Menu Close

Élections présidentielles : l’abstention, révélatrice de territoires négligés par les politiques publiques

Près de deux électeurs sur trois ne se sont pas déplacés lors des scrutins de juin 2020. Ludovic Marin / AFP

Passée l’annonce des premières estimations sur la composition des futurs conseils régionaux, dimanche à 20 heures, l’ensemble des forces politiques s’accordaient pour faire de l’abstention un des faits majeurs du second tour des élections régionales. Le phénomène semble général. Près de deux électeurs sur trois ne se sont pas déplacés. La participation ne progresse qu’en Guyane par rapport au scrutin de 2015. Seule la Corse a vu plus de la moitié de sa population se rendre dans les bureaux de vote.

Comment expliquer ce constat ? La multiplication des élections, les spécificités de certains scrutins, l’offre politique, mais aussi la météo restent des arguments fréquemment avancés. Cependant, des facteurs plus structurants à propos de la population abstentionniste peuvent également être observés.

Dans un article de 1997, le sociologue François Héran observait déjà une progression de l’abstention, qu’il expliquait par une hausse de l’intermittence du vote (on ne vote pas à tous les scrutins), davantage que par une abstention systématique. Deux approches alimentent aujourd’hui les publications scientifiques quant aux caractéristiques de cette population. La première reste centrée sur l’individu, la seconde met l’accent sur le contexte territorial.

Deux types d’abstentions leur font écho. Celle-ci peut découler d’un « désenchantement », d’un désintéressement, d’une forme de retrait de la vie politique comme d’un choix actif de ne pas voter en guise de protestation.

À partir de données portant sur les deux tours de l’élection présidentielle de 2017 dans la métropole parisienne, marquée par des inégalités territoriales prononcées, nos travaux viennent tester la pertinence de ces deux hypothèses. Ils s’intéressent notamment à l’importance du contexte territorial de l’individu comme facteur qui pousse ou non à se rendre aux urnes.

Entre désenchantement et protestation

Au cours des dix dernières années, la sociologie, la science politique et la géographie ont eu tendance à converger en termes d’analyse des comportements électoraux. Comme nous le mentionnions, le vote abstentionniste peut être envisagé de deux manières.

Premièrement, dans les territoires où se concentrent des populations politiquement et/ou sociologiquement marginalisées, le taux d’abstention s’avère plus élevé. Cela fait référence aux non-votants qui demeurent en marge de la vie politique (par exemple, les jeunes, les personnes ayant un faible niveau d’éducation ou les chômeurs, et ceux que les partis n’ont pas réussi à atteindre).

Les politologues expliquent ce constat par le fait que les électeurs ne prennent plus la peine de se rendre aux urnes, parce qu’ils ont perdu confiance dans la politique ou s’en désintéressent. Ils ont une attitude de désenchantement, car ils se sentent abandonnés par les politiciens et les politiques publiques. Ces personnes pensent que voter ne changera pas leur vie.

Deuxièmement, les territoires qui connaissent des difficultés économiques et une marginalisation durable deviennent plus susceptibles de connaître des niveaux élevés d’abstention. Cette hypothèse fait référence aux non-votants vivant dans des territoires périphériques et en déclin. Ils ont tendance à avoir une attitude de protestation et, en s’abstenant, visent à montrer qu’ils protestent contre les politiciens et leurs offres politiques et idéologiques.

Un déclin des services publics dans certains territoires qui ne passe pas auprès des citoyens

Nos résultats confirment l’hypothèse selon laquelle les populations socialement et politiquement marginalisées restent plus susceptibles de s’abstenir. Tout se passe comme si l’alternance gauche/droite, en place depuis 1981 sans que les conditions de vie de la population ne s’améliorent, avait fini par produire un fort sentiment d’inutilité face au vote. De fait, la marginalisation de certains territoires (concentrant des populations avec des difficultés économiques) a créé un contexte défavorable, devenant ainsi un catalyseur du désengagement et conduisant à l’abstention.

Ils soutiennent aussi l’idée que l’abstention peut être interprétée comme un vote de protestation, comme un signal de mécontentement envoyé aux élus politiques dans des territoires qui s’estiment laissés pour compte. Nous observons notamment que les personnes vivant dans des municipalités qui connaissent une croissance supérieure à la moyenne des services locaux de base sur le long terme ont tendance à moins s’abstenir que celles qui connaissent un déclin relatif des équipements et services locaux.

A contrario, là où l’on enregistre une diminution du nombre de magasins locaux et de l’offre de services publics (liée à la fermeture d’écoles, de postes de police et de bureaux de poste), l’abstention s’avère plus importante.

Il s’agit de personnes qui se sentent insatisfaites de leurs conditions de vie, mais, précision importante, qui ne semblent pas forcément en difficulté sociale. Elles ont souvent un emploi et font même souvent partie des classes moyennes supérieures. Reste qu’elles ont l’impression de payer beaucoup d’impôts et pourtant de faire face à un déclin des services publics dans leur commune. Cela entretient le sentiment que la pression fiscale qu’elles subissent est injuste. Ces personnes décident alors de ne pas aller voter pour marquer leur mécontentement.

Au bilan, notre article met en évidence des différentiels de taux de participation électorale entre les territoires, avec pour conséquence que certaines municipalités tendent à rester en marge de la vie politique avant et pendant les élections. Par conséquent, les politiques publiques devraient davantage chercher une cohésion territoriale au risque que les déséquilibres actuels, renforcés par la fermeture de services publics dans certains territoires, accentuent encore le ressentiment d’une partie de la population qui se sent de plus en plus marginalisée et pas entendue par les décideurs politiques.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now