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Donald Trump, ou le président de la télé-réalité

« You’re fired ! », en 2005. Garry Wilmore/Flickr, CC BY-NC-SA

Frédéric Dosquet, enseignant chercheur à l'ESC Pau, a contribué à la rédaction de cet article.

L’élection de Donald Trump à la présidence de la première puissance économique mondiale fait de lui le premier présentateur de télé-réalité à devenir président. Serait-ce la raison principale de son succès ? S’il n’y a pas de causalité unique pour rendre compte d’un succès politique, la corrélation apparaît avec force.

Une stratégie électorale bien identifiée

Parmi toutes les hypothèses qui fleurissent au lendemain de son élection, cette dernière apparaît comme évidente, une fois qu’on a étudié et éliminé toutes les autres. En effet, ni le populisme du leader des républicains américains, ni son charisme, ni ses idées ou son projet (à défaut d’un réel programme) ne permettent à eux seuls d’expliquer sa victoire. Car ces facteurs auraient pu être mesurés, il y a déjà quelque temps, par les sondages dans les intentions de vote à son égard. Toutefois, à moins de croire à une énième théorie du complot – qui expliquerait l’aveuglement quasi général en raison de la connivence des élites contre lui –, cela paraît peu crédible.

De même, le mode de scrutin si particulier – et injuste – de l’élection américaine qui permet à un candidat de devenir président sans avoir recueilli le plus grand nombre de voix est connu et documenté. En 2000, bien qu’il avait recueilli moins de voix qu’Al Gore, George W. Bush avait gagné l’élection. Cela s’est une nouvelle fois reproduit.

Mais cette fois-ci, cela pouvait être anticipé : le candidat était du même parti et la « révélation » de sa stratégie électorale – s’appuyer sur les États conservateurs (la Bible Belt) pour rassembler le maximum de grands électeurs au détriment des grands États côtiers trop démocrates – n’en est réellement pas une.

Les faiblesses connues de la candidate Clinton

Par ailleurs, le rejet du couple Clinton, le scandale des e-mails mais aussi le bilan mitigé des deux mandats d’Obama ne permettent pas d’expliquer le succès inespéré et non anticipé de l’héritier du Queens devenu milliardaire. D’abord, les sentiments que nourrit la famille de Hillary Rodham Clinton n’ont pas trop changé ces vingt dernières années : ils ont oscillé entre le mépris et la plus parfaite détestation pour leurs nombreux détracteurs.

Ensuite, le scandale des e-mails d’Hillary Clinton traîne comme un boulet au pied de l’ancienne secrétaire d’État depuis plusieurs années déjà. Même s’il a été rouvert (opportunément ?) puis refermé par le FBI (maladroitement ?) quelques jours avant l’échéance électorale, il n’y avait là rien de nouveau non plus. La « piqûre de rappel » auprès de l’électorat a bien pris et les sondages, après quelques soubresauts en faveur du candidat républicain, ont remis en tête des intentions de vote Hillary Clinton.

Enfin, il faut rappeler qu’Obama reste un président apprécié par une bonne part du peuple américain (la moitié des électeurs, selon les sondages), même après huit ans de présidence. Son soutien auprès de la candidate démocrate ne pouvait être qu’un plus pour la candidate de l’establishment.

« You’re fired ! »

En fait, pour expliquer la victoire de Trump, il faut voir ailleurs et considérer la pure communication télévisuelle. Donald Trump est le présentateur et co-producteur d’une émission de télé intitulée « The Apprentice », diffusée sur NBC depuis 2004. Durant plus de 12 ans (jusqu’en 2015), il a présenté cette émission de télé-réalité dans laquelle il coachait, réprimandait (la phrase « You’re fired ! » est devenue sa signature) et récompensait des aspirants managers par un fructueux contrat d’un an dans une de ses sociétés. Ce faisant, il valorisait l’audace, le goût du risque, le caractère entrepreneur mais aussi la résilience après un échec professionnel.

Le logo de l’émission de Trump. Pingping/Flickr, CC BY-NC-SA

Pour les dizaines de millions d’Américains dans les foyers desquels il s’est invité pendant 14 saisons, il a donc incarné et stimulé ces valeurs typiquement américaines. Dans une société qui doute, il est celui qui a rappelé les caractères fondamentaux qui ont forgé le mythe de l’Amérique, the American Dream.

Surexposition médiatique

Pour comprendre ce phénomène, il faut revenir à l’étude de la psychologie des individus. En 1968, Robert Zajong a développé dans un article (publié dans le Journal of Personality and Social Psychology en juin 1968) la théorie de la simple exposition (mere exposure effect). Ce psychologue américain a montré que plus un individu était au contact d’un objet, plus il (ou elle) développait une attitude favorable à l’égard de cet objet.

De fait, la surexposition médiatique du présentateur Trump durant chaque semaine, pendant un semestre, sur une période s’étalant de 2004 à 2015 et ce, auprès de 20 millions d’électeurs en moyenne (pour les premières saisons) paraît expliquer son incroyable victoire électorale en raison de l’appréciation positive qu’il en est découlé.

Au pied de la Trump Tower, à New York. w00kie/Flickr, CC BY

Elle montre que, malgré le manque d’idées, d’expérience gouvernementale ou de compétences professionnelles avérées, en dépit de paroles qui oscillent entre le sexisme, le racisme et la bêtise, un individu qui paraît incarner les valeurs fondamentales d’une société peut aspirer à la plus haute et respectable des fonctions.

La triple simplification populiste

À cela s’ajoute la maîtrise par Trump de l’argutie populiste qui passe, selon Pierre Rosanvallon par une triple simplification :

  • Une simplification politique et sociologique : il n’y a pas de classes sociales, mais un peuple unique et homogène, opposée aux élites ;

  • Une simplification procédurale et institutionnelle : les parlementaires, comme tous les corps intermédiaires, sont inutiles car corrompus ou indifférents aux malheurs du peuple ;

  • Une simplification de la conception du lien social : il faut rejeter ce qui corrompt une identité fantasmée toujours définie négativement, à savoir par rapport à l’étranger sous toutes ses formes.

Dès lors, Trump a pu mêler le pouvoir de séduction à l’incarnation de symboles forts pour en faire une irrésistible combinaison politique. On peut alors expliquer en partie l’erreur des instituts de sondage en dévoilant ce qu’on appelle la « zone muette ».

« Make America great again ! »

Reste à savoir, toujours en ce qui concerne la psychologie des individus, comment le pouvoir qui transforme tous les hommes et les femmes qui l’exercent affectera à son tour Donald J. Trump. Les États-Unis d’Amérique étant une démocratie de « checks and balances » où les contre-pouvoirs sont légion et puissants, il est à peu près certain que le désormais président Trump ne pourra pas agir – ni parler – de la même manière que le candidat qu’il était il y a encore quelques semaines.

Le Parti républicain qui l’a adoubé, avant de s’en éloigner quelque peu pendant la campagne, devrait se rappeler à son bon souvenir et l’aider à endosser son costume de Président. Car ses électeurs, comme ses contempteurs, examineront de près celui qui a promis de rendre à l’Amérique sa gloire.

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