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En cas de choc, comment le marché du travail s’ajuste-t-il dans l’Union européenne ?

En cas de choc, toutes les régions du Vieux contient pourraient-elles suivre une politique d'emploi unique décidée par l'Europe et par le commissaire Nicolas Schmit ? Parlement européen via Wikimedia Commons, CC BY-SA

À l’heure où les débats s’enflamment autour du projet gouvernemental de réforme des retraites, beaucoup invitent à plutôt questionner le taux de chômage, mesuré, en France, à 7,3 % par l’Insee à la fin du troisième trimestre 2022. Moins de chômeurs, c’est plus de cotisants et un déficit moindre pour le régime.

Retraites ou non, la question de l’emploi interroge en permanence. Dans nos travaux, c’est à l’échelle de l’Union européenne (et dans les défis de la zone euro) que nous interrogeons les caractéristiques du marché du travail.

Les économistes ont, depuis Robert Mundell dans les années 1960, développé une théorie de la zone monétaire optimale. Partager une même monnaie permet, entre autres choses, des gains économiques avec des échanges facilités entre les différents membres. Cela intervient cependant au prix d’une perte d’autonomie sur certaines politiques. Des problèmes émergent ainsi lorsque les structures économiques sont trop différentes : en cas de choc, elles n’évolueront peut-être pas sur la même trajectoire, rendant toute politique centralisée délicate, si ce n’est parfois nocive car inadaptée aux spécificités de certaines régions.

Le marché du travail compte au premier chef parmi ces éléments qui définissent la structure d’une économie et il y a là un critère important pour l’efficacité de la zone euro dans le futur. Intégrer des pays comme la Bulgarie, la Tchéquie, la Hongrie, la Pologne et la Roumanie a représenté pour la zone euro, une augmentation de 25 % de la population active.

L’importance est, selon ce critère, non pas d’avoir des marchés du travail homogènes mais plutôt de constater des mécanismes d’ajustement en cas de choc qui tendent à s’harmoniser afin que les politiques menées par l’Union européenne et les différents gouvernements s’articulent au mieux et répondent efficacement aux besoins d’une économie.

Dans une étude publiée tout récemment, nous avons ainsi utilisé une méthode propice à mettre en évidence le rôle des caractéristiques locales du marché du travail. Nous observons, en cas de choc d’emplois, de fortes hétérogénéités de réponses entre régions et des rigidités qui demeurent. Cette observation ne semble pas sans conséquences pour les politiques publiques et pour certaines populations en particulier, notamment les femmes.

Une convergence qu’en apparence

Qui dit choc dit réponse au choc et propagation dans l’économie via des mécanismes d’ajustement. Cela peut notamment se faire via les salaires : en cas de choc négatif, une baisse des salaires peut servir d’amortissement pour maintenir un maximum de personne en emploi. La mobilité de la main-d’œuvre d’une région à une autre est une alternative possible. Dans la zone euro, ce second canal, en particulier, apparaît moins fluide qu’aux États-Unis.

Notre modèle met en équation le mécanisme suivant : un choc négatif d’emploi entraînerait une baisse des salaires dans la région concernée relativement aux autres. À court terme le taux de chômage augmente mais l’effet est ensuite lissé par deux mécanismes : les travailleurs vont changer de région pour trouver un emploi ou de meilleures conditions de travail ; attirées par une main-d’œuvre moins chère, des entreprises vont, elles, s’implanter. Le bilan sur l’emploi à la fin dépendra duquel de ces deux mécanismes sera dominant.

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Lorsque l’on simule une augmentation du nombre d’emplois, nous obtenons des effets qui perdurent sur cette variable en niveau, mais pas sur des taux qui y sont associés. À moyen terme, le taux de participation (la part des actifs dans la population totale) et le taux de chômage (la part des chômeurs au sein de la population active) reviennent à leur niveau initial. Notre premier résultat montre des vitesses d’ajustements qui semblent similaires pour tous les pays de l’Union, zone euro ou non, résultat en cohérence avec l’idée d’une convergence des comportements sur le marché du travail.

Ceci n’est pas sans cacher des formes importantes d’hétérogénéité à l’échelle des régions.

Région agricole ou technologique ?

Les données de l’enquête emploi au niveau européen permettent une analyse plus fine sur les vingt dernières années, suivant le niveau de découpage retenu par l’UE pour la mise en place des politiques régionales de développement.

La crise de 2008, choc négatif, a été suivie d’une augmentation quasi générale du chômage. Une telle détérioration globale du marché du travail européen semble avoir induit des changements dans le rapport de réactions entre l’offre et la demande de travail. À court terme, ce dernier serait devenu plus favorable aux entreprises qu’aux travailleurs.

Des ajustements relativement différents s’observent cependant selon qu’il s’agisse d’une région plutôt agricole ou d’une région plutôt tournée vers des secteurs technologiques. Dans les premières, le taux d’emploi reste plus faible sur l’ensemble de la période. Cela s’accompagne d’une plus grande dispersion dans les données comme c’est le cas en général là où l’on observe des taux de chômage relativement élevé et de participation faible.

C’est également dans ces régions que les vitesses d’ajustement sont relativement plus faibles. C’est ce que nous pouvons observer sur le graphique ci-dessous qui représente la persistance d’un choc dans les régions en fonction de l’importance du secteur agricole dans l’emploi. On y suppose que ce choc est d’intensité 100 à la date 0. Ce résultat suggère en tout cas l’importance de promouvoir des politiques régionales spécifiques et adaptées au regard de leur structure du marché du travail.

Au-delà, la variable cachée pourrait bien être le niveau d’éducation. Pour des ajustements plus efficaces, la mobilité géographique de la main-d’œuvre ne serait plus tant la réponse optimale que l’augmentation des réallocations intersectorielles, ce par la promotion d’une population plus éduquée. Une population plus instruite est relativement plus polyvalente entre les secteurs, réduisant le besoin de mobilité géographique sans entraver la flexibilité du marché du travail.

Les femmes, autre variable d’ajustement

Il faut enfin noter que les évolutions du marché du travail en Europe occultent un écart de genre. En moyenne, le taux de participation des femmes surréagit par rapport à celui des hommes. C’est-à-dire qu’en cas de choc négatif sur l’emploi, les femmes ont tendance à quitter plus souvent le marché du travail. Autrement dit encore, elles représentent un vecteur d’ajustement plus élevé, particulièrement dans les régions où le taux de participation des femmes est plus faible.

Symétriquement, dans le cas d’un choc positif, représenté sur ce graphique, la situation revient plus rapidement à la normale pour les hommes. Ici, ce n’est pas tant l’ordre de grandeur, la variation du taux de chômage qui importe puisqu’il dépend de l’intensité du choc que l’on simule, mais bien d’observer des trajectoires, des vitesses différentes selon les sexes. Nous y considérons les régions européennes, pour lesquelles la participation des femmes au marché du travail est relativement la plus faible.

Pour diminuer cette vulnérabilité des femmes, les récents rapports du FMI et de la Commission européenne insistent sur l’impérieuse nécessiter d’investir dans leur éducation et dans le développement des structures de la petite enfance. En examinant les régions où le taux de participation des femmes est relativement plus élevé, on constate en effet que les enfants de moins de 3 ans ont tendance à participer davantage aux programmes de garde d’enfants.

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