Mardi matin, heure américaine, la vice-présidente des États-Unis Kamala Harris a téléphoné au gouverneur du Minnesota Tim Walz pour lui demander d’être son colistier dans sa campagne présidentielle.
Après avoir répondu qu’il « en serait honoré », la première chose évoquée par M. Walz a été « la joie que vous redonnez au pays, l’enthousiasme qui se diffuse ».
Le choix de Mme Harris en faveur de M. Walz confirme et renforce l’extraordinaire changement d’orientation de la politique américaine. En l’espace de quinze jours seulement, la campagne a basculé.
Au-delà des considérations électoralistes
Le choix du colistier est souvent considéré comme relativement peu important dans le cadre de la construction d’une administration présidentielle. D’ordinaire, l’accent est mis sur ce qu’un candidat à la vice-présidence peut apporter à l’élection : quel État il pourrait aider à remporter.
En préférant Tim Walz à l’autre grand prétendant, le gouverneur de Pennsylvanie Josh Shapiro, Kamala Harris montre que sa pensée dépasse largement ces considérations électoralistes.
Shapiro était en effet le candidat de l’establishment. Il était considéré comme le choix « sûr » – quelqu’un qui pourrait plaire au centre du spectre politique américain, être apprécié des Républicains et apporter dans sa besace le « swing state », État pivot, qu’est la Pennsylvanie. Il était soutenu par l’éminence grise du parti démocrate, l’ancien président Barack Obama.
Un changement majeur au sein du parti
Le fait que Mme Harris n’ait pas retenu M. Shapiro en dit long sur la manière dont cette campagne sera menée et sur l’avenir du parti démocrate en général.
Le choix de M. Walz est le signe d’un changement majeur au sein du parti, un changement à la tête duquel se trouve Mme Harris.
Alors que le parti démocrate avait depuis longtemps tendance à s’éloigner de plus en plus de sa base, en particulier à gauche, la campagne de Mme Harris semble au contraire lui accorder une grande attention. En écartant le candidat favori de l’establishment, elle peut incarner la bascule générationnelle promise par M. Biden sans qu’il parvienne à la réaliser.
Walz a été largement présenté comme le choix progressiste. Contrairement à M. Shapiro, il a soutenu les manifestants, en particulier des étudiants, s’opposant au rôle des États-Unis dans le soutien à Israël.
La semaine dernière, un groupe important de démocrates progressistes a écrit à Mme Harris pour lui demander de ne pas choisir M. Shapiro, car sa position sur Israël et les manifestations aurait brisé l’unité retrouvée de manière inattendue au sein du parti depuis que la mise en retrait de M. Biden. En prenant ses distances avec le président, Mme Harris montre qu’elle est à l’écoute.
Le soutien inconditionnel de Biden à Israël
Tout cela suggère que la stratégie électorale de Mme Harris pourrait sensiblement s’écarter des schémas du passé. Plutôt que de s’attacher à séduire un petit groupe d’électeurs (souvent imaginaires) pour conquérir les « swing states », elle s’efforce d’unir et de mobiliser la base démocrate.
Cette stratégie électorale est tout à fait valable. On se souvient que Joe Biden avait subi un avertissement sérieux lors de la primaire dans le Michigan où des centaines de milliers d’électeurs démocrates avaient voté blanc pour protester contre son soutien inconditionnel à Israël.
De plus, avec son énergie et ses blagues à papa, Walz incarne aussi cet « homme blanc » dont la plupart des analystes pensent que Harris aura besoin pour maintenir un « mur bleu » (les États qui votent systématiquement démocrate) solide, en remportant des États comme le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin.
Walz qualifie les Républicains de « weird »
Les adversaires de Kamala Harris, M. Trump et M. Vance – tous deux des hommes blancs – ne se sont pas montrés particulièrement pertinents dans leurs réponses à ces changements spectaculaires. La large résonance de la candidature de Mme Harris semble les avoir pris de court.
Harris se concentre, comme l’a fait remarquer Walz lui-même, sur la joie et l’enthousiasme, alors que ses adversaires semblent être occupés à être « weird » – bizarres.
On peut bien sûr considérer que cet engouement est superficiel et limité à Internet, mais on ne peut pas nier qu’il en dit long, tout comme le choix de Walz, sur le fond de cette campagne.
Walz, le progressiste du Midwest
À l’instar de sa colistière à la présidence, M. Walz a un solide bilan en matière de droit des femmes. Dans le Minnesota, il a obtenu de l’Assemblée la protection du droit à l’avortement après l’annulation par la Cour suprême fédérale de l’arrêt Roe v Wade.
En qualifiant efficacement leurs adversaires de « weird » – bizarres – à l’égard des femmes et du genre, Walz et Harris s’attaquent à cette question cruciale et mobilisatrice d’une manière unique, démontrant ainsi que cette campagne porte autant sur le fond que sur la forme.
Plus généralement, Harris et Walz se tournent résolument vers l’avenir, ce dont les démocrates étaient tout simplement incapables sous la présidence Biden. Ils sont désormais en mesure d’offrir une vision des États-Unis radicalement différente de celle de leurs adversaires et de leurs prédécesseurs.
Les fondements de la carte électorale américaine restent les mêmes. Mais les calculs ont radicalement changé.
En s’affranchissant du passé, Harris et Walz sont libres de se laisser aller à la joie étrange d’une campagne électorale radicalement différente.