », « blanchiment », « fausses déclarations » et « non-déclaration de comptes détenus à l’étranger ». Inculpé devant deux juridictions distinctes, il plaida coupable puis non coupable et fut condamné à un total de sept ans et demi de prison avant d’être gracié fin novembre 2020.

Le président Trump a aussi gracié Michael Milken, le roi des « junk bonds » (obligations pourries), responsable de la crise de financière de 2007, ou encore le magnat des médias Conrad Black, qui doit ce traitement privilégié à la biographie extrêmement flatteuse de Trump qu’il a publiée en 2018.

Et malgré les recommandations du ministère de la Justice, Trump a commué la sentence de son allié Roger Stone condamné pour avoir menti au Congrès dans le cadre de l’enquête sur l’immixtion russe dans la campagne de 2016. Ce qui a amené le sénateur Romney à tweeter : « Il s’agit d’une corruption historique et sans précédent : un président américain commue la sentence d’une personne condamnée par un jury parce que celle-ci avait menti pour protéger ce même président. »

Avant de quitter la Maison Blanche, le président Trump envisage de gracier certains membres de sa famille afin de les protéger d’éventuelles poursuites, de même que ses proches, comme Rudi Guiliani ou Steve Bannon, qui ont contribué de près ou de loin à ses multiples turpitudes, avant ou durant la présidence. S’ils étaient graciés, ils ne pourraient être mis en examen ou amenés à accepter un plaider coupable en échange de témoignages incriminants contre Trump.

D’où la grâce de Richard Stone et, plus récemment, celle de l’éphémère conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn, qui avait menti sur ses contacts avec l’ambassadeur de Russie durant la transition. Parmi les enfants du président, au moins Ivanka en aurait bien besoin, qui a été entendue dans une affaire touchant aux fonds du comité d’investiture Trump dans laquelle le procureur de la capitale fédérale Washington D. C. enquête sur les tarifs exorbitants pratiqués par l’hôtel Trump et facturés au comité.

Trump peut-il s’auto-amnistier ?

Donald Trump est conscient de ces diverses épées de Damoclès. Depuis 2018, il a affirmé à plusieurs reprises avoir le droit de s’auto-amnistier. Il n’hésite pas à proclamer qu’il est au-dessus de la loi, ce qui est contraire à la tradition anglo-saxonne et à ce qu’a affirmé la Cour suprême dans la décision US v. Nixon en 1974, puis répété en 2020 dans les deux décisions Mazars et Vance : personne n’est au-dessus de la loi. Le premier problème d’une éventuelle auto-amnistie est qu’on ne peut en effet être à la fois juge et partie, et que cette grâce serait immédiatement contestée devant les tribunaux. Aucune jurisprudence n’existe mais un memo de 1974 émis par le bureau de conseil juridique (OLC) répond par la négative.

Sans plonger dans l’étymologie, le mot anglais pardon, qui vient du français, implique nécessairement deux personnes. Cet axiome est confirmé par la tradition anglo-saxonne, depuis la Magna Carta jusqu’à la Convention constitutionnelle de Philadelphie, qui considère que le pardon implique deux personnes. Le droit de grâce doit aussi être replacé dans le schéma philosophique et politique des Pères fondateurs qui avaient spécifiquement exclu un président qui soit « source du droit », comme l’était le souverain anglais. Car cela aurait signifié qu’il n’était pas soumis au droit et qu’il se trouverait, en conséquence, à l’abri de poursuites civiles et pénales. Ce choix explique aussi que le président des États-Unis peut être mis en accusation (impeached) alors que cette procédure ne pouvait pas frapper le roi en droit anglais.

