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Emprunts toxiques : la douloureuse sortie de la Métropole grenobloise

Lors des débats au conseil métropolitain. Grenoble-Alpes Métropole

Vendredi 1er juillet 2016, le conseil de la Métropole de Grenoble s’est prononcé sur la sortie des emprunts structurés contractés en 2006 et 2007 après un débat de plus de deux heures. Deux solutions étaient proposées au vote des conseillers métropolitains : poursuivre le contentieux avec la banque Dexia ou accepter l’aide du fonds de soutien mis en place par l’État et renoncer à toute poursuite judiciaire.

Comme on peut l’imaginer, le débat fut très tendu entre les différents groupes politiques, et notamment entre les deux principaux groupes qui composent la majorité de ce conseil : les verts (RCSE) et les socialistes (PASC). Petit extrait : Éric Piolle, maire écolo de Grenoble et co-président du groupe RCSE, lance à Guillaume Lissy, conseiller municipal (PS) de Seyssinet-Pariset et président du groupe PASC : « Il est étonnant, quand même, de finalement rejeter un système en s’y soumettant ! ». Et le même Lissy de lui répondre : « Quand on veut grimper à l’arbre de la polémique, il faut vérifier qu’on a les fesses propres ».

Bonjour l’ambiance… Cette séquence montre que la politique locale n’a rien à envier à la politique nationale en matière de petites phrases. Au-delà de la facture financière, la sortie des emprunts structurés devenus toxiques a également un coût politique.

Rappel des faits

Grenoble-Alpes Métropole a souscrit en 2006 et 2007 trois emprunts structurés, devenus toxiques, auprès de Dexia Crédit Local pour un montant total de 58,3 millions d’euros :

  • 22,290 millions d’euros (13/04/2006), contrat DUAL €/CHF ;
  • 18,024 millions d’euros (07/08/2007), contrat DUALIS €/CHF-€/USD ;
  • 18,024 millions d’euros (07/08/2007), contrat PENTE.

Le tableau ci-dessous indique, pour chaque emprunt, le montant du capital restant dû (CRD) au 01/01/2016 ainsi que le montant du capital remboursé (chiffres communiqués par la Métropole).

Capital remboursé et CRD (en millions d’euros).

Le total du capital remboursé s’élève à 10,3 millions d’euros, soit 18 % du capital emprunté. Le capital restant dû sur ces trois emprunts, presque dix ans après leur souscription, monte donc à 48 millions d’euros.

Le total des intérêts avec taux effectif sur les trois emprunts de 2007 à 2016 s’élève à 28,7 millions d’euros (hors intérêts sur DUALIS et PENTE en 2016). En estimant à 1 million d’euros les intérêts 2016 sur ces deux emprunts, on arrive à un total de 29,7 millions d’euros d’intérêts. En cas de remboursement anticipé (et hors aide de l’État), la Métropole devrait payer à la banque des indemnités de remboursement anticipé (IRA) de 42,9 millions d’euros.

Récapitulons. Sur ces trois emprunts, d’un montant initial global de 58,3 millions d’euros, la Métropole de Grenoble a payé et doit :

  • 10,3 millions d’euros de remboursement de capital ;
  • 29,7 millions d’euros d’intérêts ;
  • 42,9 millions d’euros de pénalité de remboursement anticipé ;
  • auxquels s’ajoute le capital restant dû (48 millions d’euros) ;
  • soit un total de 130,9 millions d’euros.

Ainsi, la souscription de ces trois emprunts se traduit au total par des débours de 130,9 millions d’euros, c’est-à-dire plus du double que le capital emprunté (exactement 2,25 fois plus) ! Le rapprochement de ces deux chiffres montre bien que les décisions de souscrire à ces emprunts structurés ont vraiment été catastrophiques. Certains conseillers métropolitains favorables à l’abandon du contentieux ont fait remarquer qu’il était toujours plus facile de dénoncer les erreurs après coup, et ont une fois de plus invoqué l’escroquerie du système bancaire. Sauf que la souscription de ces emprunts arrangeait bien à l’époque les finances de la Métropole grenobloise et que les décideurs ont sous-estimé le risque qu’ils prenaient en pariant sur l’évolution du taux de change entre l’euro et le franc suisse.

Deux options

Pour sortir des emprunts toxiques où sont engluées de très nombreuses collectivités locales, l’État a mis en place un fonds de soutien (Sfil) et propose aux collectivités locales une transaction les obligeant alors à renoncer à tout contentieux. Le choix pour les conseillers métropolitains résidait donc entre poursuivre le contentieux avec la banque Dexia ou accepter l’aide de la Sfil, désensibiliser les emprunts structurés et renoncer au contentieux avec Dexia.

Les contrats de la Métropole grenobloise sont éligibles au fonds de soutien mis en place par l’article 92 de la loi de finances pour 2014, qui peut ainsi prendre à sa charge une partie des indemnités de remboursement anticipé (IRA), comme le montre le tableau suivant.

