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En Casamance, le pari de l’agroécologie pour endiguer l’exode de la jeunesse

En Basse Casamance, la pauvreté rurale et la dégradation de l’environnement conduisent chaque année de nombreux jeunes à tout quitter pour s’aventurer sur les routes de l’émigration. Raphael Belmin / Cirad, CC BY-NC-ND

Du 7 février au 15 mars 2022, la Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal (DyTAES) – réseau qui fédère la plupart des acteurs de l’agroécologie du pays – a entrepris une grande caravane pour rencontrer les agriculteurs et agricultrices sénégalais.

Carte des 45 départements du Sénégal de 2008 à 2021. Amitchell125/Wikipedia, CC BY

Après les Niayes, le Nord-Sénégal et le Bassin arachidier, les caravaniers ont fait escale dans le département de Bignona en Basse Casamance.

Ici, la jeunesse se cherche un avenir et hésite entre émigration et retour à la terre.

Le difficile retour des émigrés

À force de travail acharné, Ousmane Sambou a réussi un pari que beaucoup pensaient impossible : transformer 1,5 hectare de friche stérile en un verger verdoyant et productif. Les limettiers et les orangers sont encore juvéniles, mais ils assureront bientôt un revenu stable pour le jeune homme, son épouse et leur nouveau-né.

Ousmane Sambou revient pourtant de loin. Comme beaucoup de jeunes de la Basse Casamance, il avait décidé de fuir un monde qu’il jugeait sans avenir, tentant le tout pour le tout sur les routes de l’exil. Mais son voyage pour l’Europe a tourné au cauchemar lorsqu’il était tombé entre les mains d’un groupe libyen malveillant. Secouru par un programme des Nations unies, Ousmane Sambou est parvenu à rentrer chez lui en 2016. Depuis, il se bat pour se reconstruire et aller de l’avant :

« Ce que j’ai vécu là-bas, il est préférable que vous ne le sachiez pas… »

Ancien migrant, Ousmane Sambou a pris un nouveau départ en s’installant en agriculture. Raphaël Belmin/Cirad

Le groupe de visiteurs de la DyTAES écoute silencieusement son histoire, les yeux rougis par l’émotion. Le doyen Abdou Hadji Badji, qui guide la visite, explique que le cas d’Ousmane Sambou n’a rien d’exceptionnel.

En Basse Casamance, comme partout au Sénégal, les jeunes se détournent de l’agriculture pour partir tenter leur chance en ville, dans les mines, ou encore sur les routes de l’émigration. Ce phénomène est le résultat du taux élevé de pauvreté rurale et des contraintes fortes qui pèsent sur l’agriculture sénégalaise : difficultés d’accès à la terre, cultures peu productives et sous-valorisées, dégradation des sols et des ressources en eau, etc. La crise des vocations révèle aussi un problème d’image vis-à-vis du métier d’agriculteur.

Face au désintéressement des jeunes, l’État sénégalais a créé des programmes de formation agricole, des agences et des fonds pour l’emploi. Mais les besoins restent forts. L’exode rural et l’émigration clandestine sont encore loin d’être endigués.

Fromager géant (haut), madd (en bas à gauche) et pommes de cajou (en bas à droite). Les populations rurales de la Basse Casamance dépendent en grande partie des ressources forestières pour leur vie quotidienne : fourrage, bois, racines, écorces et fruits forestiers comme le madd, le cajou, le karité ou le jujube… Cette dépendance est exacerbée par la pauvreté. Raphaël Belmin/Cirad, Malick Djitte/Fongs

Quand la forêt nourricière offre ses derniers fruits

Le renoncement de la jeunesse casamançaise prend racine dans la dégradation rapide et généralisée des agroécosystèmes. Par le passé, la région regorgeait de richesses naturelles.

La Basse Casamance constitue une zone tropicale à forte densité forestière qui bénéficie de précipitations abondantes. Située au sud du Sénégal, entre l’enclave gambienne et la Guinée-Bissau, la région est irriguée par les eaux du fleuve Casamance qui s’ouvrent en delta vers l’océan.

Dans les vallées fluviales, les communautés diola pratiquent encore une riziculture pluviale traditionnelle. Sur les plateaux, on trouve des cultures de céréales sèches, du maraîchage et des systèmes agroforestiers de cueillette (anacardiers, manguiers, agrumes, palmiers à huile, etc.).

Manguiers, fromagers, baobabs, sapotiers, madds, anacardiers, rôniers, palmiers à huile… En sélectionnant les arbres qui entourent leurs villages, les habitants de la Basse Casamance ont construit au cours des millénaires une véritable « forêt comestible ». Raphael Belmin/Cirad

Comme partout ailleurs au Sénégal, la Basse Casamance subit de plein fouet les impacts du changement climatique. L’élévation du niveau des océans entraîne une érosion côtière, une dégradation des mangroves et des intrusions marines qui aboutissent à une salinisation des cours d’eau, des nappes et de certaines rizières.

Le conflit armé qui a démarré en 1982 a également pénalisé les activités agricoles, forestières et halieutiques. Il a entraîné des déplacements de populations et un net recul de l’activité économique, en particulier le tourisme. La pauvreté et l’insécurité alimentaire ont alors rendu les communautés particulièrement dépendantes des produits forestiers. Ce qui, en retour, a contribué à accentuer la déforestation.

La couverture forestière en Casamance est aujourd’hui gravement menacée par les défrichements, les feux de brousse et la coupe illégale du bois.

