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Donald Trump enfin rattrapé par la justice ?

Donald Trump entouré de plusieurs policiers en tenue
Le 4 avril dernier, Donald Trump arrive au tribunal de Manhattan pour une audience de l’affaire Stormy Daniels. Ed Jones/AFP

De multiples instructions visant Donald Trump sont en cours depuis des années, mais on a assisté, au cours des dernières semaines, à une accélération des rendez-vous judiciaires dans plusieurs affaires – certaines civiles, d’autres pénales – impliquant l’ancien président.

Si l’on en juge par sa condamnation, le 9 mai, à cinq millions de dollars de dommages et intérêts pour une agression sexuelle commise au milieu des années 1990, et par sa mise en examen début avril pour falsification de comptes dans la fameuse affaire Stormy Daniels, ce sont peut-être les « petites affaires » qui briseront, si peu que ce soit, l’impunité de l’ancien président.

Une multiplicité d’affaires

Certaines affaires civiles, instruites dans l’État de New York, ont trait aux pratiques financières et fiscales de l’empire Trump et ont déjà donné lieu à la condamnation de son directeur financier ; d’autres volets pourraient aboutir à un procès en octobre.

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L’accusation d’agression sexuelle et de diffamation à l’encontre de l’ancienne journaliste E. Jean Carroll, pour laquelle il vient d’être condamné, a également été jugée au civil, les délais de prescription pour un procès pénal ayant été dépassés. Trump va faire appel et, à ce stade, il est difficile d’évaluer l’impact de ce verdict sur ses partisans et sur le Parti républicain.

Le même flou entoure les quatre procédures de nature pénale intentées par divers procureurs, qui représentent pourtant de plus grandes menaces pour l’ex-président.

Ce sont des épées de Damoclès au-dessus de sa tête… mais elles ne l’empêcheront pas de faire campagne et, peut-être, d’être investi par le camp républicain. En effet, sa base inconditionnelle est persuadée qu’il est innocent et victime d’une « chasse aux sorcières » menée par des procureurs Démocrates, même si au niveau fédéral, ce sont des procureurs indépendants qui sont en charge.

New York : la première mise en examen d’un ancien président

La première affaire pénale diligentée par le procureur (démocrate) du comté de New York, Alvin Bragg, dite « affaire Stormy Daniels », dure depuis 2016 et concerne des faits qui se sont produits avant l’élection de Trump.

Malgré des rebondissements divers au cours de toutes ces années, ce n’est qu’en avril 2023 que l’ancien président a été mis en examen par le grand jury.

On savait que, pour obtenir le silence de l’ancienne actrice de films pornographiques Stormy Daniels sur une relation sexuelle qu’elle avait eue avec lui en 2006, Donald Trump avait, un mois avant l’élection de 2016, ordonné à son avocat Michael Cohen de verser à celle-ci 130 000 dollars.

Selon l’acte d’accusation dévoilé le 4 avril, Trump aurait ensuite choisi de rembourser cette somme à Cohen en la présentant comme des honoraires pour services juridiques, contrevenant ainsi au droit de l’État de New York qui interdit la falsification de documents commerciaux « avec intention frauduleuse ». Une telle infraction est considérée comme une « felony » (passible d’un an de prison ou plus) si la transaction visait à faciliter ou à dissimuler la commission d’une autre infraction. Ce qui est le cas ici mais le dossier est léger et surtout, si l’ex-président a bien été inculpé, le temps judiciaire est long.

La prochaine audience à New York est prévue pour le 4 décembre et la défense dispose de quatre mois pour tenter d’obtenir le dessaisissement du juge Juan Merchan (qui a présidé les audiences dans deux affaires dont l’issue a été défavorable à la Trump Organization, la compagnie historique du milliardaire), pour invoquer le dépassement du délai de prescription et pour mettre en avant d’autres éléments relevant de la tactique habituelle de Trump : gagner du temps en usant de toutes les manœuvres dilatoires possibles.

Quoi qu’il en soit, des quatre instructions qui le visent actuellement, celle-ci est sans doute la moins solide, et si procès il y a, il ne se déroulera pas avant le printemps ou l’été 2024.

Les trois autres affaires pénales concernent les actions de Trump en tant que président. Deux d’entre elles sont instruites au niveau fédéral, la troisième par l’État de Géorgie.

L’affaire de Géorgie

En janvier 2022, la procureure du comté de Fulton, Fani T. Willis, a demandé la réunion d’un grand jury « dans le but d’enquêter sur les faits et les circonstances liés à de possibles tentatives visant à perturber l’administration légale des élections 2020 dans l’État de Géorgie ».

Cela inclut les tentatives de la campagne Trump de créer des listes de faux grands électeurs destinées à être envoyées à Washington, et les pressions exercées par celui qui était alors le président sur le secrétaire d’État en charge des élections de Géorgie, Brad Raffensperger.

