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L’école s’invite à la télé

Née dans les années 1960, la Radio Télévision scolaire devait faire entrer la télévision dans l'école. L'inverse se produit-il aujourd'hui avec le confinement ? methodshop from Pixabay, CC BY

Leçons de Français pour les CP et CE1 à 9h, maths pour les CM1 ET CM2 à 10h, ou encore histoire-géographie, sciences et anglais pour les collégiens dans l’après-midi. Depuis le 23 mars, du lundi au vendredi, des enseignants se succèdent au tableau sur la chaîne France 4 pour proposer aux élèves privés de leurs cours classiques exercices et révisions de notions fondamentales des programmes scolaires.

Ces « cours Lumni » s’inscrivent dans le dispositif « Nation apprenante » lancé par le ministère de l’Éducation nationale, pour contribuer à la « continuité pédagogique » en temps d’épidémie. Une situation inédite qui suppose un dispositif exceptionnel ? En réalité, il existe des précédents à cette rencontre de la télévision et de l’école.

France Télévisions.

Dans les années 1960 et 1970, la Radio-Télévision Scolaire (RTS), pensée et dirigée par Henri Dieuzeide, produisait jusqu’à une vingtaine d’heures d’émissions pour un public scolaire, investissant aussi la formation pour adultes.

Avec le recul d’un demi-siècle, on peut cependant dire que la RTS n’a ni convaincu ni réussi. Les raisons sont multiples. La télévision avait pourtant un potentiel « d’école parallèle », comme l’avaient observé Georges Friedman en 1961, puis Louis Porcher en 1974, tous les foyers ou presque ont été équipés de récepteurs. Mais l’absence de formation des enseignants aux spécificités de cet enseignement à distance en a sans doute été un élément majeur. Et l’on sait que l’histoire se répète parfois…

Recourir à la télévision pour contribuer à une « continuité pédagogique », dont les tenants et les aboutissants ne sont pas si simples à saisir, soulève bien des questions. Certaines sont radicalement nouvelles et tiennent à la situation que nous vivons. D’autres s’inscrivent dans le temps long de l’école et des technologies éducatives.

Faire entrer l’école à la maison

Contrairement au projet de la RTS de faire entrer la télévision à l’école, dans la situation actuelle, il s’agit d’utiliser la télévision pour faire entrer l’école à la maison.

Mis en place par le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse aux premiers jours du confinement, « Nation apprenante » est un label attribué à un ensemble de programmes de télévision, d’émissions de radio et de publications de la presse écrite accessibles gratuitement. Les acteurs de ce dispositif sont essentiellement des acteurs publics déjà impliqués dans des démarches éducatives destinées aux jeunes, souvent en partenariat avec les institutions éducatives.

Présentation du dispositif Nation apprenante.

S’agissant de la télévision, une bonne partie de la programmation repose sur des contenus déjà existants, ré-agencés pour constituer une offre adressée à tous les ordres d’enseignement. Des compléments sont réalisés spécifiquement, notamment des cours filmés. L’offre est considérable, cohérente mais hétérogène. Elle s’organise essentiellement autour de variables scolaires : niveaux d’enseignement et disciplines.

Pourtant deux autres caractéristiques sont déterminantes :

  • La première est relative aux genres télévisuels. On peut situer les émissions selon un continuum qui va d’une sorte de théâtralisation des pratiques scolaires aux formats les plus classiques (cours, cours dialogué, cours et exercices…) jusqu’à des œuvres audiovisuelles dont les ressorts s’inscrivent dans des logiques de création artistique plutôt que de scénarisation didactique.

  • La deuxième est fondamentale pour faire face à l’impossibilité de se connecter à des services numériques d’une partie des familles et de leurs enfants. Elle concerne le mode d’accès aux contenus, entre la diffusion en direct d’une partie de ces programmes via les canaux de la TNT et l’accès en différé via Internet. Après trois semaines de fonctionnement, l’audience est importante. Jusqu’à un million d’élèves assistent chaque jour aux émissions.

Les vieilles technologies se refont une jeunesse

A l’ère du numérique roi, la télévision (surtout hertzienne) fait figure de technologie ancienne et passablement obsolète. Du moins, c’était le cas jusqu’à ce jeudi 16 mars 2020 et la fermeture des établissements scolaires.

Il est apparu très vite que le recours massif aux techniques numériques allait accroître l’impact éducatif des inégalités sociales et territoriales, déjà particulièrement fort en temps ordinaires en France comme le montrent régulièrement les enquêtes PISA conduites à l’échelle de l’OCDE.

Rien de tout cela ne surprend les acteurs de l’école ni ses observateurs. Dans sa composante numérique, la misère française est bien documentée et s’exprime de différentes façons qui se cumulent le plus souvent : manque d’équipement ou équipement peu propice aux activités scolaires, compétences d’usage limitées et mauvaises appréhensions des enjeux.