D’ailleurs, la sanction de l’impeachment est « seulement » la destitution et l’obligation de quitter le pouvoir, mais l’article I section 3 prend soin de préciser que « l’individu mis en accusation pourra néanmoins faire l’objet de mises en examen, procès et sanctions en vertu de la loi ». La menace de poursuites une fois le mandat terminé avait pour objet de dissuader le président de se mal conduire, de piller le trésor public, de corrompre les juges ou de trafiquer une élection. Le risque de poursuites est réel même dans le scénario où Trump démissionnerait afin que son vice-président, devenu président, puisse le gracier. On pense, bien sûr, au précédent du président Ford graciant Richard Nixon mais il y a une différence de taille : Nixon avait démissionné avant même que la commission judiciaire ne vote les articles de mise en accusation (d’impeachment). Donald Trump, lui, a bel et bien été mis en accusation par une majorité de la Chambre des représentants. Et le coût politique serait élevé pour M. Pence. Surtout après ce qui s'est passé au Capitole.

Sur le papier, rien n’interdirait au président Biden de gracier son prédécesseur s’il voulait comme le président Ford l’avait fait en 1974, aller de l’avant et sortir le pays de la crise. Mais il y a l’obstacle de l’impeachment et, surtout, ce serait inacceptable pour la gauche du parti démocrate ; enfin, l’intéressé, loin d’être reconnaissant, s’en servirait sans doute pour marteler que c’est là un signe de la culpabilité de Joe Biden (« qui sait qu’il a triché ») et de sa faiblesse. Se pose alors l’opportunité de poursuites fédérales pour entrave à la justice, monétisation du droit de grâce ou fraude fiscale, parmi les dizaines d’inculpations possibles – et c’est un vrai dilemme. Joe Biden est plutôt enclin à l’apaisement afin d’avancer et ne pas perdre de son capital politique dans des poursuites qui seraient instrumentalisées par la droite et ne sont pas certaines d’aboutir. Mais il entend les arguments de la gauche du parti démocrate, convaincue qu’il est nécessaire de poursuivre Trump, ne serait-ce que pour restaurer la primauté du droit (rule of law) et la démocratie. Cela étant, les uns et les autres n’ont que peu d’impact sur ce que peuvent décider les procureurs et juges des États.

Les affaires étatiques

Le vrai problème pour Trump, ce sont les affaires qui relèvent du droit étatique et, en premier lieu, l’accusation de fraude attachée aux versements effectués pour acheter le silence de deux femmes qui, durant la campagne de 2016, l’ont accusé d’agressions sexuelles. Puis il y a les deux procès en diffamation (l’un intenté par une ancienne candidate à l’émission de télé-réalité que Trump a longtemps animée, The Apprentice, l’autre par l’ex-patron de l’agence gouvernementale en charge de la probité des élections, Chris Krebs, limogé par Trump en novembre). Et enfin une accusation de viol qui date des années 1990 (E.J. Carroll v. D.J. Trump) dans laquelle la victime dispose d’une robe portant l’ADN du violeur.

Il ne reste qu’à obtenir d’un juge qu’il contraigne Donald Trump à donner son ADN. Quand Trump a accusé Carroll de mensonges, elle l’a poursuivi en diffamation devant les juridictions new-yorkaises et il était question d’une déposition avant les élections. Alors W. Barr, le garde des Sceaux a voulu protéger le président et, sous des prétextes spécieux, a cherché à renvoyer l’affaire devant une juridiction fédérale. Le juge a refusé mais l’administration a fait appel. Sur ce point, l’administration Biden pourrait décider de peser pour que l’affaire reste du ressort des juridictions de l’État.

Il y a aussi l’instruction menée par le procureur général de New York, qui a demandé directement puis devant la justice d’avoir accès aux documents financiers et fiscaux de Trump. Ces affaires sont en cours et sont remontées jusqu’à la Cour suprême, qui a jugé en juin 2020 que les citations à communiquer (subpoenas) du procureur de New York étaient exécutoires et que le grand jury (d’inculpation) pouvait avoir accès à ces documents financiers et fiscaux. Toujours dans l’État de New York, la ministre de la Justice a lancé une large enquête sur les pratiques de l’organisation Trump, sur laquelle pèsent des soupçons de fraudes civiles visant à minimiser la charge fiscale et à gonfler les actifs de façon frauduleuse pour obtenir des emprunts à des conditions favorables.

