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D’où vient notre fascination pour les gladiateurs ?

Les gladiateurs en plein combat découverts récemment à Pompei, Ier siècle après J.C. Parc archéologique de Pompeï

Il y a 2 000 ans, les combats de gladiateurs fascinaient les Romains. C’est ce que nous montre la fresque réaliste et sanglante, découverte à Pompéi en octobre 2019.

Selon l’archéologue italien Massimo Osanna « , cette fresque pourrait être presque qualifiée d’« hyperréalisme trash ».

La peinture représente un duel qui touche à sa fin. À gauche se tient le vainqueur, soulevant fièrement son grand bouclier, tandis qu’à droite, le vaincu, blessé au poignet et à la poitrine, est en train de se vider de son sang. Il lève l’index gauche pour demander une interruption du combat.

La part d’ombre de la romanité

Le plus ancien combat de gladiateurs organisé à Rome remonte à 264 av. J.-C. Il avait été organisé sur la place du marché aux bœufs, le Forum Boarium, non loin des étals des bouchers. Un lieu particulièrement bien trouvé pour un spectacle destiné à écorcher de la chair humaine ! Seulement six combattants y participèrent, c’est-à-dire trois couples : les gladiateurs se comptant habituellement par paires, car ils s’affrontaient en duel.

Si l’on compare avec les milliers de gladiateurs qui s’entretuèrent à Rome sous le règne de l’empereur Trajan, au début du IIe siècle apr. J.-C., on mesure l’engouement croissant des Romains pour ces jeux sanglants qui devinrent l’une des grandes caractéristiques de la civilisation romaine. Une gloire ou une honte, un fascinant spectacle ou bien la part d’ombre de la romanité, selon le point de vue.

Au début, les gladiateurs étaient des prisonniers de guerre contraints de se battre, revêtus d’armes et d’équipements impressionnants : glaives, grands boucliers, casques à panache… Puis, à partir du milieu du Ier siècle av. J.-C., on vit apparaître des engagés volontaires, citoyens pauvres appelés auctorati en latin, c’est-à-dire des hommes « qui se sont vendus ».

Ils signaient un contrat pour cinq ans : après une année d’entraînement, ils devaient se produire trois à quatre fois par an dans l’arène. Mais, selon les estimations de l’historien Éric Teyssier, un quart environ des gladiateurs mourraient dès leur premier combat, tandis qu’un tiers seulement parvenait à la fin de leurs contrats. La gladiature était un métier à très haut risque.

Lampe à huile montrant un combat de gladiateurs. IIᵉ siècle apr. J.-C., Musée du Louvre, Paris. Wikimedia

Un jeu interactif

La mise à mort du vaincu n’était pas systématique. Le public avait son mot à dire : il pouvait sauver ou achever l’homme qui se trouvait à terre sous ses yeux. Mais, contrairement à l’imaginaire traditionnel véhiculé par les péplums, rien ne prouve que les spectateurs abaissaient leurs pouces pour demander la mort.

Cependant, ils participaient bien à la décision finale par leurs cris et gesticulations. Cela entretenait un fort effet de suspens, le sort du gladiateur pouvant dépendre de l’humeur de la foule. C’était une sorte de jeu interactif, un peu comme dans les émissions de téléréalité où l’on vote pour éliminer un participant, avec des conséquences cependant moins tragiques qu’il y a 2 000 ans. Aujourd’hui, la mise à mort n’est plus que symbolique. Mais, comme autrefois, elle donne au spectateur le sentiment de détenir un pouvoir sur le sort des participants.

Certains empereurs exploitèrent à des fins politiques cet engouement populaire. Au cours des jeux, ils communiquaient avec le public par l’intermédiaire de panneaux de bois sur lesquels ils faisaient inscrire leurs réponses aux demandes du peuple. Ils avaient bien compris l’intérêt pour eux d’entretenir une passion collective qui ne pouvait que renforcer leur propre popularité. Suétone (Claude 34) raconte que l’empereur Claude manifestait ostensiblement son plaisir de voir égorger ceux qui étaient tombés à terre. Sadisme ou calcul politique ?

L’instant fatidique

La fascination pour les gladiateurs a pour origine leur lien avec la mort qu’ils ne cessent de frôler. Les combats de l’arène suscitaient une attraction morbide. Si les mises à mort n’étaient pas systématiques, les blessures occasionnées n’en étaient pas moins terribles.

Sur une mosaïque découverte dans une riche demeure romaine de Zliten, en Libye, on voit un gladiateur dont le sang s’écoule à travers la grille protectrice de son casque.