La Basse Casamance est riche en ressources halieutiques. La pêche et l’ostréiculture sont pratiquées le long du fleuve Casamance et de ses affluents. Raphaël Belmin/Cirad

L’agroécologie, une alternative pour « retenir » les jeunes

En Basse Casamance, plusieurs projets portés par des organisations de la société civile accompagnent des jeunes dans leur (ré)insertion par l’agriculture. Ces derniers bénéficient de formations, d’accompagnement et parfois même d’un appui financier pour aménager un terrain et installer un puits et une pompe à eau.

Samba Sow, ancien migrant aujourd’hui installé en agriculture, a bénéficié du projet Terre et Paix, qui l’a formé et financé à hauteur de 1 900 000 FCFA (environ 2900 euros). Convié à un atelier par la DyTAES, il lance un appel à l’attention des autorités du Sénégal :

« Grâce à l’agroécologie, nous pouvons éviter que d’autres jeunes ne s’en aillent ou ne déversent dans le terrorisme ou la rébellion. »

Dans sa ferme à Diouloulou, Samba Sow (ici avec sa famille) exploite un hectare de terre et gagne dignement sa vie. Dans le département de Bignona, les projets Terre et Paix, Économie migrante et Certitudes Jeunes accompagnent l’installation des anciens migrants en agriculture. Thierno Sall/Enda Pronat

Des initiatives de formation pour changer la donne

En périphérie de la ville de Bignona, le lycée technique agricole Émile Badiane s’emploie à préparer les futurs cadres supérieurs du développement agricole et rural.

Seul et unique lycée agricole du Sénégal, il a déjà formé 16 promotions d’ingénieurs agronomes. L’établissement offre également des formations de type BTS, CAP ou baccalauréat, préparant ainsi les jeunes à la conduite d’une exploitation agricole ou d’une unité de transformation agroalimentaire. Pour Ibrahima Abdoul Aziz Ficou, directeur du lycée, ces formations professionnalisantes contribuent à stabiliser les jeunes dans la région :

« Nous luttons contre la déperdition scolaire et l’émigration clandestine en proposant des filières courtes de qualification professionnelle. »

Le lycée accompagne l’insertion des nouveaux diplômés grâce à une parcelle d’incubation et un appui dans l’obtention de terres.

Des jeunes diplômés du lycée technique agricole Émile Badiane s’affairent sur une parcelle d’incubation. L’agroécologie ne fait pas l’objet d’un module d’enseignement, mais se veut plutôt transversale dans les différents parcours de formation. Raphaël Belmin/Cirad
Le lycée technique agricole Émile Badiane met à disposition des parcelles pédagogiques pour les jeunes en formation. Le lycée accueille également des projets expérimentaux, à l’instar de ce système d’aquaponie en circuit fermé (en bas à droite). L’eau est recyclée après avoir été filtrée, et l’ammoniac transformé en nitrates. Raphaël Belmin/Cirad

À une trentaine de minutes de la ville de Bignona, au bout d’une longue piste de latérite, la ferme-école agroécologique Eco From Africa fait de plus en plus parler d’elle.

Fondée en 2016 par Clément Sambou, cette ferme de conception holistique sert de support de formation à de nombreux apprentis venant du lycée Émile Badiane et d’autres centres de formation du pays. On y développe des activités diversifiées allant de l’agroforesterie à l’élevage en passant par le maraîchage, l’apiculture et la sensibilisation communautaire.

Visite par la DyTAES de la ferme-école agroécologique Eco From Africa en compagnie de son fondateur, Clément Sambou. Raphaël Belmin/Cirad
La ferme concentre de nombreuses essences agroforestières aux propriétés fertilisantes, alimentaires et/ou médicinales à l’instar du ditakh (Detarium senegalense), du pois d’angole (Cajanus cajan), du néré (Parkia biglobosa), de l’acacia (Melifera senegalensis), du nebedaye (Moringa oleifera) ou encore du kadd (Faidherbia albida). On y trouve aussi des produits non ligneux typiques des systèmes agroforestiers de la Basse Casamance comme le toll (Landolphia heudelotii), le madd (Saba senegalensis) ou le kinkéliba (Combretum micranthum). Raphaël Belmin/Cirad

Bignona en route vers l’agroécologie

Le passage de la caravane DyTAES en Basse Casamance a été l’occasion de célébrer le lancement officiel de la Dynamique pour une transition agroécologique locale (DyTAEL) de Bignona.

Les DyTAEL offrent des cadres locaux de dialogue politique et de planification stratégique en matière de transition agroécologique. Ce sont des territoires pilotes, des laboratoires grandeur nature qui permettront d’expérimenter de nouvelles manières de produire, échanger et consommer. Cette nouvelle DyTAEL a pour ambition de renverser le processus de dégradation des ressources naturelles en faisant de Bignona un département entièrement agroécologique d’ici 2036 et classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

A leur arrivée à Thionck Essyl, les caravaniers de la DyTAES ont été accueillis par le Maire et les habitants à l’occasion d’une fête traditionnelle. Raphaël Belmin/Cirad
Le « esiba » est une danse festive féminine très populaire dans les sociétés diola. Les femmes font des mouvements très rapides des jambes tout en battant le rythme à l’aide de « nicelingue » (petits fers à main) et de bâtonnets de bois citronnier très résonnants. Raphaël Belmin/Cirad

Prochaine étape de la caravane : la Haute Casamance et le Sénégal oriental pour aborder le problème de la déforestation.


Laure Brun Diallo (Enda Pronat) et Sidy Tounkara (IPAR) sont co-autrice et co-auteur de cet article.

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