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Du naufrage de l’Erika à l’Affaire du siècle : cinq combats citoyens marquants pour l’environnement

Une enfant et son père nettoient une plage souillée après le naufrage d'un bateau pétrolier en 1999
Le 27 décembre 1999, des bénévoles nettoient une plage de l'Ile de Noirmoutier souillée par de nombreuses nappes de pétrole, échappées du pétrolier Erika, qui a fait naufrage, le 12 décembre, au large des côtes bretonnes. EMMANUEL PAIN/AFP

Dans « Justice pour la planète ! », paru en août 2022 aux éditions de l’Atelier, et dont nous vous proposons un extrait, Louis de Redon et Elisabeth Javelaud reviennent sur cinq affaires qui auront permis de faire évoluer le droit français dans le domaine de la protection de l’environnement. Naufrage de l’Erika, abattage de l’ourse Cannelle, lutte des faucheurs volontaires d’OGM, mobilisation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et Affaire du siècle, autant d’exemples de mobilisations citoyennes pour comprendre comment le droit peut contribuer à la sauvegarde du patrimoine naturel.


Dans la cité, les citoyens font le droit et le droit organise la vie des citoyens. Le droit, c’est la règle dont nous décidons entre nous pour établir un vivre-ensemble en cohérence avec des valeurs communes et des projets de société communs.

Le droit organise nos relations avec notre environnement. Il a pour mission de créer un espace de sécurité. Or la crise écologique que nous connaissons est source de désordres et de dangers. Il appartient donc au droit de gérer notre relation à la nature pour que nous vivions dans un monde durable : satisfaire nos besoins de manière raisonnable pour que chacun puisse vivre dans la dignité, générations actuelles comme générations futures.

Nous avons reçu la Terre en héritage. Ce bien commun, nous avons le devoir de le transmettre. C’est en ce sens qu’en 2005, notre bloc de constitutionnalité a intégré la Charte de l’environnement voulue par le président Jacques Chirac. Un texte bâti autour de cinq grands principes (pollueur-payeur, de prévention, de précaution, de développement durable et de participation) qui ont pour objectif d’organiser le développement durable de notre société. Ces principes, désormais à valeur constitutionnelle, se sont d’abord affirmés dans le droit international et les citoyens s’en sont emparés dans un second temps.

Ces toutes dernières années, la médiatisation des actions associatives, de la part des militants comme des activistes, a profondément modifié la donne. Les contentieux écologiques se multiplient en France et dans le monde. Notre édifice juridique s’en trouve bousculé. Il revient à la société tout entière de se mobiliser pour défendre le bien commun. Il s’agit d’une responsabilité aussi bien collective qu’individuelle.

Le droit de l’environnement s’est développé ainsi, par l’action de la société civile qui au gré des manifestations et des actions en justice, a poussé l’État à agir. Rien ne s’est réalisé seul. Le droit de l’environnement, de notre environnement, est le fruit d’un rapport de force imposé par des militants aux pouvoirs publics.

Le droit de l’environnement est un droit né dans la rue et devant les tribunaux : par l’action des citoyens qui ont mené des combats politiques et juridiques. Pancarte politique dans une main, pour défiler dans les rues des grandes villes de France, et recours juridique dans l’autre main, pour saisir le juge de contentieux environnementaux Le droit de l’environnement n’est pas un droit d’origine parlementaire : son élaboration s’est faite de manière prétorienne, c’est-à-dire qu’il est bâti par les juges saisis par les associations citoyennes ; un droit ensuite tempéré par le Parlement agissant en deuxième rideau qui limite malheureusement la portée des avancées jurisprudentielles.

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En réalité, rien n’est possible en matière de lutte contre le changement climatique et de protection de la biodiversité sans une participation forte des citoyens au débat public : par le vote, bien évidemment et premièrement en démocratie, mais aussi par des manifestations et des actions en justice qui viennent compléter l’engagement dans les enquêtes publiques et sur les réseaux sociaux.

Ce lobbyisme sain et citoyen a émergé avec le fait associatif. Il continue de peser grâce à lui. Les associations sont la voix de la nature qui n’en a pas. Nous leur devons beaucoup et nous devons beaucoup aux bénévoles, femmes et hommes, qui depuis le début des années 1970 se sont associés pour faire changer le droit afin de mieux protéger notre planète et tout ce qui y vit – nous inclus.

Sans la participation et sans les associations, rien ne serait possible. La participation n’est pas un droit qui nous est offert. Ce n’est pas une possibilité qui nous est ouverte. Non, c’est bien plus que cela : c’est un devoir.

Il s’agit d’une obligation morale qui nous est faite et d’une obligation juridique que nous avons choisi de nous imposer au sein même de notre Constitution, la loi fondamentale de notre République.