Mosaïque de Zliten, IIᵉ siècle apr. J.-C., Musée archéologique de Tripoli, Libye. Wikimedia

L’artiste, comme sur la fresque de Pompéi, a représenté le moment de pause qui permet de bien voir les conséquences du duel, avant son achèvement.

L’iconographie se plaît à représenter l’instant fatidique, cette minute cruciale qui précède la mise à mort ou la grâce du vaincu.

L’érotisme du gladiateur

La fresque de Pompéi a été retrouvée dans une taverne, lieu habituellement fréquenté par des prostituées. Les restes d’un escalier ont été identifiés juste au-dessus de la peinture : permettait-il d’accéder aux chambres où les filles s’offraient à leurs clients ?

La figure du gladiateur revêt, en elle-même, une dimension érotique, suivant un lien entre sexe et combat qui explique pourquoi Vénus, déesse de l’amour, faisait figure de protectrice des combattants de l’arène. Dans une inscription latine (CIL IV, 2483), un gladiateur victorieux promet ainsi de lui offrir son bouclier.

Les gladiateurs séduisaient de nombreuses femmes que les Romains appelaient ludiae, c’est-à-dire « filles à gladiateurs ». Écoutons le poète latin Martial (Epigrammes V, 24) qui évoque un combattant hors pair, nommé Hermès :

« Hermès est l’objet de l’amour et de la jalousie des filles à gladiateurs ; Hermès est beau, armé de sa lance terrible. »

Les champions étaient vus comme des sex-symbols dont les blessures et les cicatrices elles-mêmes alimentaient des fantasmes érotiques.

Selon le poète Juvénal (Satire VI, 82-112), Eppia, une aristocrate romaine, épouse d’un sénateur, abandonna sa riche demeure pour suivre son amant, Sergiolus, un gladiateur balafré, dont un œil blessé pleurait en permanence. Il relate l’épisode et conclut : « Le fer, voilà ce qu’elles aiment. »

Scène érotique avec des armes de gladiateurs. Médaillon d’applique de la vallée du Rhône, Wuilleumier & Audin (1952, n° 74). //www.persee.fr/doc/gaia_1287-3349_2017_num_20_1_1726

Plaisir coupable ?

L’impératrice Faustine, épouse de l’empereur Marc Aurèle, dans la seconde moitié du IIe siècle apr. J.-C., aurait elle aussi succombé au charme trouble d’un gladiateur aperçu dans l’arène (Histoire Auguste, Vie de Marc Aurèle 19). Mais, se sentant coupable, elle préféra en parler à son époux qui fit aussitôt tuer l’homme en question. Pour libérer Faustine de sa honteuse passion, suivant un rituel magique, il se fit apporter le sang du gladiateur dont il badigeonna le bas-ventre de l’impératrice avant de faire l’amour avec elle. Cette anecdote, sans fondement historique, n’en traduit pas moins la véritable fascination érotico-sadique suscitée par les gladiateurs.

Une fascination que ne démentit pas, en 2000, le succès mondial du film Gladiator de Ridley Scott : l’acteur Russell Crowe, dans le rôle-titre, fut alors perçu comme un véritable sex-symbol.

Quant à la série Spartacus dont les 39 épisodes furent diffusés entre 2010 et 2013, elle associe en permanence le sexe et la mort, le sperme et le sang.

Les gladiatrices

La figure de la gladiatrice constitue le pendant féminin de cette antique fascination. Des femmes aussi s’affrontèrent dans l’arène, comme le montre un bas-relief du IIe siècle apr. J.-C. aujourd’hui au British Museum.

Ce bas-relief commémore la libération de deux gladiatrices, Amazon et Achillia. British Museum

On y voit deux combattantes, armées d’un glaive et d’un bouclier. Elles ne portent pas de casques, afin que le spectateur puisse bien les identifier comme des femmes, à leur visage et à leur chevelure nouée en chignon. Leurs courtes tuniques dévoilent largement leurs cuisses. Le poète Juvénal (Satire I, 23) évoque, quant à lui, une certaine Mevia, guerrière à moitié nue, qui affronta un sanglier dans l’arène : « elle porte une lance, elle a les seins à l’air ».

La publicité s’est à son tour emparée de ce thème antique. Dans un spot pour Pepsi, Britney Spears, Beyoncé et Pink incarnent de nouvelles gladiatrices.

Non sans brio… Mais ne le dites pas trop, vous pourriez vous sentir coupable.


Christian-Georges Schwentzel a publié « Le Nombril d’Aphrodite, une histoire érotique de l’Antiquité », aux éditions Payot.

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