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Élections en Espagne : des gagnants, des perdants et une surprise attendue

Les partisans du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) célèbrent la victoire devant le siège du parti à Madrid, le 28 avril 2019. Javier Soriano/AFP

Raymond Aron affirme que la démocratie est un idéal politique incommensurable. Cependant, en tant que système, cette dernière laisse peu de place aux émotions fortes. La concurrence entre partis et options politiques se limite souvent aux campagnes électorales où s’opposent des forces politiques munies de programmes convergents. Face à l’ennui qui guette, la seule menace à prendre au sérieux est de considérer la démocratie comme une simple procédure, un ensemble d’instruments au service des politiques publiques.

Mais, pour les politologues Larry Diamond et Leonardo Morlino, la qualité de la démocratie repose avant tout sur des normes, et se concrétise au travers du contenu de ces normes et de l’évaluation des résultats qui en découlent. Le fonctionnement de la politique exclut les émotions, matières premières de l’offre politique populiste, à gauche comme à droite de l’hémicycle parlementaire.

Impossible de savoir si Raymond Aron pourrait soutenir cette thèse dans l’Espagne d’aujourd’hui. Depuis les élections anticipées de 2015, bien des choses ont changé. Il y a eu les événements en Catalogne d’octobre 2017, l’application de l’article 155 de la Constitution espagnole, la défaite du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) aux élections autonomes andalouses, la première motion de censure réussie contre le conservateur Mariano Rajoy, l’émergence de Vox ou de Cayetana Alvarez de Toledo, l’arrivée de Pablo Casado ou la confirmation d’Inès Arrimadas comme une alternative solide en Catalogne… ou en Espagne. Béni soit l’ennui procédural !

Ministerio de Interior, gobierno de España
Ministerio de Interior, gobierno de España

Le nouveau paysage politique espagnol

Les résultats du dimanche 28 avril marquent une nouvelle forme de normalité à laquelle il va falloir s’habituer rapidement.

  • Le PSOE atteint son objectif. Le Parti socialiste sort vainqueur de ce scrutin. Une victoire qu’il pourra exploiter en se fondant sur son expérience passée à la tête du pays, tout en proposant un nouveau projet politique sur le court terme. Ce futur gouvernement, à géométrie variable et disposant d’un soutien parlementaire instable, pourrait prendre davantage de mesures sociales, moins sous le coup de l’émotion. Toutefois, il aura du mal à aller jusqu’au bout de la législature. Une chose est sûre : le leadership de Pedro Sanchez est indiscutable. Après les municipales et les élections des communautés autonomes prévues le mois prochain, nous verrons ce qu’il adviendra des critiques qui subsistent à l’intérieur du parti à son encontre. Pour l’heure, Pedro Sanchez est bien l’un des principaux gagnants de ce scrutin.

  • Le PP (Parti populaire) a un sérieux problème. Le parti conservateur doit définir un projet rapidement, avant les élections municipales et autonomes de la fin mai, s’il veut sortir de la spirale du déclin et conjurer les effets bandwagon ou du « train en marche », bien connus des politologues : si l’idée que le PP est en train de s’effondrer s’impose, les électeurs risquent de le fuir en masse. D’autant qu’ils disposent désormais de nouvelles alternatives électorales. Toutefois, il n’y a pas de fatalité, tout dépendra des décisions que prendront Casado et son équipe dans les jours à venir. Quoi qu’il en soit, le PP sort clairement perdant de ce scrutin. Un perdant indiscutable.

  • Ciudadanos est en pleine crise de la quarantaine. Avec plus de 55 sièges, le parti n’arrive pas à fédérer le centre-droit. Dans le contexte actuel, soit il parvient à renforcer sa crédibilité pour diriger l’opposition ou entrer au gouvernement, soit il risque d’apparaître comme une simple force d’appoint. On peut citer, à cet égard, l’exemple des libéraux démocrates au sein du Parlement britannique. Ciudadanos, gagnant, mais aussi perdant.

  • Unidas Podemos se rattrape après le scrutin. Le parti a perdu des voix et des sièges du fait de son positionnement politique. Mais il pourrait se consoler rapidement dans la mesure où son soutien sera décisif dans le processus d’élection du chef du gouvernement. Perdant, donc, mais aussi gagnant.

  • Vox est la surprise… à laquelle nous nous attendions. Pour une raison très simple : désormais le parti est bien installé dans la sphère médiatique, où il pourra faire exister ses revendications. Mais, désormais, il lui faudra aussi assumer ses responsabilités : le parti va devoir s’investir dans la politique concrète, et non plus se contenter de simples slogans. Par ailleurs, le constat est le même qu’avec Podemos : les électeurs sont très flottants. Et le résultat engrangé par Vox lors de cette élection n’est peut-être que le début d’un processus de report des votes en sa faveur. Vox, gagnant.

  • Les partis nationalistes maintiennent le cap. Et ce n’est pas rien dans un scénario aussi mouvant et agité. Tous progressent, mais c’est surtout le résultat de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) qui frappe les esprits : ce parti a réussi à s’imposer sur la scène catalane.

Pour conclure, au vu de ce nouveau paysage politique, les prochaines municipales s’annoncent très incertaines. Quand l’Espagne s’ennuie, pourrait-on dire en paraphrasant Pierre Viansson-Ponté, de nouvelles tensions émergent, ainsi qu’un nouveau paysage politique et de nouveaux acteurs. Il faut s’attendre à beaucoup d’effervescence au Parlement, avec ou sans débat de fond, mais dans une atmosphère de polarisation certaine.


Cet article a été traduit de l'espagnol par Eleonora Farade.

This article was originally published in Spanish

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