Menu Close

Échanges universitaires avec l’Inde : un nouveau cœur de cible pour la France

Une étudiante en échange scolaire se prend en photo avec ses enseignants durant la journée nationale des enseignants, à Amritsar, le 5 septembre 2017. Narinder Nanu/AFP

Partenaire stratégique de la France de longue date, l’Inde accueillera le président de la République Emmanuel Macron en voyage présidentiel du 9 au 12 mars, marquant ainsi une continuité dans les relations franco-indiennes non démentie depuis la visite de Jacques Chirac en 2006.

Si les discussions porteront essentiellement sur la vente du Rafale, la centrale nucléaire de Jaitapur et que la France initiera le projet de l’alliance solaire internationale, il serait plus que souhaitable que l’éducation soit également au cœur des débats.

En effet, la France n’accueille que très peu d’étudiants indiens par rapport aux autres grandes puissances également présentes sur ce marché de l’éducation en pleine expansion.

10 000 étudiants indiens en 2020 ?

En 2016, la France n’accueillait qu’environ 4000 étudiants indiens contre 30 000 étudiants chinois sur les 255 000 étudiants indiens à l’étranger.

Ce chiffre fait pâle figure comparé aux 28 millions de personnes (20,4 % de la classe d’âge 18-23 ans) actuellement inscrites dans l’éducation supérieure. D’où l’ambition affichée d’accueillir en France 10 000 étudiants indiens d’ici à 2020.

Mais est-ce réaliste dans un contexte où l’allocation des visas étudiants reste encore très difficile du côté français de manière générale ?

Faire de la France une destination de choix

Par ailleurs, la France n’est pas forcément la destination privilégiée des étudiants indiens qui lui préfèrent les universités américaines et canadiennes, notamment pour la proximité linguistique de l’anglais (plus de 50 % des étudiants indiens à l’étranger choisissent l’Amérique du Nord).

Pourtant, beaucoup choisissent l’Allemagne. Notre voisin accueille plus de 9 000 étudiants indiens par an et la facilité d’obtention des visas et de bourses d’études y est pour beaucoup.

La France essaye cependant de rattraper son retard : le nombre de bourses pour permettre aux Indiens d’étudier en France a été porté à 500 en 2017 (contre 370 auparavant).

En outre, depuis 2013, il est possible d’obtenir un visa de cinq ans pour les détenteurs d’un diplôme français (niveau Master ou Doctorat).

Un manque d’infrastructures en Inde

La France a d’autant plus une belle carte à jouer que l’éducation supérieure indienne souffre de plusieurs problèmes au premier rang desquels le manque d’infrastructures. Il existe ainsi une pénurie d’établissements supérieurs pour faire face à la croissance du nombre d’étudiants et ce dans tous les domaines.

Examens de fin d’année (maths, 10ᵉ année, équivalent du BEPC en France) Jaura, Inde. Les écoles demeurent inégales face au nombre d’étudiants se dirigeant vers les études supérieures. Yann Forget/Wikimedia, CC BY-ND

Déjà, le 11e plan de l’Inde en 2011-2012 recommandait de doubler le nombre des universités, soit 1500 établissements contre les 642 existants (dont environ la moitié étaient privés). C’est surtout le niveau « undergraduate » (Bachelor) qui fait défaut.

Si les institutions privées se sont déjà fortement développées (+ 10 % entre 1996 et 2008), elles restent chères – donc peu accessibles à une majorité d’étudiants- et de qualité inégale. L’éducation supérieure reste d’ailleurs l’un des parents pauvres du budget général de l’Inde aujourd’hui.

Des institutions à la traîne

Le niveau et la qualité de ces universités sont également sous pression. Hormis quelques grandes institutions élitistes (comme nos grandes écoles de commerce ou d’ingénieur), les universités indiennes peinent à avoir une reconnaissance internationale. Ainsi, seul l’Institut Indien des Sciences figure au classement de Shanghai entre la 301ᵉ et la 400ᵉ place.

En 2007, le premier ministre de l’époque, Manmohan Singh déclarait que 66 % des université indiennes et 90 % des « colleges » étaient classés en dessous de la moyenne au regard de la qualité de l’enseignement, privilégiant des considérations communales ou de castes, engendrant favoritisme et corruption. Près de dix ans plus tard, la réalité reste morose. En témoigne le scandale Vyapam dont certains faits ont été récemment révélés. Il s’agit d’une gigantesque fraude à l’examen d’entrée dans l’état du Madhya Pradesh, survenue en 2013 et concernant 592 personnes.

Les établissements indiens ont donc besoin de partenaires internationaux afin d’améliorer leur qualité et leur réputation au niveau international. Mais ces partenariats – outre les échanges étudiants- doivent également inclure des collaborations et échanges entre professeurs, ce qui implique de mobiliser les états fédérés directement, 65 % des universités et 90 % des collèges étant directement gérés par ces derniers.

Donner le goût de l’Inde

Dans le sens inverse, la France devrait davantage encourager les étudiants français à se rendre en Inde. Sur les 80 000 étudiants français à l’étranger, seulement 116 étudient en Inde (certains bénéficiant d’échanges semestriels, ils ne sont pas toujours recensés).

