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En Belgique aussi la reconnaissance des Islams crispe la société

Le Roi Philippe participe à un repas pour l'Iftar lors de la rupture du jeûne pour Ramadan à Evergem, en Belgique le 12 juin 2017. DIRK WAEM / Belga / AFP

Alors que le confinement et la situation sanitaire avaient largement éclipsé la question de l’insertion de l’islam en Belgique, depuis quelques semaines elle fait son grand retour à l’avant plan de l’actualité : port du foulard dans l’administration publique à Molenbeek, arrêt de la Cour européenne concernant l’interdiction de l’abattage rituel, tergiversations relatives au rapatriement des djihadistes belges et de leurs enfants, etc.

La Belgique, royaume de 11 millions d’habitants dont un peu plus de 19 % sont issus de différentes vagues migratoires (les pays d’origine constituant le top 5 sont le Maroc, l’Italie, la France, la Turquie et les Pays-Bas) est en effet aujourd’hui, comme d’autres pays d’Europe, confrontée à de nombreuses crispations autour de la place de l’islam et de son insertion dans la société.

Pays de tradition catholique, le système belge de gestion des différents cultes (catholicisme, protestantisme, judaïsme, anglicanisme, islamique) et communautés philosophiques non confessionnelles (laïcité, bouddhisme) est basé sur la reconnaissance (et donc leur financement par les pouvoirs publics) et la séparation (et donc une non-immixtion respective). Cependant, le poids de l’Église catholique reste largement prédominant dans ce système tant en termes de financement qu’en termes de structuration.

L’imam de Molenbeek cheik Mohamed Toujgani et des habitants de Molenbeek et Bruxelles après les attentats avril 2016
L’imam de Molenbeek cheik Mohamed Toujgani et des habitants de Molenbeek et Bruxelles rassemblés en hommage aux victimes des attentats du métro de Bruxelles en avril 2016. Thierry Charlier/AFP

Mais depuis les attentats de mars 2016 à Bruxelles revendiqués par l’État islamique, la question de la radicalisation et de l’islamisme semblent s’être transformés en prismes d’analyse uniques de l’insertion de l’islam dans le royaume pour une partie de l’opinion publique belge.

Une hausse d’actes islamophobes

Ainsi, dans un sondage publié en 2017, 60 % des 4 734 personnes sondées estimaient que la présence des communautés musulmanes en Belgique était une menace pour l’identité de la Belgique.

Ils n’étaient que 13 % à la voir comme un facteur d’enrichissement culturel. Peu après les attentats, Unia, le centre interfédéral de lutte contre les discriminations, constatait une augmentation des signalements pour islamophobie qui représente l’écrasante majorité des dossiers de discrimination ouverts sur base des convictions ainsi que l’accroissement de la violence dans les passages à l’acte.

Il y a quelques jours à peine, des inconnus jetèrent des abats d’animaux et exhibèrent des croix ensanglantées sur une famille musulmane louant un gite dans les Ardennes. Ces derniers mois, plusieurs femmes musulmanes, très souvent portant un foulard, ont été l’objet de violences physiques et verbales, l’islamophobie touchant de fait très majoritairement d’abord les femmes.

Les lieux de culte sont aussi visés : ainsi une mosquée turque située dans une localité rurale de la partie francophone du pays a vu son site souillé par le dépôt de têtes de cochons.

Geert Wilders et Filip Dewinter
Le néerlandais Geert Wilders, extrême droite (g) avec chef de file de la droite nationaliste belge Filip Dewinter à Bruxelles le 3 novembre 2017. Tous deux sont dénoncent ce qu’ils nomment l’« islamisation » de l’Europe. Emmanuel Dunand/AFP

Des appels à la haine et au meurtre avaient également été publiés sur les réseaux sociaux.

Ces vagues haineuses heurtent de plein fouet les velléités d’intégration et espoirs multiculturels d’une société belge déjà fragilisée par ses propres dissensions identitaires entre Flamands (néerlandophones) et Wallons (francophones).

Une migration ancienne

Même si aujourd’hui la population musulmane belge s’est largement diversifiée, depuis le début des années 2000, sous le double mouvement des conversions et de flux migratoires plus récents en provenance de la Syrie, d’Irak, du Pakistan ou encore de différents pays d’Afrique noire, on estime qu’elle est majoritairement issue d’un mouvement migratoire précis : celui des accords bilatéraux signés avec le Maroc et la Turquie en 1964.