Pour autant, elle n’est que le reflet de problèmes plus profonds qui font obstacle à la réussite des jeunes et, singulièrement, à leur réussite scolaire. La mise à distance physique de l’École à laquelle le confinement oblige s’accommode mal des différences sociales.


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Sans constituer un remède absolu, la télévision pourrait contribuer à ce lien éducatif qu’Internet n’est pas en mesure de garantir pour tous. C’est sans aucun doute là un objectif qui peut faire consensus même s’il est évident que projeter l’école à la maison confronte les élèves aux mêmes difficultés que celles qu’ils rencontrent à l’École.

La résilience au prix de la modernité

Pour l’observateur au long cours des technologies éducatives et de l’enseignement à distance, l’actualité vient de faire un sérieux clin d’œil aux réalités géopolitiques. Observons combien de technologies « anciennes » sont convoquées au chevet de l’école au risque de contredire formellement ceux qui les pensaient inutiles.

Il y a bien sûr la télévision, la radio et la presse écrite mais ce n’est pas tout. Il y a aussi les manuels scolaires imprimés qui sont plébiscités, notamment parce qu’ils donnent une connaissance partagée des intentions de l’école en termes de référentiels de connaissances ou de compétences, d’organisation dans le temps et d’activités d’apprentissage.


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Il y a également l’ensemble des autres ressources imprimées. Des maisons de quartier organisent d’ailleurs des distributions de ressources (livres, jeux…). Et le ministre invite les enseignants à recourir au téléphone pour maintenir le lien avec les élèves. Il en appelle même à La Poste qui s’engage à rouvrir certains bureaux fermés faute de personnels disponibles afin d’acheminer, aux côtés des équipes éducatives qui y contribuent souvent également, les copies imprimées de documents que d’autres élèves reçoivent via Internet.

De fait, dans la plupart des pays les plus riches, l’enseignement à distance n’existe pratiquement plus qu’en ligne. Souvenons-nous d’ailleurs des critiques, somme toute très récentes, formulées à l’encontre du Centre national d’enseignement à distance (CNED) dont l’essentiel des activités de formation à distance reposaient encore sur le papier et les échanges postaux.

Nouveau contrat éducatif

Les attentes de l’État quant au dispositif « Nation apprenante » sont sans doute proches de celles qui ont conduit à l’instauration de la télévision scolaire dans les années 60. Il s’agit d’assumer au mieux la dimension régalienne de l’Éducation nationale et la télévision peut y aider.

Dans les deux cas, il s’agit de pallier une insuffisance de l’école. Hier, il fallait soutenir l’action des enseignants au sein même de l’École et aujourd’hui, il s’agit de projeter au mieux l’école au sein des familles. Le principe retenu est celui de la continuité, sans doute inspiré des principes de management des organisations où il s’agit de poursuivre l’activité en la dégradant le moins possible.

La diffusion de cours filmés répond à cette logique, par leurs contenus conformes aux programmes scolaires, par leur format très proche du cours dialogué, par leur diffusion à heures fixes qui se substitue partiellement à l’emploi du temps habituel des élèves.

Si l’on comprend aisément les motivations de l’État, l’expérience de la RTS jette une ombre sur les chances de réussite de ce dispositif et, plus largement du modèle de continuité fondé sur la projection de la forme scolaire à la maison.

À la maison, la règle fondatrice de la forme scolaire qui est aussi celle du théâtre classique théorisée par l’abbé d’Aubignac au XVIIe siècle est largement discréditée. L’unité de lieu, de temps et d’action n’a plus cours, du moins les lieux, temps et activités ne sont plus ceux de l’École. Et ce, même si l’engagement des enseignants, de l’institution scolaire et de tous les acteurs de l’école est remarquable.

Loin de l’établissement scolaire avec son rythme scandé par les séances de cours, la progression des programmes et la médiation des professeurs, chacun vit à son rythme, s’organise à sa façon et fait comme il peut en fonction de son capital social, économique, culturel et éducatif dans un contexte anxiogène.

Dès lors, il est possible de rêver à une transition pédagogique plutôt qu’à une continuité pédagogique. On pourrait ainsi établir un nouveau contrat éducatif plus inclusif, plus éthique et plus équitable. Les techniques numériques et audiovisuelles à l’école y seraient appréhendées pour ce qu’elles sont : utiles quand elles permettent des activités d’apprentissage plus efficaces, indispensables pour en acquérir la maîtrise et la connaissance des enjeux au service du développement personnel, du développement professionnel et de l’exercice de la citoyenneté, irremplaçables comme moyens d’ouverture au monde et d’émerveillement.

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