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En se fiant uniquement sur des données probantes, on se prive d'expériences pertinentes provenant du milieu de l'éducation, comme ici dans une recherche réalisée en 2019 par des chercheuses de l’UQO. Sur la photo, des élèves d’une école de Gatineau découvrent leur environnement à l’aide d’appareils photo. (courtoisie du projet Hors les murs »), Author provided

Éducation : voici pourquoi les données probantes ne disent pas tout

En éducation, le débat sur l’importance à accorder aux données probantes refait surface à intervalles réguliers depuis une vingtaine d’années.

Avec la récente réforme annoncée par le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville, une certaine confusion règne quant au sens à donner à ce concept.

Il peut être difficile de comprendre les enjeux du débat qui s’est transporté sur la place publique quant à l’utilisation des données probantes ou à la création d’un Institut national d’excellence en éducation (INEÉ). En effet, comment ne pas se réjouir d’un gouvernement qui affirme vouloir éclairer ses décisions par des données scientifiques indiscutables  ? Qu’est-ce qui peut expliquer que certains intervenants semblent s’inquiéter de l’excellence en recherche  ?

En tant que chercheur en fondements de l’éducation, je m’intéresse à la fois à la philosophie de la connaissance, donc aux critères qu’on utilise pour déterminer ce qui peut être jugé comme étant vrai, et à la fonction de l’éducation et de l’école. J’estime que pour bien saisir les enjeux liés à l’utilisation des données probantes en éducation, il convient d’expliquer ce qu’elles sont et le contexte dans lequel elles ont été déployées.


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Faire le pari du positivisme en recherche

D’abord, il importe de noter que les partisans de la supériorité de ces données s’inscrivent dans une conception bien précise de ce qu’est la vérité, de ce qu’elle exige et de la forme qu’elle peut et devrait prendre.

Le concept des données probantes porte en effet toutes les caractéristiques du positivisme, ce courant philosophique né au XIXe siècle qui soutient qu’il existerait des vérités, voire des lois qui expliqueraient la totalité de l’expérience humaine. Pour identifier ces lois, il suffirait d’exploiter des outils ou des instruments de mesure suffisamment précis.

En philosophie de la connaissance, une telle posture n’est pas tout à fait nouvelle. Elle est cependant loin de faire consensus dans le domaine scientifique et plus encore, dans celui des sciences humaines et sociales. Plusieurs chercheurs et philosophes sont en fait très critiques de la capacité du positivisme d’expliquer les choses humaines. Ils soulignent notamment que, pour assurer la validité de leurs modèles, les approches découlant du positivisme doivent réduire de façon artificielle le nombre de variables en présence dans une situation.

Sans vouloir caricaturer, en éducation, on pourrait ainsi vouloir réduire l’engagement des élèves à leur présence ou non en classe ou l’apprentissage, aux résultats que ces mêmes élèves auront obtenus à une évaluation. Il serait inutile, ou tout simplement non pertinent, par exemple, de chercher à comprendre comment les élèves définissent leur engagement ou leur réussite à l’école.

Diversifier les méthodes

Cette sur-simplification peut difficilement offrir une compréhension de la complexité des phénomènes humains, comme l’éducation ou l’apprentissage. Même en médecine, d’où est issu le concept de données probantes, plusieurs chercheurs montrent que les devis permettant de produire de telles données présentent des faiblesses que seule la diversité des approches méthodologiques et le jugement clinique d’un professionnel permettraient de corriger.

En éducation, ce qui inquiète n’est donc pas qu’on exploite la richesse évidente des données probantes, mais l’impasse qui semble être faite à toutes les autres recherches qui permettent un éclairage plus nuancé des différentes facettes de l’expérience scolaire des élèves, des personnes enseignantes, des directions, des parents et du sens qu’ils lui donnent.

Le discours sur les données probantes est souvent très exclusif. Certains auteurs proposent même une hiérarchie formelle des approches méthodologiques et de la robustesse des « preuves » en recherche. C’est aussi ce qui transparait dans le discours du ministre québécois de l’Éducation lorsqu’il aborde le sujet des données probantes.

On peut ainsi légitimement s’inquiéter de la volonté de miser sur les seules données probantes pour comprendre des phénomènes complexes et prendre des décisions.

Production d’élève dans le cadre du projet « hors les murs »
La pluralité des approches méthodologiques permet de corriger les angles morts des données probantes et de mieux comprendre comment les élèves donnent un sens à leur expérience. C’est le cas avec ce travail réalisé par les chercheuses Geneviève Lessard, Catherine Nadon, Stéphanie Demers, Marysa Nadeau, Marie-Thérèse Kamal, Ornella Kendjo où les élèves étaient invités à prendre en photo ce qui était important pour eux. (Projet Hors les murs)

Au service d’une gestion publique efficace

Plusieurs des critiques de l’utilisation des données probantes sont aussi préoccupés par l’utilisation qui en sera faite par les décideurs politiques.

L’émergence des données probantes en éducation est en effet intimement liée à l’adoption des préceptes de la nouvelle gestion publique (NGP) et de la gestion axée sur les résultats (GAR).

Avec la NGP, il s’agit de calquer la gestion des services publics sur celle des entreprises privées, exclusivement centrée sur l’atteinte de résultats quantifiables. La GAR, quant à elle, est l’incarnation de la NGP en éducation, avec le double pari que la mission de l’école se résume à la réussite scolaire, et qu’il est possible d’évaluer cette réussite par les seuls résultats scolaires.

Or, pour plusieurs intervenants des milieux scolaires, la « réussite est considérée comme un phénomène complexe et ses déterminants, multifactoriels, ne sont pas seulement scolaires ». Elle ne peut se résumer qu’aux résultats. Ainsi, ne suivre que des indicateurs quantifiables ne permettrait pas de témoigner de l’ampleur et de la diversité du travail accompli par les personnes enseignantes, par exemple. Les pratiques valorisées seront celles qui se mesurent aisément, et dont il est possible de quantifier les effets. Tout le reste de ce qui occupe les enseignants relève dès lors de l’angle mort.

On sait aussi que la NGP appliquée au système d’éducation s’accompagne de pratiques exigeantes de reddition de compte et d’imputabilité. Ainsi, si les résultats jugés importants par le ministre ne sont pas au rendez-vous, les écoles et les personnes enseignantes se trouvent directement mises en cause, peu importe les conditions dans lesquelles ils œuvrent. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre le débat lié à l’importance à donner aux données probantes en éducation.

Ce qui est en jeu

Ce qui semble donc être en jeu dans ce débat n’est donc pas simplement de savoir s’il convient de s’appuyer sur des résultats de recherche pour prendre des décisions à l’échelle du système d’éducation. Il s’agit plutôt d’un débat sur la nature de la connaissance scientifique d’abord, et ensuite sur les outils qui seront mis en place pour témoigner la réussite ou non de notre système éducatif.

Comprendre les différentes facettes de l’éducation exige de profiter de la diversité des regards scientifiques et de la pluralité des approches méthodologiques. Mettre un accent exagéré sur les seules données dites probantes et, plus encore, n’autoriser que la formation enseignante s’appuyant sur ces données risque de limiter le pouvoir d’intervention des personnes enseignantes et d’engendrer des effets secondaires imprévisibles.

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