Dans un objectif d’intégration, le jus soli (droit du sol) est introduit en 1984 et les conditions d’acquisition de la nationalité sont également assouplies. Par conséquent, les Marocains et les Turcs, auparavant étrangers, deviennent des citoyens belges mais d’origine étrangère, le terme « immigré » qualifiant cette différence dans le débat public.

Quant aux politiques d’intégration, elles sont relativement tardives. Il faudra attendre 1996 pour que le premier décret wallon organise et coordonne la politique d’intégration pour la partie sud du pays. Dans celle-ci, la perspective assimilationniste est assez visible dans la prédominance donnée à l’apprentissage de la langue combinée à un travail d’intégration sociale et d’alphabétisation.

En Flandres et à Bruxelles, la politique de « citoyennisation » (inburgering) impliquant un parcours d’intégration basé sur des cours de langue et de citoyenneté, d’une part, et les mesures appuyant la cohésion sociale d’autre part, seront adoptées dans la première moitié des années 2000.

De l’immigré au musulman

Cependant, une double dynamique va bousculer le débat public. Il s’agit d’une part de l’activation du référentiel religieux dans le monde musulman suite aux échecs des entreprises de modernisation autoritaire. C’est le cas par exemple de la révolution iranienne de 1979 qui va être une source d’inquiétude pour le monde occidental certes, mais qui l’est aussi pour le reste du monde musulman, largement sunnite, qui craint une contagion du chiisme révolutionnaire et où apparaissent de nombreux mouvements de l’islam politique.

Certains cadres de ces mouvements vont fuir les régimes autoritaires et participer, en Europe cette fois, à la réislamisation des populations musulmanes.

Des hommes se recueillent à la Grande Mosquée de Bruxelles, mars 2016. Philippe Huguen/AFP

Les immigrés deviennent progressivement des « musulmans » dans les discours publics et médiatiques. Les attentats du 11 septembre 2001 et tous ceux qui vont suivre ne feront qu’amplifier cette dynamique.

Désormais le religieux semble de plus en plus s’établir comme la nouvelle frontière de l’altérité opposant les musulmans et les non-musulmans. Et les débats récents tendent en effet à se cristalliser sur des pratiques religieuses perçues comme problématiques.

Difficile de savoir s’il s’agit d’un effet miroir, mais les données disponibles montrent que l’identification en tant que musulman est désormais largement majoritaire au sein des populations belgo-turques et belgo-marocaines. Notons toutefois que celle-ci ne s’oppose pas à une identification parallèle et significative tant aux groupes d’origine qu’à la Belgique.

Des communautés musulmanes plurielles

Les pratiques religieuses ou les lieux où elles se déroulent comme les mosquées sont devenus les vecteurs principaux des polémiques relatives à l’insertion de l’islam en Belgique.

Il existe par ailleurs au sein de l’opinion publique belge une certaine tendance à voir les communautés musulmanes de Belgique comme une entité homogène.

Et pourtant elles sont plurielles tant sur le plan ethnique et théologique que sur le plan politique. Sans compter sur les rapports de genre et de générations qui viennent encore complexifier les clivages existants.

Par ailleurs, sur le plan des pratiques religieuses, les données disponibles laissent entrevoir une individualisation et une certaine forme de bricolage de celles-ci, dessinant une pluralité de manières d’être musulman et musulmane.


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Admettre que la Belgique est en partie aussi musulmane

La condition minoritaire expérimentée par l’islam dans les sociétés occidentales démocratiques est la source sans aucun doute d’un certain nombre d’opportunités représentées par la sécularisation et l’individualisation, les régimes de séparation entre le religieux et le politique, l’ensemble des droits et des libertés dont les citoyens peuvent jouir mais aussi de nombreux défis.

Certains États (tiers comme l’Arabie saoudite via le financement de lieux de culte, ses maisons d’édition ou d’origine comme le Maroc et la Turquie via leurs ambassades et consulats) cherchent aussi en Belgique à garder une main sur le devenir de l’islam belge. On observe aussi que l’imamat se structure parfois en décalage avec les attentes d’une partie non négligeable des musulmans belges, en particulier les jeunes.

Et qu’un ensemble (minoritaire) des communautés musulmanes belges se placent en rupture par rapport à la société belge. C’est cette tendance qui, de fait, donne raison à certains qui ne peuvent admettre que la Belgique est aussi, en partie, musulmane.

Il y a là un réel enjeu pour les pouvoirs publics qui consiste à soutenir et à investir dans les nombreuses initiatives issues des communautés musulmanes.


L’autrice vient de publier l’ouvrage « Islams de Belgique » paru aux éditions de l’Université de Bruxelles.

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