Estimation de l’aide de la Sfil (en millions d’euros).

Le total des IRA sur les trois emprunts s’élève à 42,9 millions d’euros et le fonds de soutien pourrait prendre à sa charge 17,5 millions d’euros ; une aide non négligeable payée par les contribuables.

Pour les tenants du combat judiciaire, accepter cet arrangement revient non seulement à se soumettre à la loi du système bancaire, mais également à faire payer les contribuables. Ainsi, pour Éric Piolle :

« Les règles financières n’ont pas changé depuis 2006. À l’époque, Migaud et Fioraso étaient considérés comme ayant un bon niveau de compréhension des mécanismes financiers, mais ils ont agi avec mépris du bon sens. Que faire maintenant ? C’est une partie de poker, et certains pensent qu’il faut faire tapis tout de suite. Mais il faut regarder le fond du dossier. L’aide du fonds de soutien, c’est l’argent des contribuables. Alors, c’est en pensant au contribuable, au citoyen, mais aussi à la prochaine dérive financière, qu’on propose une sortie digne et démocratique en continuant le combat judiciaire. Il ne faut pas qu’on rejette un système en s’y soumettant. »

Selon les calculs des services de la Métropole, les annuités cumulées à venir sur les trois contrats s’élèvent à 90 millions d’euros en cas de perte au contentieux. Avec l’aide du fonds de soutien, ces annuités cumulées sont estimées à 78 millions d’euros. C’est avec cet argument financier que les tenants en faveur de l’abandon du contentieux ont justifié leur vote. Ainsi, pour Guillaume Lissy :

« L’État nous propose un compromis qui n’est pas pleinement satisfaisant. Mais faut-il continuer à avoir cette épée de Damoclès ? Tirer les conséquences de ses erreurs, c’est une chose, persévérer en est une autre. Pour nous, être responsable, c’est souscrire à cet accord, ce n’est pas cautionner le système de la finance. »

Couper une main plutôt qu’un bras

Au-delà des postures politiques, l’incertitude sur l’issue du contentieux était au centre de la décision des élus. En acceptant la transaction, la Métropole se privait d’un éventuel gain en cas de victoire au contentieux. Mais quelle est la probabilité d’un tel évènement ?

Compte tenu d’une disposition d’une loi adoptée le 29 juillet 2014 et validée par le Conseil constitutionnel, relative à la validation des contrats de prêt dépourvus de taux effectif global (TEG, ce qui est le cas des emprunts structurés), les collectivités ne peuvent plus attaquer les banques au motif qu’elles n’étaient pas informées du TEG. Même si cela peut choquer, il est évident qu’aucune banque ne peut donner à l’avance ce que sera le TEG d’un emprunt structuré dont le coût dépend de l’évolution des taux de change entre différentes monnaies. La loi n’a fait qu’entériner ce fait qui relève du bon sens. Privées de l’argument d’absence de TEG dans les contrats de prêts structurés, les collectivités n’ont qu’une très faible chance de remporter la victoire au contentieux.

Matthias Bollmeyer/AFP, Author provided

En d’autres termes, il était très probable que la Métropole grenobloise perde en poursuivant son combat juridique. Les contrats sont très clairs et on ne peut légitimement soutenir l’idée selon laquelle les dirigeants de la Métropole ne pouvaient les comprendre et qu’ils ont été manipulés par la banque. Rien ne les obligeait à souscrire ces emprunts structurés qui se sont avérés toxiques. Ils n’ont pas voulu voir les risques qu’ils prenaient en pariant sur l’évolution de la parité euro/franc suisse ; ce que tout étudiant de finance internationale apprend. Ils ont saisi le gain immédiat de taux d’intérêt, ce qui arrangeait bien les finances de la collectivité à l’époque – son épargne nette étant proche de zéro à ce moment-là.

C’est pour ces raisons qu’en définitive, les élus de la Métropole grenobloise ont préféré se couper une main que le bras en acceptant l’aide de l’État. Mais le vote fut très serré : 61 pour, 53 contre et 9 abstentions. Il s’en est fallu de peu pour que la raison perde. Dans les 53 contre, on retrouve les élus écolos (27), l’opposition de droite (24) et le Front national (2). Bien entendu, les motivations de ces votes contre ne sont pas uniquement liées à l’analyse financière que nous avons présentée, mais aussi à des raisons politiques, voire idéologiques. Un conseil de collectivité locale reste une instance politique… Doit-on le regretter ?

Petite conclusion : d’une façon générale, la Métropole de Grenoble n’aurait jamais dû signer ces contrats d’emprunts. Il n’est pas dans la vocation d’une collectivité locale qui n’a aucune ressource en francs suisses de spéculer sur la parité euro/franc suisse sur une durée aussi longue, et mettre ainsi en danger ses finances. Espérons que la leçon sera retenue à l’avenir, même si on peut en douter.

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