Le 9 juillet 2016, à Notre-Dame-des-Landes. Jean-Sébastien Evrard/AFP

Cinq affaires emblématiques

Il faut commencer la lecture de cet ouvrage en ayant en tête les photographies de ces bénévoles gantés et bottés, pelle à la main, couverts de ces plaques noires et malodorantes de pétrole brut visqueux, tenant par leurs ailes écartées des oiseaux mazoutés. […]

Le naufrage de l’Erika a eu lieu en décembre 1999. Ce tanker vieillissant et peu entretenu n’aurait pas dû prendre la mer. Dans le montage financier qui entoure son exploitation commerciale s’entremêlent des armateurs successifs, des gestionnaires nautiques, des équipages multiples et même un pavillon de complaisance. La marée noire provoquée par l’Erika a eu des conséquences majeures. La justice a été saisie et la Cour d’appel de Paris a reconnu en mars 2010 pour la première fois l’existence d’un « préjudice écologique » qui devait être réparé.

L’ourse Cannelle était la dernière ourse des Pyrénées susceptible de transmettre ses gènes. Cela ne lui a pas sauvé la vie pour autant. Bien au contraire. Tuée lors d’une battue au sanglier en 2004, l’annonce de sa mort a provoqué une intense émotion. Le président de la République d’alors, Jacques Chirac, s’en était publiquement ému. Un juge d’instruction a mené l’enquête et le chasseur auteur du coup de feu a été mis en examen pour destruction d’espèce protégée. Plusieurs associations se sont portées partie civile. Le tribunal judiciaire de Pau a retenu « l’état de nécessité » et a donc exonéré le chasseur de sa responsabilité pénale. Mais les associations de défense de l’environnement n’ont pas lâché l’affaire et ont fait appel pour demander réparation. Elles ont finalement obtenu la condamnation du chasseur à leur verser la somme de 10 000 euros.

« Les faucheurs volontaires » est un mouvement dont les membres se sont engagés à détruire les parcelles de cultures d’organismes génétiquement modifiés (OGM) en plein champ entre 1997 et 2013. Très médiatisés, les faucheurs ont revendiqué leurs actes devant la justice comme relevant de la désobéissance civile et de la non-violence. Pourtant, aux yeux de la loi, ces actions constituent des délits sanctionnés par des peines d’emprisonnement et des amendes conséquentes. Les faucheurs ont perdu devant la justice mais leurs actions ont déclenché de nombreuses réactions de politiques, d’agriculteurs et de semenciers, et la loi a évolué : d’un côté un « délit de fauchage » a été intégré au code rural mais de l’autre un moratoire sur les cultures d’OGM a été décidé…

Notre-Dame-des-Landes, le « grand aéroport de l’Ouest », devait voir le jour. Dès 1963, l’État avait soulevé la nécessité du déplacement de l’aéroport de Nantes liée à la croissance économique et démographique du territoire. En 2000, trente-sept ans plus tard, le gouvernement Jospin relance le projet de construction de cet aéroport international sur des zones agricoles mais aussi naturelles. En 2012, alors que le projet rentre dans sa phase concrète, les opposants défilent dans les rues de Nantes et la manifestation dégénère. À Notre-Dame-des-Landes, la vie s’installe et une ZAD, « zone à défendre », voit le jour. À plusieurs reprises, l’État tente de démanteler la ZAD sans succès et le projet d’un nouvel aéroport s’enlise sur le terrain comme dans les tribunaux où plusieurs centaines de recours sont déposés. Finalement l’abandon du projet est annoncé le 17 janvier 2018 par le président de la République.

À Paris, mi-janvier 2021, une manifestation de soutien à l’Affaire du siècle. Thomas Samson/AFP

Appeler à une campagne nationale de justice climatique pour tenter de prévenir un changement climatique aussi soudain que majeur et destructeur pour la vie sur la Terre ? C’est devenu possible en 2018, à l’heure des réseaux sociaux et des influenceurs du web. En quelques semaines, « l’Affaire du siècle » fédère plus de deux millions de personnes qui signent la pétition portée par quatre associations : Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France.

« Justice pour la planète » est paru aux éditions de l’Atelier en août 2022.

Les associations s’appuient sur plusieurs dizaines de juristes et d’avocats pour attaquer l’État en justice pour inaction climatique et obtiennent quelques mois plus tard gain de cause devant le Conseil d’État qui ordonne au gouvernement de faire mieux et davantage en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Ces cinq exemples français de combats citoyens et de contentieux sont emblématiques. Ils seront l’objet […] de cet ouvrage atypique qui a pour objectif de raconter l’histoire du droit de l’environnement à travers l’engagement des associations sur le terrain et dans les palais de justice. Il n’y a pas d’issue possible en démocratie en dehors du droit. Il n’y a pas d’issue possible en écologie en dehors d’actions citoyennes.

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