La procureure dispose d’éléments de preuve beaucoup plus nombreux que dans l’affaire de New York, car le grand jury a entendu plus de 75 témoins et a en sa possession plusieurs enregistrements démontrant que Trump a cherché à obtenir une modification des résultats de l’élection de novembre 2020. Dans l’un de ces enregistrements, il demande à Raffensperger de lui trouver les 11 780 voix nécessaires pour faire basculer en sa faveur l’élection dans cet État.

Le grand jury, dont le rôle est d’entendre les éléments à charge présentés par les témoins de l’accusation, vient de terminer sa session. Il a conclu à l’absence de fraude durant les élections de 2020 et a annoncé d’éventuelles mises en examen, dont celles de Rudy Giuliani (alors avocat de Trump) et du sénateur Lindsay Graham, qui ont cherché à faire pression sur les responsables électoraux de l’État. Un autre grand jury qui pourrait se prononcer sur ces mises en examen (et peut-être celle de Donald Trump lui-même) a commencé de siéger début mai. Là aussi, un éventuel procès n’aurait pas lieu avant mi-2024.

L’affaire du Capitole

Les deux affaires fédérales sont sérieuses, puisque l’une porte sur le rôle de l’ancien président dans l’incitation à l’insurrection du 6 janvier 2021 et l’autre sur la non-restitution de documents officiels (en violation de la loi sur les documents présidentiels) et de documents classés « confidentiel » et « secret défense ».

Dans le premier cas, le département de la justice (DoJ) a analysé des milliers d’heures de vidéos postées sur les réseaux sociaux pour retrouver les personnes ayant pris d’assaut le Capitole. Sur les quelque 2 000 individus qui ont pénétré dans l’enceinte du Congrès avec des armes, des barres de fer et des drapeaux confédérés, 700 ont été inculpés. 183 ont plaidé coupable (en échange de chefs d’inculpation moins lourds), 78 ont été condamnés, dont 35 à des peines de prison. Pour ceux qui ont plaidé non coupable, les procès ont commencé et les premières peines sont lourdes.

Il reste que les vrais responsables, à commencer par Donald Trump, n’ont toujours pas été mis en examen malgré de nombreux éléments à charge. Et jusqu’à la nomination le 18 novembre 2022 par le DoJ d’un procureur spécial, Jack Smith, les instructions semblaient avancer à la vitesse de l’escargot. Depuis, les choses se sont accélérées. Le procureur dispose de dépositions à charge et de SMS et de tweets de Trump incitant ses sympathisants à venir manifester à Washington le 6 janvier en annonçant que ce serait « sauvage ».

Est-ce suffisant pour prouver « au-delà du doute raisonnable », dans un éventuel procès qui pourrait avoir lieu au mieux mi-2024, que celui qui était encore président avait alors incité ses troupes à l’insurrection contre le Capitole ?

Le vol de documents officiels

Dans cette affaire aussi, on note une accélération des citations à comparaître et des auditions.

Il apparaît que Trump avait, après son départ de la Maison Blanche, conservé par-devers lui des cartons entiers de documents confidentiels, et a refusé de les restituer malgré les nombreuses injonctions judiciaires reçues.

En août dernier, une perquisition de sa demeure en Floride, autorisée par un juge, a permis de récupérer plusieurs cartons, mais peut-être pas la totalité. Les actes de Trump en la matière peuvent, entre autres, relever de la loi sur l’espionnage ou des règles qui régissent l’obstruction à la justice.

Dans ces deux affaires, les difficultés tiennent au décalage entre le temps judiciaire et le temps politique aussi bien que médiatique. Surtout, quelles que soient les conclusions du procureur spécial Jack Smith dans les deux affaires, le ministre de la Justice Merrick Garland peut ne pas suivre les recommandations de mise en examen. Il jouit en effet de ce qu’on appelle le pouvoir discrétionnaire du procureur (prosecutorial discretion).

Et même s’il y a inculpation, Trump et ses avocats vont multiplier les refus de se plier aux convocations, les contestations devant les tribunaux et toutes sortes de manœuvres dilatoires. Un procès n’est pas pour demain. Et pendant ce temps se dérouleront les élections primaires et peut-être l’élection présidentielle de novembre 2024. Si un Républicain (Trump ou un autre) était élu, instruction serait évidemment donnée au DoJ de cesser toute enquête. Et si des condamnations étaient prononcées d’ici là, le nouveau locataire de la Maison Blanche aurait sans doute recours au droit de grâce.

Quid de la primauté du droit ?

En conséquence, ce sont bien les affaires instruites au niveau des États qui pourraient, un jour, aboutir à une condamnation de l’ancien président et, parce que le droit de grâce du président ne s’applique qu’aux peines prononcées dans le cadre d’affaires fédérales, mettre partiellement fin à son impunité.

Les institutions et juridictions des États auraient le mérite de rappeler l’importance de la primauté du droit (rule of law) et la règle du « Nul n’est au-dessus du droit » affirmée par la Cour suprême dans U.S. v.Nixon en 1974. Mais la sanction d’inéligibilité ne peut être prononcée qu’au niveau fédéral…

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