Le risque est que ces affaires traînent trop ; elles pourraient alors ne plus remplir les conditions d’un contentieux et devenir « moot » (caduques).

Or, le passé de Trump montre qu’il sait comment jouer l’obstruction avec les autorités de poursuite et faire traîner les procès en longueur de façon à fatiguer et ruiner ses sous-traitants ou architectes non payés. Si l’on regarde quelques-unes des 4 000 procédures judiciaires dans lesquelles Trump a été impliqué durant près de 50 ans, il faut constater qu’il ne gagne pas toujours et qu’il a été régulièrement contraint d’accepter un règlement à l’amiable, que ce soit dans l’affaire des poursuites pour discrimination raciale (Trump v. USDOJ, 1973) ou de l’action en justice intentée par les occupants que Trump voulait déloger afin de démolir un immeuble (Central Park South Tenants, 1983). Mais les détails sont oubliés et dans le lot, nombre de ses contentieux fantaisistes lui ont permis d’avoir gain de cause comme dans Trump v. Palm Beach v. County, 1992.

C’est sans doute à la bataille juridique avec Deutsche Bank en 2008 qui donne la meilleure idée de ce qui est susceptible de se passer. Dans l’incapacité de procéder à un remboursement, Trump a attaqué la banque et demandé 3 milliards de dommages et intérêts. La banque a contre-attaqué mais a fini par accepter de renégocier le calendrier de remboursement. Dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres, l’absence totale de scrupules doublée de l’utilisation du contentieux à des fins stratégiques a permis au promoteur immobilier d’obtenir gain de cause.

Donald Trump a bien retenu la leçon de Roy Cohn, qu’il a appliquée aux contentieux post-élection : toujours attaquer et ne pas s’embarrasser de preuves. Et il s’en est toujours sorti sans que ses avocats soient sanctionnés pour abus de procédure ou pour avoir intenté des actions « frivolous ». Il faut donc s’attendre à ce qu’il continue.

Pas de prison pour Donald Trump ?

Donald Trump ira-t-il un jour en prison ? Cela paraît peu probable car il sait faire traîner les choses en longueur et saura transiger en matière privée, et sans doute aussi avec le procureur général de New York. Rappelons qu’aux États-Unis, en matière pénale comme civile, 2 à 3 % des affaires seulement vont en jugement. Les autres se soldent par un plaider coupable ou une transaction. L’avantage d’un accord amiable est que les conditions ne sont pas connues et que le président peut donc clamer qu’il a gagné et rester à la une des médias, sa principale préoccupation avec celle de se refaire une santé financière. Nous savons grâce au NYT qu’il a 400 millions de dettes qui viennent bientôt à échéance. Mais avec son pseudo-fonds de défense juridique, il a déjà levé plus de 200 millions de dollars grâce aux contributions des « pauvres petits Blancs » qu’il prétend défendre. Et lorsqu’on lit de près les statuts de ce comité d’action politique (PAC), on constate que Trump peut utiliser ces fonds comme bon lui semble.

En conclusion, Trump va sans doute continuer à planer comme un nuage noir sur les États-Unis et l’administration Biden. Son ombre tutélaire néfaste risque aussi de bloquer le parti républicain et l’empêcher d’évoluer. Les personnalités de ce parti qui ont des ambitions présidentielles oseront-elles s’avancer si le 20 janvier le président sortant annonce sa candidature pour 2024 ? Plus largement, la question des risques juridiques qui pèsent sur un Trump redevenu citoyen lambda, y compris les interrogations sur un éventuel recours à la grâce présidentielle, ne sont que la partie émergée d’un iceberg d’accusations de crimes et délits, apparentés ou non à la corruption, dont se seraient rendus coupables Trump et ses proches et qui n’ont été découverts que grâce à l’enquête du procureur spécial Mueller, alors qu’ils sont le plus souvent impunis.

Va-t-on assister à un train de réformes législatives comme après l’affaire du Watergate ? Quel sera le rôle du ministère de la Justice que le président élu a annoncé vouloir indépendant et non partisan ? Ce sont deux questions cruciales pour le successeur de Donald Trump.

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