Les meilleures institutions indiennes (type Indian Institute of Technology ou Indian Institute of Management, l’équivalent de nos Grandes Écoles d’ingénieur ou de commerce) forment d’excellents étudiants notamment grâce à leur sélection drastique (moins de 2 % des candidats sont admis, voire moins – 0,25 % – pour les plus prestigieux d’entre eux).

Chinmay Ghoroi, professeur associé de l’Indian Institute of Technology (IIT) Gandhinagar, (Gujarat) montre des panneaux solaires installés sur le toit de l’école. Ces écoles sont à la pointe des nouveaux secteurs économiques, comme l’énergie renouvelable. Sam Panthaky/AFP

Étudier au sein de ces prestigieuses écoles – à la pointe sur des secteurs prisés comme la médecine et l’informatique- garantit d’ailleurs un salaire égal, si ce n’est supérieur, à ceux des écoles de commerce et d’ingénieurs de l’hexagone.

Donner un coup de fouet aux échanges universitaires et pousser les jeunes Français vers l’Inde (et inversement) pourrait également permettre de répondre au développement des implantations d’entreprises de part et d’autre.

Dynamiser les échanges économiques

Malgré des liens d’apparence solides, les implantations françaises (750 en Inde dont 39 entreprises du Cac 40) ou indiennes (150 compagnies indiennes représentées sur le territoire français) ainsi que le commerce bilatéral (12 milliards d’euros en 2017 pour la France) affichent des chiffres relativement faibles par rapport à nos partenaires européens.

Environ 1800 entreprises allemandes sont recensées en Inde, et la chambre de commerce germano-indienne compte plus de 6 000 membres (contre 550 pour la chambre de commerce franco-indienne).

Les principales réticences et problèmes évoqués vis-à-vis du développement des activités en Inde tournent traditionnellement autour de deux pôles : les complexités administratives et les problèmes interculturels.

Résoudre les impasses

Les difficultés posées par la bureaucratie indienne peuplent les récits des entreprises françaises. Mais elles ne sont pas uniquement liées à l’implantation des entreprises étrangères et concernent l’Inde en général. Localement, ce phénomène bureaucratique porte même le nom de « red tapism ». Le pays est par ailleurs classé 130e sur 190 par la Banque mondiale pour la difficulté à y faire des affaires.

Certes, Narendra Modi, premier ministre de l’Union indienne, a fait de ce problème son cheval de bataille afin d’attirer les investissements étrangers. Si les changements observés ne sont pas encore radicaux, ils devraient néanmoins permettre d’attirer nos entreprises, dont les PME, échaudées par l’image difficile que renvoie le pays. Pourtant, comme le montre une étude sur l’histoire des entreprises étrangères en Inde, un bon accompagnement local permettrait de déléguer les questions relatives aux contraintes administratives de l’installation d’une activité en Inde, qui, dans la plupart des cas, ne sont pas aussi difficiles à gérer que les classements mondiaux le laissent entendre.

Un manque de connaissance du pays

Les réticences émergent également parce que faire des affaires en Inde relève aussi des représentations personnelles des expatriés en charge de conduire les opérations locales.

Un grand nombre d’entre eux sont envoyés en Inde sans avoir eu une réelle volonté de s’y rendre (et de facto connaissent de nombreux problèmes d’adaptation). Si beaucoup restent ensuite avec plaisir, un nombre non négligeable partent avant la fin de leur contrat. Par ailleurs, celui-ci est souvent très court (2 à 3 ans en moyenne) et ne laisse que peu de temps pour comprendre ce pays complexe. C’est une fois opérationnels et adaptés que les expatriés partent pour laisser la place à une nouvelle personne qui doit recommencer tout le processus. Comme le montre mon travail de thèse sur le sujet, le recrutement des entreprises françaises pour envoyer du personnel sur place devrait répondre à une autre logique que celle de la connaissance de l’entreprise ou de la connaissance de l’étranger et mettre plus en avant la connaissance du contexte indien de personnes y ayant vécu ou étudié (élément essentiel pour gérer les problématiques locales).

C’est bien en ça que le développement de partenariats universitaires semble absolument primordial pour une meilleure connaissance réciproque.

Par ailleurs, symboliquement parlant, les entreprises françaises en général peuvent intrinsèquement porter un message peu attractif pour des salariés indiens qualifiés et désireux de travailler pour des entreprises multinationales. Aucune grande entreprise française n’a, par exemple, de CEO indien à l’instar de beaucoup de sociétés américaines notamment : Satya Narayana Nadella est le CEO de Microsoft, Sundar Pichai est le CEO de Google, Ajaypal Singh Banga est le CEO de Mastercard, Indra Nooyi est la CEO de PepsiCo, Rajeev Suri est le CEO de Nokia…

Une success story à l’indienne : le parcours de Starya Nadella.

Il en va de même à un niveau plus local : si des efforts ont été faits depuis les 10 dernières années, ce sont principalement des expatriés qui gèrent les entreprises françaises en Inde (même si le reste de l’organisation ne compte que des Indiens). Ce qui peut se comprendre dans les premières années d’internationalisation, afin de développer la culture d’entreprise et les procédures internes, choque souvent après plusieurs années sur le territoire. Ce sont des signaux importants pour une catégorie de salariés éduqués et qualifiés qui observent les perspectives de carrière possibles dans une société étrangère, voire dans une carrière internationale, que ce soit en Inde ou en France.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now